Ce que les hollandais peuvent nous apprendre sur le cannabis


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Le cannabis pourrait bientôt devenir familier dans notre vie occidentale, comme l’alcool ou le café, et remplacer les cigarettes, qui sont devenues socialement inacceptables.

Ce que les hollandais peuvent nous apprendre sur le cannabis

PETER DEJONG/AP/SIPA

Quand le ‘Financial Times’ m’a demandé d’aller fumer de l’herbe à Amsterdam, j’ai appelé une amie là-bas pour savoir si elle pouvait me recommander un bon “coffee-shop”, le mot local pour un café-cannabis. Sa réponse a été très classique pour une Néerlandaise : “Je n’ai jamais été dans un de ces cafés.” Elle m’a indiqué le Paradox, le plus proche de l’école de son fils, pour qu’elle puisse aller le chercher après notre séance.

Voilà, nous sommes assis dans ce qui donne l’impression d’être un salon confortable, avec beaucoup de coussins, entourés de jeunes venus du monde entier, bien habillés, bien élevés, calmes. Le propriétaire du café, Ludo Bossaert, a ouvert le Paradox il y a 27 ans. Il recommande un joint à 5 euros de “Pure Special Haze Mix”. Si j’en crois la longue carte détaillée, il devrait me procurer un “super high”. Je suis peut-être la première personne dans l’histoire du Paradox à demander une facture.

“Nous sommes assis dans ce qui donne l’impression d’être un salon confortable, avec beaucoup de coussins, entourés de jeunes venus du monde entier, bien habillés, bien élevés, calmes”

Ludo est passionné de botanique, historien des narcotiques et sommelier d’herbes. Il me montre comment lécher le joint pour l’humidifier avant de l’allumer, pour savourer son arôme doux qui rappelle vaguement la cannelle. Je commence à tirer sur le joint. Il me félicite, les pouces en l’air : “ça, c’est du journalisme d’investigation !”

 

Il fallait bien que quelqu’un se dévoue puisque le cannabis est maintenant un sujet politique de première importance. Le 17 octobre dernier, le Canada a été la première grande économie à légaliser le cannabis à usage récréatif. (L’Uruguay avait ouvert la voie en 2013.) En Grande-Bretagne, les médecins du Service national de santé (NHS) peuvent prescrire du cannabis à usage médical depuis le 1er novembre. Trente États américains ont légalisé le cannabis à usage médical, neuf autres autorisent son usage récréatif. Donald Trump a fait savoir qu’il soutenait la dépénalisation au niveau fédéral. Le cannabis pourrait donc bientôt devenir familier dans notre vie occidentale, comme l’alcool ou le café, et remplacer les cigarettes, qui sont devenues socialement inacceptables. Après presque cinquante ans de tolérance aux Pays-Bas, est-ce une bonne chose ? Et l’herbe peut-elle traiter nos douleurs et nos maladies ?

 

Les humains fument des feuilles de cannabis depuis au moins 5 000 ans et ont probablement commencé à le faire dans la Chine de l’Antiquité, souvent comme analgésique. Du pollen de cannabis a été retrouvé dans une tombe datant de 4 200 ans aux Pays-Bas. Même la reine Victoria s’est vue “prescrire de la marijuana médicale par le médecin de la cour pour la soulager de ses crampes menstruelles” selon John Hudak, auteur de ‘Marijuana : A Short History’.

L’herbe semble être devenue un sujet de discorde durant les années où le mot “marijuana” a été associé aux immigrés mexicains en Amérique. En 1937, peu après avoir abandonné la prohibition de l’alcool, les États-Unis ont commencé à réprimer la détention de marijuana, écrit John Hudak. À la fin des années 1950, le pays l’avait effectivement condamnée à la clandestinité. En 1961, un bureau des Nations unies classa le cannabis dans son “Tableau 1” des substances contrôlées, parmi les stupéfiants à haut risque d’addiction, ce qui la condamna à l’illégalité à peu près partout ailleurs.

