mrpolo 7 743 Posté(e) juillet 15, 2016 Partager Posté(e) juillet 15, 2016 Premier État à avoir autorisé, en 2014, l’usage non médical du cannabis, le Colorado pourrait bien être suivi par sept autres États, dont la Californie. Plongée au cœur du « green rush ». Colorado : L’Eldorado du cannabis ©Matt Nager/REDUX-REA C'est un couple de jeunes retraités, bermuda, chemisette à carreaux et chaussures de randonnée. Ils se pressent contre le comptoir en verre qui abrite de minuscules bouquets rangés dans des petits sacs en plastique transparent. La vendeuse aux bras tatoués présente son plus beau sourire : « Vous cherchez quelque chose de particulier ? »« Des fleurs », murmure la dame, serrant son sac à dos contre ses genoux. Tous les ans, elle traverse le pays d'est en ouest pour profiter de l'air des montagnes du Colorado. « À chaque fois, on fait le plein d'herbe, avoue-t-elle en souriant. Ça nous rappelle notre jeunesse. »L'air de rien, c'est une experte. Elle a déjà testé une dizaine de magasins à Denver, mais Good chemistry est l'une des adresses incontournables sur Colfax, la plus célèbre avenue de la ville. Cette route a connu son heure de gloire quand les chercheurs d'or l'empruntaient pour gagner les Rocheuses ; elle tire aujourd'hui sa renommée d'un autre genre de pépites. Le Colorado est le premier État américain à avoir légalisé le commerce de la marijuana, il y a un peu plus de deux ans. Les boutiques de cannabis y ont poussé comme des champignons après la pluie - on en compte plus de 600, soit davantage que tous les Starbucks et McDonald's de l'État. À Denver, elles ont proliféré si vite que la municipalité envisage d'instaurer un numerus clausus. Certaines ont d'abord été des dispensaires de cannabis thérapeutique, dont la commercialisation est autorisée dans le Colorado depuis 2010. Mais c'est la légalisation de l'herbe « à usage récréatif », en 2014, qui a changé la donne et fait du Colorado une sorte de laboratoire pour le pays. Actuellement, ils sont seulement quatre États à autoriser ce type de consommation : le Colorado, l'Oregon, l'Alaska, l'État de Washington, plus la ville de Washington DC. Une vingtaine d'autres en ont déjà légalisé l'usage médical. En novembre prochain, alors que les Américains éliront le futur locataire de la Maison-Blanche, sept États se prononceront en même temps sur la légalisation du cannabis. À en croire les sondages, une partie du pays - notamment la Californie, le Nevada et l'Arizona - pourrait « basculer » à cette occasion. 1 MILLIARD DE DOLLARS DE VENTES EN UN AN Du coup, tous ont les yeux rivés vers le Colorado. Un peu plus de deux ans après la légalisation, force est de reconnaître qu'aucun cataclysme ne s'est produit. « Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions définitives, analyse Andrew Freedman, responsable du suivi de la réforme dans l'État. Mais à ce stade, aucune des craintes que nous avions en termes de santé publique, de criminalité, ou de sécurité ne s'est matérialisée. » Le gouverneur du Colorado, John Hickenlooper, un démocrate initialement opposé à la réforme imposée par référendum, admet avoir été agréablement surpris. « J'étais contre en 2014 parce qu'il y avait un conflit avec la loi fédérale, qui interdit toujours le cannabis, déclarait-il en décembre dernier. Par ailleurs, décriminaliser n'est pas la même chose que légaliser. Il a fallu créer de toutes pièces une réglementation en conflit avec le droit fédéral. J'ai longtemps dit que si c'était à refaire, je ne le referais pas. Mais aujourd'hui, je ne suis plus aussi certain ! » Car dans l'opération, l'État y a gagné. L'an dernier, il a empoché 135 millions de dollars de taxes prélevées, pour l'essentiel, sur les ventes de cannabis récréatif. Une goutte d'eau dans un budget de près de 30 milliards, mais la somme a augmenté de 77% sur un an... L'essor du cannabis « pour adulte », comme disent les locaux, a été si rapide que le marché a doublé en deux ans à peine. Les ventes totales de marijuana ont atteint 1 milliard de dollars en 2015. Et les ventes de cannabis récréatif devraient continuer à s'envoler, malgré une fiscalité plus lourde - près de 30% de taxes sur les ventes. « Pour l'instant le marché du cannabis thérapeutique est plus gros, mais il ne fait aucun doute que le cannabis pour adultes prendra le dessus à terme », juge Troy Dayton, fondateur et dirigeant d'Arc View, un consortium d'investisseurs spécialisé dans le financement de l'industrie de la