mrpolo 7 743 Posté(e) avril 19, 2016 Partager Posté(e) avril 19, 2016 La légalisation du cannabis en Uruguay peut-elle inspirer la France ? Louise Levayer est partie travailler au sein de l'Observatoire des drogues à Montevideo. Elle espère enrichir le débat en France. "Je n’avais pas conscience de l'ampleur de la violence et de la souffrance." Pour Louise Levayer, le militantisme a commencé dans une caravane, aux États-Unis en 2012, au contact des parents de victimes mexicaines du commerce le plus lucratif du monde : la drogue. Son diplôme de Science-Po Lille en poche, elle s’engage dans une ONG de San Francisco pour organiser une procession. Sa caravane a traversé 24 villes des Etats-Unis. Le job ? Dénoncer la violence générée par la guerre contre la drogue. Quatre ans plus tard, à 29 ans, la jeune Française est devenue une spécialiste de la légalisation de la drogue, en particulier du cannabis. Et pour cause : elle a vécu de l'intérieur la première expérience au monde de légalisation de la marijuana. Pas en Californie, mais en Uruguay, un petit Etat d'Amérique latine. Elle s'est installée dans la haute tour de la capitale, un étage en dessous du président Tabaré Vázquez, à l’Observatoire des drogues. De sa voix posée et avec ses yeux faussement enfantins, elle explique son propre cheminement, espérant exporter le débat de la légalisation en France. Quand elle débarque aux Etats-Unis en 2012, elle écoute tous les jours des récits comme celui du poète Javier Sicilia. Son fils a croisé le chemin de narcotrafiquants mexicains qui l’ont torturé et assassiné. 60.000 corps comme le sien ont été retrouvés, mutilés, décapités, avec des méthodes qui rappellent celles de Daech. Et 28.000 personnes ont été portées disparues de 2006 à 2012, selon Human Rights Watch. Pour Louise, "Ces chiffres sont le bilan de la guerre contre la drogue au Mexique. Une guerre lancée par le président Calderón en 2006 et inspirée par les Etats-Unis et le modèle international prohibitionniste. La fameuse war on drugs dont parlait déjà Nixon en 73." Alors, face aux statistiques et aux récits apocalyptiques qu’elle écoute dans la caravane, la jeune femme en devient convaincue, la solution passe par la légalisation. Et pour promouvoir la légalisation, elle tient à se former professionnellement, "avec des arguments de fond pour échapper au cliché de la jeune idéaliste", selon ses propres mots. Déjà, en 2011, avant de partir aux Etats-Unis, en tant que coordinatrice de l’ONG Collectif Guatemala, elle s’attelait à la protection des défenseurs des droits humains. Et avait constaté qu’il s’agissait bien d’une mission impossible quand la menace venait d’un cartel. Quel que soit le pays, trois problèmes pour reviennent en boucle quand il s'agit d'enlever l’argent aux cartels : le contrôle des armes le blanchiment d’argent la légalisation de la drogue. Désormais, elle allait s’attaquer à ce troisième point, se promet-elle. "Le répressif ne marche pas" Après avoir terminé une mission pour Amnesty International à Paris, Louise retourne sur les bancs de l’école, à l’Institut Pluridisciplinaire pour les Etudes sur les Amériques (IPEAT) à Toulouse. Objectif : rejoindre l’Observatoire des drogues en Uruguay, qui s'apprête à légaliser la marijuana. Chose faite en février 2015 : elle est affectée au sein de cet organisme d’Etat à Montevideo pour travailler sur les indicateurs qui mesurent l’impact de la légalisation, votée au nom de la lutte contre la violence. "Au-delà du problème de l’addiction au cannabis, le vrai venin est ce qu’amène le narcotrafic : les règlements de compte, l’économie clandestine, l’agression, la violence et l’illusion de pouvoir gagner beaucoup d’argent en peu de temps… pour finalement perdre la vie", plaidait avec passion l’ex-président uruguayen "Pepe" Mujica. Louise se lance dans une minutieuse analyse de la loi pour rendre un mémoire, "La régulation du cannabis en Uruguay, processus politique national singulier ou modèle qui peut inspirer en