“L’herbe semble être devenue un sujet de discorde durant les années où le mot “marijuana” a été associé aux immigrés mexicains en Amérique”

Puis est arrivée la “guerre contre la drogue” de Richard Nixon. Herbe, héroïne, tout. Sa cible était moins l’herbe que les jeunes aux cheveux longs qui semblaient la révérer comme un sacrement. “Quand tu fumes de l’herbe, elle te révèle à toi-même” disait Bob Marley. Et Bob Dylan chantait “Everybody must get stoned”.

En 1970, le président Nixon mit en place la Commission Shafer pour le conseiller sur les mesures à prendre. Mais le rapport final ne lui fut pas d’une grande aide. “La Commission est d’avis unanime que la consommation de marijuana n’est pas un problème grave… au point de lancer des poursuites pénales envers les personnes qui en fument.” C’était dans le droit fil des précédents avis officiels américains, à commencer par celui du maire de New York, Fiorello La Guardia, en 1944. Selon ces rapports, la consommation d’herbe n’était pas vraiment “une affaire grave”.

 

Nixon ignora tout simplement Shafer et sa commission. Il signa des lois et créa une bureaucratie pour lutter contre l’herbe. Pendant ce temps, le tabac et l’alcool, les drogues de la “majorité silencieuse”, envahissaient la publicité, partout. (Nixon buvait lui-même beaucoup et s’injectait un médicament contre l’épilepsie, le Dilantin, comme tranquillisant.)

 

Richard Nixon venait de rendre le cannabis populaire, par inadvertance. Beaucoup d’ados américains savaient par expérience personnelle que l’herbe n’allait probablement pas détruire leur vie. Du coup, elle devint une transgression peu risquée.

Quand les États-Unis pénalisèrent l’herbe, les somnolents Pays-Bas venaient juste de la découvrir. En dehors des cercles hippies d’Amsterdam, le premier événement public fortement imprégné de marijuana fut sans doute un festival de musique à Rotterdam, en 1970. Des milliers de jeunes fumèrent sans être inquiétés tandis que des policiers en civil patrouillaient en les observant. Cees Ottevanger était alors un jeune inspecteur de police. Des décennies plus tard, il a raconté durant l’émission de télévision ‘Andere Tijden’ : “Avec la meilleure volonté du monde, nous ne pouvions pas décrire ça comme quelque chose de mauvais ou de désagréable. Parce que c’était fantastique, cette ambiance, et il n’y avait aucune raison de craindre un incident.”

L’État néerlandais ne légalisa pas le cannabis, pour ne pas mécontenter les pays alliés. Mais il décida de ne plus poursuivre les consommateurs. Les autorités estimaient que blowen (fumer de l’herbe, en argot) n’était pas plus dangereux que boire de l’alcool ou du café, et que si c’était le cas, une prohibition ne ferait que créer un marché noir dirigé par les criminels.

“L’État néerlandais ne légalisa pas le cannabis, pour ne pas mécontenter les pays alliés. Mais il décida de ne plus poursuivre les consommateurs”

C’est une erreur de croire que les Pays-Bas sont pro-cannabis, ou pro-prostitution (elle est légale dans ce pays). Disons que les Pays-Bas sont un pays pragmatique. Ils préfèrent que les activités à risques aient lieu au grand jour, pour pouvoir les surveiller (et les taxer), alors que d’autres pays les poussent dans la clandestinité, dans des zones troubles.

J’ai vécu aux Pays-Bas pendant la plus grande partie de ma scolarité, de 1976 à 1986. Il y avait des coffee-shops dans ma ville et quelques-uns de mes copains sont devenus de vrais camés pendant un temps, mais pour les ados, ça n’avait rien d’attirant. Dans mon lycée, l’herbe n’était pas associée à la créativité ou à la révolte, mais aux cancres amorphes. Les cigarettes étaient beaucoup plus cool.

 

Nous avons eu des campagnes de prévention uniquement sur les drogues dures. Je me souviens encore du film allemand terrifiant qui avait été projeté : ‘Christiane F’, l’histoire d’une adolescente accro à l’héroïne qui se prostitue. En 2009, quand les Pays-Bas ont publié un classement des drogues les plus dangereuses, les quatre premières étaient : 1. Crack. 2. héroïne 3. tabac 4. alcool. Le cannabis arrivait en dixième position.

