Légaliser le cannabis : qu'est-ce que ça coûte et combien ça rapporte?


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Dans un rapport dévoilé dimanche par le JDD, le think tank GénérationLibre démontre une nouvelle fois les avantages économiques de la légalisation du cannabis. Mais pour être aussi rentable que possible et prévenir tout coût sanitaire et social, celle-ci devrait être minutieusement orchestrée.

Après la Californie le 1er janvier, le Canada autorisera sa première vente légale de cannabis le 1er juillet 2018.
Après la Californie le 1er janvier, le Canada autorisera sa première vente légale de cannabis le 1er juillet 2018. (Reuters)
 
 

Les défenseurs de la légalisation du cannabis en France ont de quoi être frustrés. Alors que la Californie est devenue au 1er janvier le huitième Etat des Etats-Unis à autoriser la marijuana, et que le Canada fera de même à partir du 1er juillet 2018, le gouvernement français a présenté cette année son projet d'amende forfaitaire pour les consommateurs. Une décision regrettable selon Gaspard Koenig, dont le think tank GénérationLibre publiait dimanche 6 mai un rapport prônant la légalisation, dévoilé en exclusivité par le JDD.

 

Lire aussi : "Pourquoi il faut légaliser le cannabis en France"

 

Mais si les bénéfices - économiques, entre autres - de la légalisation du cannabis ont souvent été soulignés, la question du modèle d'encadrement du marché du cannabis soulève toujours de nombreuses questions. Monopole d'Etat, dépénalisation ou marché concurrentiel régulé? Quel montant pour la taxe publique? Doit-on attribuer une licence aux actuels dealers illégaux? De ces questions dépendent la rentabilité et le succès de la légalisation, mais aussi l'amortissement du coût social et sanitaire qu'elle pourrait engendrer.  

 

Uruguay, Colorado et Washington tirent un bilan mitigé de la légalisation du cannabis

Le projet du gouvernement "va à l'encontre du mouvement mondial de dépénalisation et à l'encontre du bon sens", déplore Gaspard Koenig. Si la France traîne la patte, c'est aussi que les années d'expériences potentiellement inspirantes se comptent sur les doigts d'une main : l'Uruguay, le Colorado et l'Etat de Washington, pionniers en la matière, n'ont mis en œuvre la légalisation qu'en 2014.

Peu de recul sur cette innovation, donc. Selon l'étude Cannalex présentée fin 2017 par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), le bilan est mitigé dans les trois Etats. Côté économie, la légalisation a tenu ses promesses dans le Colorado et l'Etat de Washington, qui totalisent chacun 1 milliard de dollars de chiffre d'affaires annuel.

 

Dépénalisation, concurrence, monopole d'Etat : trois scénarios pour la marijuana

En 2014, le think tank Terra Nova avait calculé le manque à gagner du marché du cannabis en France, selon trois scénarios.

  • La dépénalisation. Supprimer les lois qui punissent le consommateur représenterait une économie budgétaire de 311 millions d'euros. Une somme retranchée au coût de fonctionnement des unités policières, judiciaires et carcérales mobilisées autour de la répression des "fumeurs de joints".
  • Le monopole public. Si l'Etat contrôlait la production et la vente de marijuana, les dépenses publiques en matière de répression chuteraient de 523 millions d'euros. Auxquels pourraient s'ajouter 1,3 milliard d'euros de recettes fiscales, selon Terra Nova.
  • La légalisation concurrentielle. Avec 2,2 milliard d'euros de bénéfice public par an, ce serait le scénario le plus juteux, prévoit le think tank. Au détriment des considérations de santé publique, car la chute des prix due à la concurrence entraînerait probablement une forte hausse de la consommation.

Des chiffres impressionnants, mais à nuancer : ils sont calculés dans l'hypothèse d'une taxation similaire à celle du tabac, c'est-à-dire plus de 80%. Un montant qui ne permettrait en aucun cas de proposer des prix suffisamment attractifs pour éliminer le marché noir.

 

Un temps d'ajustement avant la fin du marché noir… ou son évolution

Avec l'hypocrisie du système répressif et le bénéfice économique, c'est l'un des principaux arguments des partisans de la légalisation : encadrer la production et le commerce de cannabis mettrait un point final à l'économie informelle et aux violences qu'elle engendre. Trois ans après la légalisation, un marché noir du cannabis subsiste pourtant dans les deux Etats nord-américains comme en Uruguay.

 

En cause notamment, une insuffisance de la production légale par rapport à la demande. Ce sont les classes défavorisées et les mineurs qui y ont le plus recours. Autre risque : que les organisations illégales se tournent davantage vers le marché des drogues dures, avec des conséquences néfastes sur la criminalité.

 

La légalisation permettrait de transformer les petits dealers hors la loi en entrepreneurs intégrés à la société

 

S'attaquer à l'économie informelle présente aussi un coût social. Le deal fait partie intégrante de la vie de certains quartiers. Un enjeu dont la Californie s'est saisie en accordant des licences de vente en priorité aux personnes ayant fait l'objet de condamnations pour trafic. Dans son interview accordée au JDD, Gaspard Koenig espère que la légalisation aura ainsi pour effet de "transformer les petits dealers hors la loi en entrepreneurs intégrés à la société". Une réhabilitation pour le moins contraire à la mentalité française sur le sujet jusqu'à présent.

 

Prévenir le risque d'une hausse de la consommation de cannabis

Les détracteurs de la légalisation craignent avant tout que celle-ci engendre une hausse de la consommation. Un argument balayé du revers de la main par ses partisans : de fait, le système répressif peine à dissuader les usagers. Selon les statistiques officielles, 700.000 Français consommeraient régulièrement de la marijuana. Un chiffre largement sous-estimé selon certains, qui évoquent plus d'un million de personnes.

 

Le principal enjeu pour la France serait de trouver un montant approprié pour la TVA sur le cannabis. Trop basse, elle serait en effet une incitation à la consommation. Trop haute, elle ne parviendrait pas à être attractive face au marché noir subsistant. Dans son numéro de février 2016 présentant les bénéfices économiques de la légalisation, l'hebdomadaire libéral anglais The Economist prenait pour exemple les Etats-Unis durant la Prohibition : des taxes faibles au départ le temps d'évincer la mafia, puis plus importantes par la suite.

 

Dans le Colorado, la consommation a augmenté depuis 2014, mais elle a au contraire légèrement diminué dans l'Etat de Washington. Or, les deux Etats étaient inégalement préparés, souligne Ivana Obradovic, directrice adjointe de l'OFDT, dans une interview à Mediapart. "Au Colorado, les autorités ne s’attendaient pas du tout à ce que la légalisation soit approuvée par référendum, explique-t-elle. Elles ont été obligées de mettre en œuvre dans l’urgence une réforme à laquelle elles étaient opposées et sans précédent sur lequel s’appuyer. Alors que dans l’État de Washington, la réforme est préparée depuis des dizaines d’années." Une expérience qui souligne d'autant plus la nécessité d'un débat national serein, loin des passions que la légalisation déchaîne en France.  

 

Source: lejdd.fr

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