Cannabis : le triple désastre de la prohibition


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Inepte sur les plans sanitaire, judiciaire et financier, l’interdiction ne repose que sur le seul terrain moral.

Cannabis : le triple désastre de la prohibition

 

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En déclarant de manière fracassante le 11 avril que la prohibition du cannabis ne fonctionne pas, et qu’il faut «situer le débat sur le terrain sanitaire, et pas sur celui de la morale», Jean-Marie Le Guen a en partie raison. En partie seulement, car ce n’est pas seulement en termes de santé publique que la prohibition est un échec. Mais que l’on se rassure : cette bouffée de pragmatisme n’aura pas fait long feu.

 

Dès le lendemain, Najat Vallaud-Belkacem rappelait que «le gouvernement [s’était] exprimé clairement, il n’y a pas de dépénalisation du cannabis en vue» ; si besoin était, Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, précisait qu’il n’y avait «pas de réflexion engagée sur cette question». Le message est clair : inutile de réfléchir, la morale suffit à guider l’action publique.

 

Pourtant le débat se rouvrira. Quand, comment ? Difficile de le dire. Mais il se rouvrira, car la politique actuelle est un triple désastre, sanitaire, judiciaire, et budgétaire.

Désastre sanitaire tout d’abord. S’il s’agit de réduire la consommation, la prohibition de marche pas. En France, malgré la répression de l’usage, 45% des jeunes l’ont déjà testé, contre moins de 30% aux Pays-Bas, où le cannabis est à peu près légalisé de fait.

 

Et comme le rappelait Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière, ce que montrent les Etats américains qui ont récemment assoupli la législation est que «la consommation n’explose pas et, surtout, les consommateurs prennent des produits plus sains. Là-bas, la majorité du cannabis utilisé l’est sous forme de vaporisation, donc sans fumée nocive pour les poumons, limitant les effets toxiques au cannabis seul».

 

En faisant peser le même interdit sur tous les produits contenant du THC, le principe actif du cannabis, la prohibition interdit de favoriser les formes les moins dangereuses, encourage la diffusion de produits altérés pouvant contenir des substances encore plus nocives que le cannabis lui-même. Elle ne diminue ni la consommation globale, ni celle des usages excessifs, ni celle des consommateurs les plus vulnérables.

 

Désastre judiciaire et sécuritaire ensuite. Reflet de la consommation, le nombre d’interpellations pour usage simple du cannabis est en hausse constante et, malgré les circulaires du ministère de l’Intérieur préconisant une application plus souple de la loi, les affaires pour usage illicite de stupéfiants, dont la grande majorité concerne le cannabis, engorgent les tribunaux, et les incarcérations restent nombreuses.

 

D’après un rapport parlementaire de 2014, l’Etat consacre de l’ordre de 850 millions d’euros par an à la lutte contre les stupéfiants, l’effort étant principalement supporté par la police et la gendarmerie (422 millions), les douanes (252 millions), et les services judiciaires (101 millions). Vos impôts financent des milliers d’emplois publics chargés de réprimer les actes d’adultes qui décident librement de consommer un produit qui, s’il est néfaste, ne nuit qu’à eux-mêmes.

 

Quelle liberté ? diront certains, qui ne voient dans les fumeurs de joint que des personnes dépendantes au cannabis, dont toute volonté est annihilée, incapables d’exercer leur liberté de jugement et de décider par eux-mêmes. Pourtant, si de telles situations existent, elles ne concernent qu’une faible minorité des consommateurs, bien plus faible que pour l’alcool ou le tabac, produits potentiellement bien plus addictifs que le cannabis, comme l’avait souligné le rapport Roques dès 1998. Où est la logique ?

 

Mais il est vrai, n’est-ce pas, que les individus doivent être protégés contre eux-mêmes, et que l’Etat, sa police, sa justice, et ses prisons, sont là pour cela. En témoigne ainsi la récente pénalisation des clients de la prostitution, dont la motivation repose sur l’idée que toutes les personnes vivant de la prostitution n’exercent cette profession que sous la contrainte, au mépris du discours de nombreuses prostituées elles-mêmes.

 

Désastre budgétaire enfin. L’écart important entre le coût de production et le prix de vente final nourrit des réseaux criminels de distribution. En réglementant, voire en organisant, la production et la distribution du cannabis, la légalisation encadrée permettrait à l’Etat de prélever des taxes, et de rediriger ces sommes considérables vers des dépenses publiques plus légitimes. Le Colorado s’est engagé dans une telle démarche et, dès la deuxième année, les recettes fiscales dépassent celles des taxes sur l’alcool. Rapporté à la France, comme l’estimait un rapport de Terra Nova, les recettes budgétaires seraient de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.

 

Tous ces faits sont connus, et ils sont têtus. Aujourd’hui la vraie question n’est plus de savoir s’il faut ou non légaliser la consommation, la production, et la distribution du cannabis, mais de dire quand, et comment. Au nom de quelle morale devrait-on persévérer dans ce triple désastre sanitaire, sécuritaire, et budgétaire ?

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioanna Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.

 

Pierre-Yves Geoffard Professeur à l’Ecole d’Economie de Paris, directeur d’études à l’EHESS.

 

Source: liberation.fr

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