Les Américains de ma génération avaient grandi autrement. Dans les années 1980, Nancy Reagan, la première dame des États-Unis, avait lancé une guerre contre les drogues douces et dures, sans discrimination, avec le slogan “Just say no” (‘Dites non, c’est tout’). Dans le monde entier, des vieux schnocks alarmistes ont donné à la fumette des allures de fruit interdit.

Je m’en suis aperçu quand je suis parti étudier en Grande-Bretagne. J’ai eu à organiser deux rencontres de foot à Amsterdam. Là, mes coéquipiers n’avaient pas envie de se plonger dans la vie des étudiants d’Amsterdam, avec ses merveilleux cafés et ses promesses de rencontres amoureuses. Ils voulaient juste traîner tous les soirs dans le quartier chaud ou bien rester vissés dans des coffee-shops minables, des pièges à touristes. Fumer me ralentissait, surtout quand mes copains me pinçaient le nez pour que je ne puisse pas recracher la fumée. J’avais 20 ans, j’étais hyperactif et je n’avais pas envie d’être ralenti.

 

Parce que je boudais, notre gardien de but, un Américain, m’a fait la leçon sur le plaisir de fumer de l’herbe légalement. Mais d’un autre côté, admettait-il, l’un des grands plaisirs d’une adolescence américaine était de boire de la bière et de fumer de l’herbe en cachette. La légalisation aurait ruiné tout ça, avait-il dit. À l’époque, la légalisation semblait impensable aux États-Unis. C’est alors que Bill Clinton est devenu le premier président américain à admettre avoir fumé de l’herbe (en ajoutant qu’il n’avait pas inhalé la fumée). Cet aveu l’a condamné à poursuivre fermement la guerre contre la drogue inventée par Richard Nixon, écrit John Hudak.

Les Pays-Bas et leur tolérance des drogues douces font une apparition dans le film ‘Pulp Fiction’ de Quentin Tarantino en 1994. Il avait vécu quelque temps à Amsterdam :

“Bill Clinton est devenu le premier président américain à admettre avoir fumé de l’herbe (en ajoutant qu’il n’avait pas inhalé la fumée). Cet aveu l’a condamné à poursuivre fermement la guerre contre la drogue inventée par Richard Nixon”

Vincent – Ouais, en gros ça se résume à ça : c’est légal d’en acheter, c’est légal d’en posséder et, si vous êtes le propriétaire d’un café, c’est légal d’en vendre. C’est légal d’en avoir sur soi, mais ce n’est pas très important parce que - écoute bien ça, d’accord ? - si les flics t’arrêtent à Amsterdam, ils n’ont pas le droit de te fouiller.

Jules – [il rit] Oh, mec ! J’y vais, c’est tout ce que j’ai à dire. Putain, je vais y aller.

Mais en fait, le cannabis n’est pas légal à Amsterdam. Ludo se souvient d’un accrochage avec un policier lors d’une descente au Paradox :
Ludo – C’est légal, n’est-ce pas ?
Policier – Ce n’est pas légal du tout !
Ludo – Alors c’est illégal ?
Policier – Non plus.
Ludo – Alors, quoi ?
Policier – C’est toléré.

Ludo a le droit de vendre cinq grammes par client et par jour, sur lesquels il paye des impôts, mais pas de TVA. “Parce que le produit n’existe pas officiellement en Europe”, explique-t-il. L’approvisionnement – qu’on appelle la “backdoor”, ou porte arrière, dans les coffee-shops néerlandais – est techniquement illégal. “Puisque c’est illégal, le prix de l’herbe est élevé, parce que vous payez pour le risque” explique Ludo. Il règle uniquement en liquide des producteurs artisanaux en qui il a confiance. “Je préfère des petites quantités cultivées avec amour. Avec les livraisons plus importantes, les gens sont souvent à la limite de la criminalité organisée.” Légalement, il a le droit de détenir seulement 500 grammes de stock. Toute la journée, des camionnettes et des vélos passent le refournir.

