Légalisation du cannabis: trois questions clés


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Légalisation du cannabis : âge légal, prix, teneur en THC et prévention

Dans son dernier billet sur le blogue de l'Association des intervenants en dépendance du Québec, ou AIDQ, Serge Brochu conclut qu'il faut légaliser le cannabis, mais pas n'importe comment! En effet, les connaissances théoriques et empiriques sous-tendent un consensus au sein de la communauté scientifique selon lequel, sur le spectre des politiques en matière de cannabis, les extrêmes, soit la prohibition pure et simple et le commerce à grande échelle, sont associées à davantage de consommation et de conséquences négatives. Ces conséquences ne sont pas toutes du même ordre.

 

Dans un régime de prohibition, on craint surtout la violence, la criminalité et la criminalisation, les décès ainsi que les atteintes aux droits de la personne, alors que dans un régime de commerce à grande échelle, ce sont surtout la hausse de l'usage et des problèmes associés qui sont redoutés.

 

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Il faut donc cibler une politique publique qui produise le moins d'effets négatifs tout en ayant le plus d'effets positifs. Bien sûr, étant donné les connaissances limitées et le peu d'expériences de légalisation, il est difficile de prévoir les impacts de celle-ci et c'est notamment pourquoi il est essentiel de développer un cadre d'évaluation d'une éventuelle nouvelle politique publique afin d'y apporter les éventuels ajustements nécessaires. Puisque les conséquences d'une nouvelle politique et de ses règles sont de différentes natures, un débat public est nécessaire pour faire des choix basés non seulement sur les connaissances scientifiques, mais aussi sur les valeurs sociétales.

 

À l'instar des différents types de politiques, les règles en vigueur dans un régime de légalisation obéissent à la même logique, c'est-à-dire que des règles trop strictes ou trop laxistes risquent d'être celles qui produisent le plus d'effets pervers. Que ce soit le mode de production, de distribution, de vente, d'accès ou les lieux de consommation - pour ne nommer que ceux-là - cette logique s'applique. Et les gouvernements devront trancher.

 

Quel devrait être l'âge légal d'accès au cannabis?

Un des paramètres qui devra être fixé et pour lequel des opinions divergentes s'affrontent est l'âge d'accès légal au cannabis. Les propositions vont de 16 à 25 ans. Ceux qui proposent 25 ans arguent que les connaissances scientifiques, théoriques ou empiriques, soutiennent ou suggèrent des effets délétères pour le cerveau, encore en développement jusqu'à 25 ans (1, 2). Cette position est simpliste, irresponsable et incohérente. Simpliste parce que la nocivité d'une substance est très loin d'être l'unique perspective à considérer dans ce débat. En effet, légaliser, ce n'est pas parce que le cannabis est bon pour la santé!

 

C'est parce qu'il y a plusieurs autres aspects importants à considérer : santé publique, sécurité publique, droits de la personne, économie, corruption, environnement, etc., et parce qu'une politique publique peut avoir plus d'effets pervers que la substance elle-même. C'est exactement pour ça que cette position est irresponsable : elle produirait assurément plus d'effets pervers que les bénéfices recherchés. Pourquoi? Parce que les jeunes de 16 à 25 ans sont les plus gros consommateurs, et ce, même dans un régime de prohibition!

 

Qu'adviendrait-il alors si une légalisation fixait l'âge d'accès à 25 ans? La réponse est évidente : ces jeunes seraient contraints de s'approvisionner au marché noir, ce qui par le fait même, maintient le crime organisé en place pour répondre à cette demande. En ce qui concerne l'incohérence d'une telle position, il suffit de comparer au marché de l'alcool qui, au Québec, est accessible dès 18 ans, mais qui a pourtant des effets beaucoup plus nocifs, notamment sur le cerveau, et encore mieux documentés que ceux du cannabis. De plus, tous les risques existent déjà.

 

C'est pour plusieurs de ces motifs que le rapport du Comité spécial du sénat sur les drogues illicites, présidé par feu sénateur Nolin, recommandait 16 ans, mais aussi, parce qu'une décriminalisation pourrait cibler davantage les jeunes et les marginaux, voire finir par criminaliser ceux qui ne seraient pas en mesure de défrayer des contraventions. Afin de favoriser une acceptation sociale et une cohérence, il semble logique et opportun de fixer l'âge légal d'accès à 18 ans, du moins au début de l'implantation d'une nouvelle politique.

 

Faut-il contrôler les prix et la teneur en THC?

La question du contrôle de la teneur en THC soulève le même genre de questions. Certains tenants de la légalisation y voient non seulement la possibilité de contrôler la qualité du produit (absence de moisissures, contaminants, pesticides, etc.), mais aussi l'occasion d'imposer une teneur plafond en THC.

 

Ce plafond risque néanmoins d'entraîner le même type de conséquences négatives qu'un âge d'accès trop élevé, c'est-à-dire maintenir le crime organisé qui viendrait répondre à une demande si celle-ci n'est pas bien comblée par le marché légal. Pour cette raison, la teneur en THC ne devrait pas être limitée, mais les produits devraient être clairement étiquetés selon celle-ci.

 

Et comme nous l'a montré le marché du tabac, la fixation des prix et des niveaux de taxation doit être abordée avec pragmatisme : des prix trop élevés vont maintenir la prohibition de facto et permettre au crime organisé de fleurir. Des prix très bas pourraient par contre encourager l'usage, surtout chez les consommateurs plus jeunes et plus à risque, entraînant potentiellement plus de problèmes associés.

 

La prévention dans tout ça?

Ces choix doivent d'abord et avant tout viser à prévenir les conséquences négatives de l'usage de cannabis et s'élaborer dans le cadre d'une approche de santé publique. C'est d'ailleurs dans cette perspective que la publicité devrait être interdite.

 

Enfin, au-delà des règles d'une éventuelle légalisation, il faut créer une culture et des normes sociales de consommation responsables. Et miser sur la prévention dans tout son spectre, pas seulement auprès des populations à risque, mais aussi favoriser un contexte de vie qui soit plus sain et qui favorise un développement harmonieux pour tous. Il faut aussi prendre conscience que notre culture favorise toutes sortes de dépendances et qu'un changement doit s'opérer, non seulement dans les politiques en matière de drogues, mais aussi dans les valeurs mêmes de notre société.

 

Ce billet a été initialement publié sur le blogue de l'Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ).

 

par Jean-Sébastien Fallu headshot.jpg

Professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et directeur de la revue Drogues, Santé et Société

Source: quebec.huffingtonpost.ca
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