marijuana. UN ATTRAIT TOURISTIQUE Une visite dans n'importe quel magasin de Denver suffit à illustrer la créativité de cette industrie naissante : sur les présentoirs, à côté des classiques petits sacs d'herbe, s'alignent d'impressionnantes rangées de produits dérivés. Concentrés, boissons, infusions, bonbons, biscuits et chocolats au cannabis, baumes, lotions et patchs relaxants, somnifères, pilules antidouleur, compléments pour animaux domestiques... Servis par des emballages colorés, les « goodies » font un tabac auprès de ceux que la plante effraie encore. Les comestibles, qui ont un effet retard, sont pourtant à l'origine de la plupart des cas d'hospitalisation pour surdosage, notamment chez les enfants attirés par des paquets à l'apparence trompeuse. Mais malgré tout, « ils font moins peur », confirme une vendeuse. À côté d'elle, des petits dépliants publicitaires décrivent les bénéfices supposés de la plante miraculeuse, réputée efficace contre, en vrac, le cancer, la maladie d'Alzheimer, le diabète, la sclérose en plaques, l'épilepsie... Si les effets du cannabis sur la santé sont débattus, les conséquences sur l'économie locale sont évidentes. Le secteur de la construction multiplie les serres un peu partout autour de Denver. Les agences d'intérim fournissent des armées de saisonniers. Rares sont les mécontents. « Si on inclut tous les services qui se sont développés autour du cannabis, le chiffre de 1 milliard peut facilement être multiplié par deux ou trois, estime Andrew Freedman. L'économie de la marijuana représente en tout environ 1% du PIB du Colorado. »Mal à l'aise, l'office du tourisme du Colorado rechigne à en faire un argument commercial, mais tous les « ganjapreneurs » le disent : leurs clients sont principalement des touristes. « Le cannabis est rarement le motif premier du voyage pour les touristes, mais il contribue au choix de la destination dans 20 à 30% des cas », déclare Jeremy Bamford, dirigeant et fondateur du site Potguide.com, qui ambitionne de devenir le Tripadvisor du cannabis. Le site a vu sa fréquentation tripler depuis décembre 2014, et espère lever bientôt près de 1 million de dollars. Des agences de voyages ont vu le jour pour capter une partie de cette clientèle de passage. Au programme : visites de plantations, cours de cuisine, ateliers sculpture ou peinture pour artistes amateurs, et bien sûr séance shopping dans les magasins spécialisés... « Ce qui marche le mieux, ce sont les circuits de quelques heures, explique JJ Walker, fondateur de l'agence spécialisée dans la marijuana My 420 Tours, qui a vu passer quelque 10 000 visiteurs l'an dernier. Les excursions sont organisées en bus de luxe dans lesquels les gens peuvent fumer et consommer du cannabis, ce que la réglementation interdit de faire en public. » Ses clients sont principalement des Américains, mais il y a aussi beaucoup d'Allemands. La quarantaine, plutôt aisés, ils sont prêts à laisser 100 à 200 dollars dans les magasins de cannabis. Certains reviennent plusieurs fois, d'autres dépensent des fortunes - un client a récemment payé 20 000 dollars pour un circuit de cinq jours. « Il y a tous les profils, depuis la petite grand-mère de 80 ans, jusqu'aux chefs d'entreprise, en passant par des élus ou des policiers à la retraite », assure JJ Walker. Ce jeune entrepreneur, spécialiste des médias et du marketing, guette avec gourmandise le moment où, cet automne, il pourra ajouter Las Vegas à son catalogue, après le vote du Nevada. UNE FORTE OFFENSIVE MARKETING C'est cette population d'actifs aisés, nostalgiques de leur jeunesse et soucieux de rester dans la légalité, que tout le monde courtise. « C'est le segment qui croît le plus vite, confirme JJ Walker. Les jeunes sont des consommateurs réguliers, mais ils préfèrent dormir sur un canapé et cherchent les boutiques les moins chères. » Pour attirer les clients exigeants, les marques ne lésinent pas. « L'objectif est de faire oublier l'image un peu trash du junkie à dreadlocks associée au cannabis », décrypte Jeremy Bamford. Certaines boutiques ont changé de nom : les magasins Verde Wellness Center sont devenus Verde natural, pour évoquer le côté rustique et le retour à la terre. Le discours marketing des distributeurs a effacé toute allusion aux mots sulfureux comme « ganja », « weed », « pot », et jusqu'au verbe « planer ». L'usage du mot marijuana lui-même est peu à peu remplacé par celui de cannabis, jugé plus scientifique et plus politiquement