 

La police le contrôle régulièrement. Si elle surprend des mineurs dans son café, ou des drogues dures, ou un excédent de stock, elle peut fermer l’établissement. En 1995, Amsterdam comptait 350 coffeeshops. La moitié environ a fermé depuis, surtout par volonté de freiner un tourisme de masse du joint. Jusqu’ici, Ludo a bénéficié de la fermeture de ses concurrents. En ce jour de semaine, toutes les tables du Paradox sont occupées.

Il a une spécialité, les “space cakes” : de fines tranches contenant un gramme d’herbe chacune. Une cliente de Shanghai lui a un jour envoyé une lettre décorée de dessins d’origami, pour le remercier “du pain”. Ludo explique : “elle voulait dire du cake, mais en Chine, il faut faire attention à ce qu’on dit”.

Les space cakes sont traîtres. Avec un joint, le cannabis passe rapidement dans le métabolisme, ce qui vous rend “stone”. Vous arrêtez alors de fumer (un mécanisme de régulation qui n’existe pas avec le tabac ou l’alcool). Mais ingéré, l’effet du cannabis peut mettre des heures à se manifester et les utilisateurs font fréquemment des overdoses. Les services sanitaires d’Amsterdam, lassés de ramasser les clients de Ludo dans le caniveau, inconscients, lui ont demandé d’arrêter de vendre des space cakes.

Il a continué, mais il enveloppe depuis chaque tranche dans de longues précautions d’utilisation : “Si vous n’avez jamais fumé du cannabis auparavant : mangez un quart de tranche et attendez deux heures pour les effets”, etc.

“Les services sanitaires d’Amsterdam, lassés de ramasser les clients de Ludo dans le caniveau, inconscients, lui ont demandé d’arrêter de vendre des space cakes”

Je m’en tiens aux joints. Je n’inhale pas profondément la fumée pour obtenir l’effet “super high”. Peu à peu, j’apprends à inhaler deux fois, de façon rapprochée, et une sensation peu familière se répand en moi. Finalement, j’arrive à mettre un nom dessus : je me sens détendu.

“Tout devient plus doux, plus rond” explique Ludo.

“Il est pâle” s’inquiète mon amie.

“Son taux de sucre descend” explique Ludo. Le serveur m’apporte un thé à la menthe sucré au miel. Mais je me sens heureux. J’ai perdu la notion du temps et j’observe avec bonté les autres clients. Beaucoup sont rivés à leurs écrans. Tout est silencieux, jusqu’à ce qu’une voiture klaxonne à l’extérieur.

 

“Willem, ton taxi !” crie un des habitués, dans un coin.

Willem est un monsieur âgé dans un fauteuil roulant qui a participé à notre conversation sur la politique américaine du cannabis. Son “taxi” est en fait un bus municipal pour les handicapés qui passe le chercher. Comme un rituel, Ludo pousse son fauteuil roulant jusqu’à la rampe d’accès au bus. C’est un spectacle très Amsterdam.

Pendant peut-être quarante ans, les coffee-shops d’Amsterdam ont été à la pointe de la politique du cannabis dans le monde. À la fin du XXe siècle, les Pays-Bas étaient d’ailleurs un laboratoire du futur. J’ai grandi avec les pistes cyclables ; en 1999, les Néerlandais ont inventé la téléréalité avec ‘Big Brother’ [‘Le loft’, ndt]; et en 2001, ils ont inauguré le mariage gay. Mais ce pays n’invente plus le futur. Pour ce qui concerne le cannabis, la “tolérance” des Pays-Bas, avec son style années 1970, a été rattrapée par la légalisation dans d’autres pays.

“À la fin du XXe siècle, les Pays-Bas étaient un laboratoire du futur. J’ai grandi avec les pistes cyclables ; en 1999, les Néerlandais ont inventé la téléréalité avec ‘Big Brother’ [‘Le loft’, ndt]; et en 2001, ils ont inauguré le mariage gay. Mais ce pays n’invente plus le futur”

À un moment donné, au siècle dernier, les États-Unis ont commencé à s’interroger sur la guerre contre l’herbe. La plupart des Américains peuvent facilement se procurer du cannabis en dépit des dizaines de milliards dépensés en répression et les vies détruites par l’arrestation ou la prison.

