Drogues : le tango français


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Un pas en arrière, un pas en avant … avec un bandeau sur les yeux.

 

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La politique des drogues menée en France depuis 1970 est marquée par un paradoxe. Champions de la chasse aux fumeur.se.s de cannabis, nous sommes également le pays le plus libéral au monde en matière de traitements de substitution aux opiacés.  Loin d’être féconde, cette contradiction semble être la conséquence d’une cécité volontaire.

 

Menée sans interruption depuis 40 ans, la guerre à la drogue n’a jamais fait l’objet d’aucun bilan chiffré, elle est  menée contre nos concitoyen.ne.s et particulièrement contre ceux.celles qui habitent nos banlieues.

 

S’il est un terrain où la France a toujours mené une politique de fermeté, c’est sur le front répressif.  En 1970, le gouvernement adopte une loi, toujours en vigueur, qui  instaure la pénalisation de l’usage de drogues dans l’espace privé. C’est un saut qualitatif d’importance. Jusque là, la prohibition ne concernait que l’usage public ou en réunion.

 

Avec la loi du 31 décembre 1970, c’est  l’intimité de chacun  qui est livrée aux investigations d’une police des mœurs toujours plus agressive. Une cascade de règlements de plus en plus intrusifs va s’abattre sur les décennies 80 et 90, comme par exemple le délit de présentation sous un jour favorable qui permet de condamner toute publication relative au plaisir des drogues.

 

La création du délit d’usager-revendeur en 1996 est un pas supplémentaire franchi en direction d’une politique carcérale ayant l’usage de drogues comme moteur principal. Le nombre de personnes arrêtées pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) passe de 2 à 3000 en 1970 à 160 000 en 2012.

 

Poussée par une épidémie de sida catastrophique, la France a toutefois rompu avec une politique du « tout sevrage » jusque là conforme à sa politique pénale. A partir du milieu de la décennie 1990, un mouvement de balancier inverse a conduit le pays à innover en matière de prescription de médicaments de substitution aux opiacés (MSO). Aujourd’hui, n’importe quel usager peut en quelques minutes se faire prescrire 16 mg de buprénorphine chez un médecin généraliste et aller chercher son médicament à la pharmacie, le tout remboursé intégralement par la Sécurité sociale.

 

Ce changement de paradigme, connu sous l’appellation de politique de réduction des risques (RDR), se décline aujourd’hui à tous les niveaux de la prise en charge des usages abusifs de substances psychoactives. La création de l’Auto Support de Usagers de Drogues (ASUD)  en 1993, première association de drogués financée par l’Etat, est l’un des nombreux exemples du grand écart qui s’impose systématiquement en matière d’addiction, le dernier avatar étant la création de salles de consommation de drogues prévues en 2016, malgré un  rappel à l’ordre du Conseil d’Etat.

 

Le traumatisme du SIDA a contraint les autorités sanitaires à tenir compte d’une certaine rationalité de l’usage des drogues. Mais force est de remarquer que ce constat n’a pas entrainé de modification du statut légal du.de la consommateur.trice.  A titre d’exemple, ASUD, à l’origine association de malfaiteur.euse.s financés par l’Etat, est devenue en 2007, une association de patient.e.s « agréée pour représenter les usagers dans les instances hospitalières et de santé publique…»[1].

 

Pour contourner une lecture trop politique de l’avènement de la réduction des risques, les autorités ont bâti en 20 ans un modèle épidémiologique qui doit beaucoup  à la psychiatrie états-unienne et à son livre sacré le DSM (Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). La 5e édition du DSM est particulièrement explicite, l’addiction y est décrite comme une maladie chronique récidivante[2], d’aucuns parle de pathologie incurable et de transmission génétique.

 

C’est le grand retour du médicament et l’alliance initiale entre militant.e.s anti-prohibitionnistes et soignant.e.s est ainsi anéantie par le fossé qui existe entre les médecins d’un côté et les patient.e.s de l’autre. La très grande majorité d’usager(ère-s) récréatif(ve-s) et notamment les amateur.trice.s de cannabis sont pris au piège entre les forces de police et les autorités sanitaires. Le statut de malade chronique reste inopérant  pour recouvrer des droits, d’autant que cette chronicisation se fait très souvent en collaboration avec les décisions de justice. Le secteur pharmaceutique – et ses laboratoires – semble être le grand gagnant du changement de politique sanitaire relatif aux drogues.