correct. Et, bien sûr, les magasins investissent dans le design, même si les normes de sécurité ne leur facilitent pas la tâche. « Beaucoup de nos clients veulent que leurs magasins ressemblent à ceux d'Apple », remarque Olivia Mannix, créatrice de l'agence de marketing Cannabrand. Progressivement, les teintes blanches, gris clair, et bleues remplacent ainsi le traditionnel vert. « Les six premiers mois, notre préoccupation première était d'investir dans la sécurité, et la conformité, confirme Joe Hondas, directeur du marketing de Dixie, une des plus grandes marques de produits à base de cannabis. Maintenant, nous pouvons nous concentrer sur le marketing, la marque, le client. » Mais la route vers la reconnaissance est encore longue. Récemment, un des plus grands réseaux de magasins a voulu faire une donation à une association caritative locale, mais son argent a été refusé. Les autorités regardent, en effet, avec méfiance cette offensive marketing visant à faire de l'herbe un produit de consommation courante un peu chic, qui peut rappeler la stratégie des géants du tabac. « Dans la durée, les habitudes de consommation risquent d'évoluer, confirme Andrew Freedman. La commercialisation entraîne la publicité, ainsi que la profusion dans les magasins. Puis viennent les phénomènes d'addiction, notamment chez les jeunes. C'est ce qui s'est passé dans les années 50 avec le tabac et l'alcool. »Le Colorado a donc limité la publicité, quasiment interdite à la télévision - l'annonceur doit prouver que les mineurs forment moins d'un tiers de l'audience. Et les magasins n'ont pas le droit d'ouvrir à moins de 300 mètres des écoles. Mais la meilleure protection reste pour l'heure l'interdit fédéral, qui empêche la création de marques nationales. UNE FABRICATION INDUSTRIALISÉE Ce qui n'a pas empêché des barons locaux d'émerger. Leurs parcours sont aussi variés que ceux de leurs clients, mais rares sont les anciens dealers. John Lord, le fondateur néozélandais de LivWell, qui possède une quinzaine de magasins dans l'État et lorgne maintenant du côté de l'Oregon, vient de l'univers de la puériculture. Peter Knobel, qui a investi dans NativeRoots, le haut de gamme du cannabis, a fait fortune dans la promotion immobilière dans les stations de ski des Rocheuses. Pete Williams, l'un des pionniers de l'industrie à Denver, qui a fondé les magasins Medicine Man, travaillait dans le BTP avant d'emprunter de l'argent à sa... mère pour financer ses premières plantations. Mieux armés pour absorber les coûts réglementaires, ces entrepreneurs ont initié un mouvement de concentration. « Les magasins artisanaux, ouverts par des amateurs qui faisaient pousser l'herbe dans leur cave, ont été vite rachetés par les plus gros », décrit Jeremy Bamford. S'appuyant sur des processus de fabrication quasi industrialisés, ces derniers emploient des dizaines de personnes, récoltent plusieurs centaines de kilos d'herbe par mois, et produisent moins cher. « Faire pousser des plants de cannabis à grande échelle demande une véritable expertise, confirme Pete Williams. Cela n'a rien d'une occupation de hippie. La fabrication est industrialisée et sécurisée. » Son savoir-faire lui a permis de créer une activité de conseil, qu'il a même introduite au second marché. Ces gros producteurs ont surtout plus facilement accès au financement, devenu un véritable casse-tête pour le secteur. Les banques restent terrorisées à l'idée d'associer leur nom à une industrie encore illégale au niveau fédéral, malgré les déclarations rassurantes de Washington. « Celles qui nous financent font comme si elles ne savaient rien, elles ne posent pas de questions », admet Pete Williams (Medecine Man). Dans les faits, l'essentiel des prêts est fourni par des fonds d'investissement locaux, et les espèces restent prépondérantes au quotidien. Ce qui pose de réels problèmes de sécurité dans les magasins, protégés par des sas, des vitres pare-balles, des caméras, et un gardien armé à l'entrée. Les chiffres officiels ne révèlent pas de recrudescence de violences depuis 2014, mais les journaux locaux tiennent une chronique régulière des braquages. L'âge d'or serait-il déjà passé, pour tous ces entrepreneurs qui ont capté la croissance à deux chiffres des premières années ? Cela fait des mois que Denver bruisse de rumeurs. Les géants de la pharmacie, du tabac, ou de l'agroalimentaire, seraient aux aguets, prêts à dégainer à la moindre évolution de la loi fédérale. « Je sais que