En 2008, une analyse de données conduite par Louisa Degenhardt, du National Drug & Alcohol Research Center de l’université australienne de Nouvelle Galles du Sud, concluait que “la consommation [sur une vie] de cannabis aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande est beaucoup plus importante que dans n’importe quel autre pays (+ 42 % pour chacun de ces deux pays)”.

 

Le pourcentage aux Pays-Bas était de 20 % (plus élevé que dans la plupart des pays européens). Une conséquence de toute cette fumée a été que la jeune génération en Amérique a appris que l’herbe n’était pas diabolique.

Barack Obama a été élu président après avoir dit : “Quand j’étais ado, j’ai inhalé. C’était ça l’important.” (Son livre ‘Dreams From My Father’, publié en 1995, peut même avoir exagéré sa consommation.) Quoi qu’il en soit, l’historien de l’herbe John Hudak fait remarquer que si Obama avait été arrêté pour possession – le destin d’innombrables jeunes Noirs, étant donné les inégalités raciales dans la répression du cannabis – cela aurait fait dérailler sa carrière.

 

George Soros et Michael Bloomberg, deux financiers multimilliardaires, ont admis avoir fumé. Plus récemment, quand Elon Musk a tweeté qu’il privatisait Tesla à 420 dollars l’action, la US Securities and Exchange Commission l’a sanctionné pour “fraude”. Dans son rapport, on apprend que “M. Musk a déclaré qu’il avait fixé le prix à 420 dollars parce qu’il avait peu auparavant appris le lien entre ce chiffre et la marijuana et pensait que sa petite amie ‘trouverait ça drôle’, ce qui, je l’admets, n’est pas la meilleure raison pour déterminer le prix d’une action.” (en argot américain, “420” signifie fumer du cannabis.)

 

Pour faire court, le cannabis devient un produit de consommation courante en Amérique. Le gouvernement fédéral et beaucoup d’États continuent à résister. En 2016, 587 700 Américains ont été arrêtés pour possession de marijuana, plus que toutes les arrestations pour l’ensemble des crimes violents. L’actuel procureur général, Jeff Sessions, est un guerrier anti-drogues à la Nixon. Mais le temps travaille contre lui. Trump est conscient que la plupart des Américains sont favorables à la légalisation. Ludo, à Amsterdam, remarque que ses clients américains deviennent blasés : “Avant, ils lisaient toujours mon menu avec admiration. Maintenant, ils se disent probablement ‘Ce type ne vend que cinq variétés d’herbe’.”

Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, il trouve que l’autorisation de l’usage médical est un début prometteur : “une légalisation totale serait bien pour eux, pour arrêter d’être si coincés. Et vous auriez dans la minute des milliers de personnes qui travailleraient dans ce secteur”.

 

Le cannabis légalisé dans l’anglo-sphère pourrait devenir une mauvaise nouvelle pour l’activité de Ludo. Mais il espère que cela déclenchera des recherches médicales, très nécessaires. Les scientifiques n’ont jamais beaucoup étudié cette plante, craignant que la police ne débarque pour saisir le contenu des placards du laboratoire. Pour une drogue aussi répandue, nous en savons très peu sur elle, à un point étonnant. Nous commençons tout juste à découvrir quelle partie de la plante fait quoi. Maintenant, des découvertes pourront être faites. De grands espoirs médicaux reposent sur le cannabis comme traitement contre tout, depuis la douleur jusqu’à l’épilepsie en passant par la sclérose en plaque. Un premier bilan des études existantes effectué par Sally Davies, directrice de la Santé publique d’Angleterre, a conclu qu’il y avait des preuves des bénéfices thérapeutiques du cannabis.

“De grands espoirs médicaux reposent sur le cannabis comme traitement contre tout, depuis la douleur jusqu’à l’épilepsie en passant par la sclérose en plaque”

David Nutt, professeur de pharmacologie neuro-psychiatrique à l’Imperial College de Londres, prédit qu’“il deviendra un médicament très utilisé, mais ce seront des médicaments différents”. Selon lui, les États-Unis auraient pu s’éviter l’épidémie d’addictions aux opioïdes si les médecins avaient prescrit du cannabis et non des opioïdes contre la douleur.