 

Grâce au prisme de l’addictologie, la drogue continue d’apparaître régulièrement dans les médias grand public comme un fléau social qu’il convient de réprimer sans discernement. Tous les partis politiques se rejoignent sur ce constat à l’exception d’Europe Ecologie Les Verts, qui dénonce sur son site «  la pénalisation et la médicalisation de l’usager »[3].

 

Or, il existe un autre domaine où  notre pays affronte une difficulté quasi freudienne à se contempler dans le miroir, la relation très particulière que la France entretient avec les minorités ethniques de couleur, celles que l’on qualifie de « minorités visibles ».

 

La guerre à la drogue et la politique raciale

 

C’est une obsession qui obstrue quasiment tous les débats contemporains. Que faire de cette notion de race, si décriée et tellement opérative dans tous les domaines essentiels du quotidien. La doxa républicaine voudrait que notre degré de pigmentation et la forme de nos visages soient renvoyés au rayon de la vie privée voire celui des archaïsmes coloniaux. A l’opposé,  des enquêtes récentes établissent que le fait de trouver un logement, de trouver un travail ou  même de se marier, sont des comportements sociaux directement influencés par nos patronymes et nos apparences physiques[4].

 

Quelques rares études consacrées au sujet établissent un rapport direct entre la couleur de la peau et la fréquence des contrôles de police[5]

 

Or la guerre à la drogue peut être comprise comme un outil de contention politique des minorités ethniques. Ce schéma est étudié sérieusement aux Etats-Unis depuis de nombreuses années. Le dernier ouvrage en date qui  présente une description minutieuse du processus, appuyée sur une argumentation scientifique de premier ordre est celui de Michelle Alexander[6].

 

Le caractère pionnier des Américains sur ce sujet ne doit pas masquer toutes les similarités dans ce processus entre la France et les Etats-Unis. Dans les deux sociétés, il existe une importante minorité  « de couleur » et une porosité fantasmagorique entre la consommation de substances illicites et l’identité ethnique des pourvoyeurs et des consommateurs.

 

Il est indéniable que cette question interroge un point aveugle de la société française contemporaine : la France n’est plus un pays de Blanc.he.s et le racisme, notamment policier,  prospère à l’abri du mythe du(de la) citoyen(ne) français(e) universel(le).

 

L’imbrication entre guerre à la drogue et guerre raciale est une constante depuis  la mise en place d’une législation sans cesse renforcée qui conduit de plus en plus  de personnes en prison pour des faits relatifs directement ou indirectement  à l’usage de stupéfiants.

 

L’expression du racisme ordinaire dans la police, la montée d’une violence spécifique liée au trafic dans les zones à forte présence noire ou arabe, l’alternance du contrôle policier et mafieux dans ces zones dites « sensibles », la méfiance à l’égard des forces de police et les solidarités intra-communautaires sont autant de phénomènes qui  constituent des évidences, relatées par tous les médias mais jamais utilisées comme perspective globale d’analyse de la politique des drogues menée par la France depuis quatre décennies.

 

 Fabrice Olivet, ASUD

 

Notes

[1] J.O n° 285 du 8 décembre 2007, page 19914, texte n° 44

[2] Voir Marc Valleur, Définir l’addiction :questions épistémologique, conséquences politiques,

https://www.hopital-marmottan.fr/publications/VALLEUR%20%20Definir_l_addiction,%202012.pdf

[3] https://eelv.fr/2014/04/25/de-la-penalisation-de-lusage-du-cannabis-a-sa-legalisation/

[4] Discrimination à l’embauche des jeunes issus de l’immigration en Île-de-France, enqu^te de l’INSEE, université d’Evry, 2004

https://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=1099

[5] René Lévy, Fabien Jobard, Police et minorité visible : les contrôles d’identité à Paris, CNRS, 2009

https://www.cnrs.fr/inshs/recherche/facies.htm

[6]  M. Alexander, The New Jim Crow, mass incarceration in colorblindness, N.Y., 2011

 

Source: mouvements.info

 

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