mangodisco 967 Posté(e) avril 20, 2021 Partager Posté(e) avril 20, 2021 (modifié) Contre les stupéfiants, Macron prône l’acharnement thérapeutique SOURCE : MEDIAPART / https://www.mediapart.fr/journal/france/190421/contre-les-stupefiants-macron-prone-l-acharnement-therapeutique Jadis ouvert à la dépénalisation du cannabis, le chef de l’État se dit aujourd’hui favorable à une politique antidrogues sévère, visant à « harceler les trafiquants et les dealers », mais aussi les usagers. Quitte à s’enfoncer dans une impasse. C’est une profession de foi digne d’un ministre de l’intérieur en exercice, promesses et objectifs chiffrés à l’appui, mais le président de la République en est pour une fois l’auteur. Lundi 19 avril, dans un entretien accordé au Figaro, Emmanuel Macron passe en revue sa politique de sécurité pour se féliciter de ses résultats. Il commente les tendances de la délinquance, détaille les effectifs des forces de l’ordre, fait un détour par le « séparatisme », aborde tour à tour le rôle des polices municipales et le nombre de places de prison. Le chef de l’État vante aussi longuement l’action gouvernementale « contre les trafics de stupéfiants, qui explosent » et dans lesquels il voit « la matrice économique de la violence dans notre pays ». « Les éradiquer par tous les moyens est devenu la mère des batailles, puisque la drogue innerve certains réseaux séparatistes mais aussi la délinquance du quotidien, y compris dans les petites villes épargnées jusqu’ici, dit-il. Ne laisser aucun répit aux trafiquants de drogue, c’est faire reculer la délinquance partout. » Un peu plus loin, Emmanuel Macron répète qu’il faut agir « à tous les niveaux : le grand trafic, le petit deal, la consommation ». Il conforte ainsi la position de son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui depuis quelques mois s’est approprié la devise « la drogue, c’est de la merde » (issue d’une campagne antidrogues de 1986) pour justifier le maintien d’une politique de prohibition conduisant à poursuivre les vendeurs et les usagers. En pleine pandémie de Covid-19, l’exécutif choisit d’afficher sa détermination à lutter contre le trafic et la consommation de stupéfiants, quelle que soit la substance, reléguant aux oubliettes l’hypothèse d’une légalisation contrôlée du cannabis qui fait son chemin partout ailleurs. Y compris en France. Pays particulièrement sévère en Europe, la France est aussi l’un de ceux où l’on consomme le plus de cannabis : 1,5 million de Français en font un usage régulier, 900 000 un usage quotidien. Pour les spécialistes du sujet, c’est le signe de l’inefficacité des politiques répressives. Pour les concepteurs de ces politiques répressives, c’est le signe qu’il faudrait aller encore plus loin pour atteindre l’efficacité. Par le passé, Emmanuel Macron avait pourtant semblé ouvert à la discussion. Dans son livre Révolution, paru en 2016, il se prononçait pour une contraventionnalisation de l’usage de cannabis, c’est-à-dire la transformation de ce délit en simple contravention. En septembre de la même année, dans une émission de France Inter, il affirmait que la légalisation du cannabis avait « une forme d’efficacité » du point de vue de la sécurité. « Le sujet est ouvert et doit être considéré », affirmait-il alors, ajoutant « vouloir aborder » cette question « de manière méthodique, dans les semaines qui viennent ». [media.] https://www.youtube.com/watch?v=p-4TiULPcPQ[/media.] Emmanuel Macron sur France Inter, le 4 septembre 2016 © France Inter Après quatre ans d’exercice du pouvoir, le ton a changé. Le président de la République se montre désormais conservateur sur les sujets dits « régaliens ». Et ne présente plus aucune ouverture sur le sujet de la légalisation. Il envoie en revanche des gages d’autorité à destination de cet électorat de droite et d’extrême droite à qui les responsables de Les Républicains (LR) et Marine Le Pen martèlent que le chef de l’État ne fait rien en la matière, et qu’il est « le président du chaos ». Un revirement entamé dès février 2017, en pleine campagne présidentielle. À l’époque, quelques mois seulement après l’interview de France Inter, le candidat d’En Marche! avait surpris jusqu’à ses proches, en se prononçant pour la tolérance zéro en matière de lutte antidrogues. « Je ne crois pas à la dépénalisation des “petites doses” ni aux peines symboliques. Cela ne règle rien », avait-il indiqué dans les colonnes du Figaro – déjà. Au même moment, certains membres de son premier cercle s’en tenaient à l’idée de départ et plaidaient encore pour une « contraventionnalisation », excluant les poursuites judiciaires et a fortiori la pénalisation. Pour tenter de conserver un semblant de « en même temps » sur le sujet, une solution mixte a finalement été retenue sous ce quinquennat : l’amende forfaitaire délictuelle, généralisée depuis le 1er septembre 2020 après quelques semaines d’expérimentation. 70 000 ont été dressées en huit mois. Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une contravention : l’usage de drogues reste un délit. Le paiement de l'amende met fin aux poursuites mais entraîne une inscription au casier judiciaire. Ce nouvel outil, qui obéit à des conditions très précises – flagrant délit sans infractions connexes, quantité limitée de substance, consentement de l’usager majeur et en possession d’une pièce d’identité –, s’ajoute à la palette dont disposaient déjà les forces de l’ordre et la justice pour traiter chaque année plus de 100 000 affaires d’usage de stupéfiants (voir le tableau ci-dessous). Suites judiciaires des affaires d’usage de stupéfiants. © Etude d'impact de la loi du 23 mars 2019 Fin juillet, un collectif inter-associatif déplorait l’inutilité de la politique menée par les autorités, fidèles à la loi de 1970. Dans un communiqué commun, des organisations comme AIDES, la Fédération Addiction, Médecins du monde et bien d’autres rappelaient que les mesures répressives qui s’empilent depuis des années n’ont pas « le moindre effet sur le niveau de consommation en France, ni sur l’ampleur de la circulation des produits », dont la forte concentration en THC inquiète. Ces associations soulignaient alors le caractère « nuisible » de l’amende forfaitaire délictuelle, qui tend surtout à s’appliquer aux « personnes racisées ou issues des quartiers, les classes favorisées se faisant livrer leurs produits, hors des radars de la police de rue ». Dans son interview au Figaro, Emmanuel Macron souhaite toutefois « aller encore plus loin » que l’amende forfaitaire, pour « provoquer une prise de conscience » chez les usagers, tant sur les risques sanitaires que sécuritaires. « À l’inverse de ceux qui prônent la dépénalisation généralisée, je pense que les stups ont besoin d’un coup de frein, pas d’un coup de publicité, assure-t-il. Dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge. Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. [...] Ceux qui prennent de la drogue – et cela concerne toutes les catégories sociales – doivent comprendre que non seulement ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité… » Du cannabis saisi et photographié à Marseille lors d’une visite de Gérald Darmanin, le 25 février. © Nicolas Tucat/AFP Le président de la République entend ainsi « lancer un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères ». Avec un tel cadrage, il fait mine d’ignorer tous les autres débats, et ils sont nombreux, qui se déroulent autour de lui depuis des mois. Le 26 mars, le gouvernement a lancé l’expérimentation du cannabis thérapeutique, sur prescription médicale, dans 170 hôpitaux français. Ce dispositif, porté par l’actuel ministre de la santé et des solidarités Olivier Véran, quand il était encore député La République en marche (LREM), concerne 3 000 patients sur deux ans. Par ailleurs, une mission d’information parlementaire travaille, depuis janvier 2020, sur le cannabis et ses dérivés. Elle s’apprête à rendre un rapport sur son usage récréatif, après une « consultation citoyenne » qui a réuni 250 000 contributions. Les membres de cette mission ne font pas mystère de leurs conclusions, à l’image de la députée LREM du Loiret Caroline Janvier, qui affirmait récemment dans La Montagne : « Il y a un consensus sur le fait que notre politique publique actuelle n'est pas efficace. Et dans un second temps, on va faire quelques propositions d'évolutions. On va plutôt en effet vers des propositions de légalisation. » Même à droite, les positions évoluent. L’été dernier, le maire LR de Reims (Marne) Arnaud Robinet proposait « d’ouvrir un débat national sur le cannabis, sa consommation, son impact sanitaire et sécuritaire », sans exclure l’hypothèse d’une « légalisation ». Dans un courrier adressé au premier ministre Jean Castex, il constatait l’échec de « l’arsenal répressif le plus strict d’Europe » et se portait candidat à une expérimentation locale de vente encadrée. D’autres élus, de tous bords, se sont joints à sa démarche. Pas de quoi bousculer le cap fixé par le gouvernement, qui multiplie les initiatives plus ou moins symboliques. Comme la création de l’Office antistupéfiants (Ofast), en 2020, service présenté comme un outil supplémentaire mais qui succède en réalité à l’Ocrtis, ébranlé par un scandale qui a conduit à la mise en examen de son patron, François Thierry, pour complicité de trafic de stupéfiants. Ou encore la mise en place d’une plateforme de signalement des points de deal, effective depuis le 3 mars 2021. Au total, les autorités en recensent 4 000 sur tout le territoire. « Plus de 1 000 opérations “coup de poing” ont été réalisées ces dernières semaines », se réjouit Emmanuel Macron dans Le Figaro. Dans la continuité d’une « politique du chiffre » dénoncée de longue date par les syndicats de police et les observateurs de l’institution, le ministère de l’intérieur met désormais en avant, chaque mois, ses résultats en matière de lutte contre les stupéfiants (lire le dernier bilan publié) : nombre d’opérations, d’interpellations, de tonnes de drogue saisies, « affaires marquantes ». « Et chaque jour, nous fermons un point de deal », ajoute le chef de l’État. « Allez voir dans les quartiers comment cela change la vie ! » Jean-Jacques Goldman n’aurait pas dit mieux. Modifié avril 20, 2021 par mangodisco 2 Lien à poster Partager sur d’autres sites
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