Bienvenue à Denver, capitale mondiale du cannabis légal


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Au Colorado, six ans après la légalisation et un boom économique, la concurrence est rude dans le business du cannabis. Et les trafics subsistent avec les Etats voisins, où cette drogue reste illégale.

 

Michael Eymer, fondateur du Cannabis Tour.

Michael Eymer, fondateur du Cannabis Tour.

F. Fayolle

 

Rendez-vous est donné sur un parking dans une zone industrielle au nord de Denver. Trois touristes venues du Michigan embarquent dans un van aux vitres teintées. Le Colorado Cannabis Tour commence. Rapidement, les premiers joints sont allumés, pour le plus grand bonheur des participantes qui ont payé 100 dollars pour consommer et visiter deux fermes de producteurs. Bienvenue dans le Colorado, le premier Etat américain à avoir légalisé, en 2012, l’usage récréatif de la marijuana suite à un référendum où le pour l’a emporté à 54 %. Depuis, c’est la ruée vers l’herbe.

 

Rien qu’en 2017 le business se chiffrait à 1,5 milliard de dollars, soit 0,55 % du PIB de l’Etat. On compte plus de points de vente de cannabis (520 fin 2017) que de Starbucks (392) et de McDonald’s (208). Ce boom économique a permis de créer quelque 50 000 jobs. De quoi susciter des vocations, comme celle de Michael Eymer, le fondateur du Cannabis Tour, un trentenaire au look de hipster, barbe fournie et casquette ornée d’une feuille de weed vissée sur la tête. « J’ai commencé en 2014, et depuis ça ne désemplit pas, explique-t-il au volant de sa berline Audi flambant neuve. Je transporte 5 000 touristes par an. Je vis désormais très bien, même si je ne suis pas millionnaire. »

 

Empires de la « beuh »

D’autres ont vraiment réussi à créer des petits empires de la « beuh ». C’est le cas d’Arbeláez Norton, un ancien avocat de 37 ans d’origine colombienne, qui a démarré en 2009 son business avec seulement 800 dollars en poche. « Aujourd’hui, j’emploie plus de 100 personnes dans le Colorado et possède trois magasins et plusieurs plantations, détaille-t-il posément dans l’un de ses établissements. Mais c’est devenu plus dur de faire de l’argent. Les prix de vente de la marijuana ont baissé car il y a beaucoup de producteurs. Bref, le marché est saturé. » Autre difficulté : « Il est très difficile de réinvestir, car les banques refusent de prendre notre argent, la vente de marijuana étant toujours un délit au niveau fédéral, lâche-t-il. On se débrouille avec les établissements locaux. » Cela ne l’a pas empêché de lancer un business dans le Massachusetts, où, depuis la légalisation en 2016, il s’est lancé dans la production et a ouvert quatre points de vente. Au total, Arbeláez Norton emploie 400 salariés.

 

Cet homme à l’allure apprêtée, aux antipodes des stéréotypes des fumeurs de joint, est surtout devenu au fil des ans la figure emblématique de la légalisation dans le Colorado. C’est lui qui est à l’origine de la création d’un groupe d’entrepreneurs activistes, nommé le Marijuana Industry Group, qui a joué un rôle décisif. « En 2010, on a engagé des lobbyistes pour préparer des textes législatifs, raconte-t-il. On a organisé une grande opération de porte-à-porte afin de récolter le nombre de signatures nécessaires pour provoquer un référendum. » Une fois la bataille des urnes gagnée, ce groupe a co-construit avec l’Etat un cadre pour organiser le marché. Avec, à la clé, la création d’un département administratif dédié à la régulation du commerce de la marijuana.

Dans son bureau avec vue sur le capitole de Denver, un grand bâtiment de granit blanc au dôme recouvert d’or, Michael S. Hartman, directeur de ce service, détaille : « Nous avons plusieurs missions, à la fois de délivrer les licences pour cultiver et vendre de la marijuana, contrôler la production pour savoir où et sous quelle forme l’herbe est vendue et enfin garantir la qualité des produits. » Une organisation très bureaucratique qui semble avoir fait ses preuves, puisque « les Etats qui ont récemment légalisé le cannabis copient notre système », poursuit-il.

 

Son département est financé grâce aux 250 millions de dollars de taxes sur la marijuana perçue par le Colorado. Cette manne est également utilisée pour rénover les écoles (90 millions chaque année) ainsi que pour lancer des campagnes de sensibilisation calquées sur celles de la consommation d’alcool. Malgré ces précautions, le marché noir n’a pas disparu. « Suite à la légalisation, le Colorado est devenu la capitale de la marijuana aux Etats-Unis », détaille Paul Roach, un agent de la DEA, l’agence fédérale antidrogue.

 

Nouvelle criminalité

Selon un rapport du Rocky Mountain High Intensity Drug Trafficking Area, les arrestations liées au trafic illégal ont explosé en trois ans, passant de 138 en 2013 à plus de 250 fin 2016. Quant aux saisies, elles ont doublé : rien qu’en 2016, 3,5 tonnes d’herbe, à destination de 36 Etats où la consommation est encore prohibée, ont été interceptées par les autorités. « Le marché noir représente encore 30 % du business total, commente Cynthia H. Coffman, procureure du Colorado. On retrouve cette production illégale dans les rues de New York ou Chicago. »

Même constat au sein de la police de Denver. « La criminalité liée à la marijuana n’a pas disparu, elle a juste changé de forme, juge James Henning, commandant de l’unité d’investigation, en uniforme bleu marine, pistolet à la ceinture. Avant, les dealers vendaient de l’herbe au coin des rues. Avec la légalisation, le problème est autre : beaucoup de gens font pousser de grandes quantités de marijuana chez eux pour la revendre. Du coup, cela suscite la convoitise et engendre de la violence. Il y a aussi le problème de voisinage : l’herbe, ça sent très fort ! »

 

En revanche, la légalisation n’a pas engendré de boom de la consommation. « Elle est stable depuis 2014 : 15,5 % de la population fume régulièrement, ce qui est moins que le binge drinking, pratiqué par 20 % », affirme Elise Contresas, une épidémiologiste travaillant au ministère de la Santé publique de l’Etat. Même tendance chez les jeunes. « Il n’y a pas eu de sursaut d’usage de la marijuana chez les 15-25 ans, avance Ashley Brooks, docteur à l’université de Denver, qui a travaillé sur cette classe d’âge. Les jeunes étaient déjà exposés à ce produit, facile à trouver sur le marché noir avant 2012. »

Cette chercheuse dans la trentaine travaille depuis peu sur un autre enjeu de santé publique : la marijuana au volant. Sa mission : trouver un test facile à utiliser par les forces de l’ordre. « On préfère contrôler les gens pour l’alcool car c’est plus facile et surtout cela coûte moins cher et prend moins de temps », confie un policier de Denver. « On n’a pas encore réussi à déterminer scientifiquement à partir de quel seuil de THC dans le sang un conducteur ne peut plus prendre sa voiture », commente la chercheuse Ashley Brooks. Du coup, lors des procès pour conduite sous emprise de substance cannabinoïde, les avocats de la défense démontent à chaque fois l’argumentation des forces de police. »

 

Les entreprises dans certains secteurs comme les travaux publics ou le bâtiment sont aussi confrontées à ce problème. « Beaucoup de sociétés exigent désormais que leurs employés réalisent des tests sanguins pour s’assurer qu’ils ne fument pas, affirme la procureure Cynthia H. Coffman. Le hic, c’est que beaucoup sont positifs, ce qui a engendré dans certains comtés de l’Etat une pénurie de main d’œuvre. »

 

Source: challenges.fr

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