Ludo est particulièrement enthousiaste au sujet d’une molécule du cannabis appelée CBD (cannabidiol). Elle n’est pas psychoactive. Ça vous calme et vous aide à dormir, dit-il. “Les gens en donne à leurs enfants, à leur chien.” De gens respectables, comme son dentiste et son comptable, s’y intéressent. Le mois dernier, Coca-Cola a annoncé qu’il “suivait de près la croissance du CBD (non psychoactive) comme ingrédient de boissons pour le bien-être fonctionnel”. Le cannabidiol pourrait devenir un jour mieux accepté socialement que le sucre.

 

Le cannabis peut faire du bien. Mais il peut aussi faire du mal. J’ai vu un proche se transformer en camé léthargique et paranoïaque, avec un trou de dix ans dans son CV qui l’a handicapé longtemps après avoir décroché. L’American Lung Association avertit que si elle est fumée, la marijuana “abîme les poumons humains, sa consommation régulière peut provoquer des bronchites chroniques et rendre les personnes immuno-déficientes plus exposées aux infections pulmonaires”. Les gros consommateurs présentent aussi un risque plus élevé de psychoses.

Aux États-Unis, la légalisation paraît avoir légèrement augmenté le nombre de ceux qui fument au quotidien. Cette semaine, Facebook a autorisé les sociétés présentes sur le marché du cannabis à figurer dans ses résultats de recherches.

 

La nouvelle industrie américaine du cannabis, comme les grands groupes du tabac et les casinos, a tout intérêt à encourager les gros consommateurs. De façon peut-être classique, les États-Unis pourraient passer de l’incarcération de masse à une surconsommation dérégulée.

Je comprends bien les risques. Et pourtant, je suis sorti du Paradox converti. Un ami qui s’y connaît en drogues m’avait un jour conseillé : “Tu es vraiment hyperactif, alors, ne prends jamais de cocaïne. Ce qu’il te faut, c’est de l’herbe.” En me promenant le long des canaux d’Amsterdam dans le soleil de fin d’après-midi, j’ai compris ce qu’il voulait dire. Le cannabis s’insérerait merveilleusement bien dans la vie trépidante, famille-travail, d’un quadragénaire comme moi. Je n’ai pas le temps de passer des après-midi “alternatifs” avachi sur le sofa (à moins que le FT ne me confie d’autres reportages de ce genre). Je veux juste fumer un joint de temps à autre, le soir, pour me relaxer. Unwinden, comme dit Ludo à Amsterdam. L’herbe semble un décontractant plus sain que le vin.

“La nouvelle industrie américaine du cannabis, comme les grands groupes du tabac et les casinos, a tout intérêt à encourager les gros consommateurs. De façon peut-être classique, les États-Unis pourraient passer de l’incarcération de masse à une surconsommation dérégulée”

Avant de quitter Amsterdam, je suis passé dans un “headshop” [magasin de champignons hallucinogènes et autres stupéfiants, ndt] pour acheter une pipe à vapeur. Je trouvais les joints trop amers. Je n’ai pas ramené de cannabis chez moi, en France, où c’est illégal. J’ai l’intention d’en acheter à un ami près de Paris, qui en partage régulièrement.

Enfin, dans la grande chaîne néerlandaise de pharmacies Etos, j’ai acheté un paquet de comprimés de CBD dans un grand présentoir de produits à base de cannabidiol. “Pas d’accoutumance” proclame l’emballage.

Depuis, je prends un comprimé presque tous les soirs, une demi-heure avant de me coucher. Je n’en ai pas amené avec moi au Qatar, pour ne pas risquer dix ans de prison. Le CBD me détend, un peu. Il me reste à chercher de l’herbe chez mon ami, mais jusqu’ici, entre le travail et les enfants, aucun de nous deux n’a pu trouver le temps.

 

Simon Kuper, FT

translated content from the Financial Times

Source: lenouveleconomiste.fr

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