France ?" Elle est partie d’un constat : "Les gouvernements successifs affirment qu’il faut conserver la loi de 1973 telle quelle, mais c’est une aberration. La France est l’un des pays avec le plus fort taux de consommation de cannabis en Europe et l’une des politiques la plus répressive. Cela mérite un bilan, le répressif ne marche pas". (Louise Levayer, à Montevideo - Crédit : Julien Labarbe) Première étape : légaliser le débat Selon la jeune femme, "nous avons l’avantage d’avoir l’expérience de l’Uruguay, du Colorado, de la Hollande et de l’Espagne pour discuter de quelle façon la France peut réguler". Une certitude après son mémoire : c’est le débat uruguayen qui peut nous inspirer. "En France, on est dans l’étape de légaliser le débat, le rendre réel et présent dans la presse et dans la société", assène-t-elle. Aujourd'hui, elle souhaite participer à la création d’un réseau en France pour y importer le débat à l’uruguayenne. "Je voudrais mettre en réseau les spécialistes de la politique pénale, les flics, les médecins et les politiques comme Daniel Vaillant et Anne-Yvonne Le Dain. L’exemple du policier Serge Supersac et du maire Stéphane Gatignon qui ont écrit ensemble le livre 'Pour en finir avec les dealers' est intéressant", assure Louise, consciente que cette tâche sera nécessairement collective. Parallèlement à cette mise en réseau, elle essaye de construire un débat transversal et non-focalisé simplement sur les droits du consommateur. "Il s’agit bien sûr de liberté individuelle mais aussi de justice sociale. Ce ne sont pas les mêmes problématiques de violence comme en Amérique Latine mais la présence d’armes de guerre liées au trafic de drogue est une réalité, à Marseille par exemple. Certains quartiers, comme Saint-Ouen dans la région parisienne, vivent du narcotrafic. Si on légalise, il faut penser aux politiques sociales et d’emploi pour accompagner le développement de ces quartiers." "La légalisation, ce n’est pas du laxisme, c’est prendre le contrôle" A ceux qui l’accuseraient de promouvoir le laxisme, elle rétorque : "Légaliser, c’est prendre le contrôle". Et elle présente le bilan uruguayen : plus de 3.000 personnes se sont inscrites au registre des cultivateurs à domicile et 17 clubs, avec une quarantaine d’adhérents chacun. Tous sont dans la légalité. "L’Uruguay n’est pas un pays de hippies, la loi permet de contrôler le niveau et la qualité du THC, éviter que la marijuana ne soit coupée par des substances chimiques et faire de la prévention sans promouvoir la non-consommation, un message plus efficace car plus réaliste." Certes, la dernière étape de la légalisation uruguayenne, celle de la vente en pharmacies, traîne en longueur - elle devrait avoir lieu en juin. Et pourtant, elle concerne l’essentiel des fumeurs. "C’est très long et il y a une mauvaise communication de la part des autorités. Les usagers ont peur de s’inscrire sur le registre obligatoire pour consommer alors que leurs données sont ultra protégées par la loi", regrette Louise. Elle tient à positiver. Une fois la vente en pharmacie lancée, "un marché de 30 millions de dollars par an sera géré par l’Etat uruguayen au lieu des narcotrafiquants". A titre de comparaison, une récente étude de l’INHESJ indique que le marché du cannabis en France représente plus d’un milliard d’euros. En attendant, Louise a été sélectionnée par l’Union des nations sud-américaines (Unasur) afin de rédiger un rapport sur la consommation des drogues dans les pays d’Amérique du sud et les différentes réponses politiques à cette problématique dans la région. A ceux qui voudraient clore la conversation en lui rappelant que 60% des Français sont opposés à la légalisation, elle répond que c’est un pourcentage équivalent à celui des Uruguayens à l’époque où la loi de légalisation est passée. Camille Lavoix Source: tempsreel.nouvelobs.com Ce message a été promu en article 4 Lien à poster Partager sur d’autres sites
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