les "big boys" s'intéressent à notre marché, certains m'ont déjà approché, lâche Pete Williams de sa voix éraillée de fumeur. Quand ils seront là, ça va aller très vite. J'espère être sorti avant car personne ne gagne contre le grand capital. Mais, en attendant, je me serai bien amusé. » UN MARCHÉ NOIR PERSISTANT La légalisation n'a pas tué le marché noir. En recul, il représenterait encore un petit tiers des ventes, soit nettement moins que dans d'autres États où le cannabis récréatif est autorisé. La constitution de l'État autorise tout résident majeur à cultiver chez lui 6 pieds de cannabis pour sa consommation personnelle (sans licence), mais une ordonnance médicale permet jusqu'à 75 pieds. Un marché parallèle dérégulé s'est ainsi développé, sur lequel l'herbe est moins chère que celle des détenteurs de licence. Mais « le crime organisé est entré dans le système. Si c'était à refaire, il faudrait procéder différemment », reconnaît Andrew Freedman, chargé du suivi de la réforme, qui évoque un trafic entre le Colorado et d'autres États américains. Difficile : le droit de faire pousser du cannabis chez soi est donéravant inscrit dans la constitution. UN BUSINESS QUI ATTIRE LES CÉLÉBRITÉS Snoop Dogg Le rappeur a lancé sa propre ligne de fleurs de cannabis « Leafs by Snoop » et de produits dérivés uniquement vendus, pour l'instant, dans le Colorado. « Ça fait vingt ans que je m'intéresse au sujet, je suis un peu devenu le grand maître de la marijuana », a estimé le chanteur, qui a créé un site de lobbying, Merry Jane - un jeu de mots sur « Mary Jane ». Ne résidant pas dans l'Etat, il a dû passer un accord avec un producteur local et a confié la commercialisation de sa gamme aux magasins LivWell. La famille Marley Peu de noms sont aussi étroitement associés à l'univers du cannabis que celui de Bob Marley. Mais ce n'est qu'en février 2016 que sa famille, alliée à un fonds de Seattle, a lancé Marley Natural, avec pour ambition de devenir une « marque mondiale ». Elle vend des fleurs de cannabis, diverses crèmes, produits dérivés et accessoires. La production de cannabis médical est vendue à Los Angeles, où elle est autorisée, et sera distribuée plus largement dans le pays après l'été. Whoopi Goldberg Favorable à la légalisation, l'actrice vient de lancer, avec un producteur californien, une ligne de produits à base de cannabis médical pour les femmes : infusions, crèmes et autres sels de bain destinés à soulager les douleurs pendant les règles. « C'est la seule chose qui me soulageait. » Sa marque, baptisée « Whoopi & Maya » - pour Maya Elisabeth, spécialiste du marché -, est vendue seulement en Californie, où le cannabis thérapeutique est autorisé. Willie Nelson À 81 ans, le chanteur de country vient de faire équipe avec Tuatara, un fonds new-yorkais, pour lancer sa marque, Willie's Reserve. Les produits seront vendus, au cours de l'année 2016, dans les Etats qui autorisent le cannabis à usage récréatif. « Les marques aident les consommateurs à choisir et inspirent confiance, a expliqué Al Foreman, de Tuatara Capital. Nous sommes convaincus que le marché du cannabis sera façonné par des marques comme la nôtre au cours des prochaines années. » Rihanna Véritable égérie de la légalisation, la chanteuse a fait l'objet de nombreuses rumeurs lui prêtant l'intention de lancer sa propre marque de produits à base de cannabis. Rumeurs qu'elle a démenties en début d'année. CE QUE LES ÉLECTIONS POURRAIENT CHANGER Si jusqu'ici, le cannabis n'a pas occupé le devant de la scène, le sujet devrait prendre de l'importance durant la campagne. Ce n'est pas Donald Trump qui fait peur aux producteurs, mais Chris Christie, éventuel futur ministre de la Justice. L'ex-candidat aux primaires a promis de durcir encore la législation fédérale, contraignant les États ayant légalisé l'herbe à faire marche arrière. Donald Trump est beaucoup moins clair sur le sujet. Hillary Clinton tend à botter en touche. Son programme prévoit néanmoins de modifier la classification de la marijuana au niveau fédéral - celle-ci est actuellement considérée comme une drogue aussi dangereuse que l'héroïne, ce qui en proscrit tout usage médical. En changeant son statut, Hillary Clinton entend permettre au niveau fédéral le développement de la recherche médicale sur le cannabis. Un premier pas ? Elsa Conesa / Correspondante à New-York Source: lesechos.fr 1 Lien à poster Partager sur d’autres sites
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