Drogues : l’échec patent du tout-répressif


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image-20151113-10435-dpuwzp.png Un dispensaire fournissant du cannabis à usage thérapeutique installé dans une ancienne station service, à Denver (Colorado). Jeffrey Beall/Flickr, CC BY-SA

 

L’histoire des drogues est également, voire surtout, celle des normes sociales qui gouvernent leurs usages. Parmi celles-ci, les règles juridiques ont longtemps occupé une place négligeable, les rapports entre hommes et substances psychoactives étant réglés par des rites et des savoir-faire ne relevant pas de l’ordre du droit. Mais à partir du XIXe siècle, la consommation de certains de ces produits s’est lentement émancipée des dispositifs de régulation culturels, religieux ou professionnels qui la cadraient jusqu’alors. La circulation des toxiques entre aires culturelles et le développement d’un usage dérégulé – dit parfois anomique – ont alors ouvert la voie à des politiques juridiques placées sous le signe de l’interdit.

 

Le régime prohibitionniste, dont la communauté internationale a posé les fondations il y a un siècle, s’est progressivement durci. La rhétorique de la « guerre à la drogue » a orchestré l’adoption de traités de plus en plus rigoureux, étendu à des produits toujours plus nombreux et requérant des États le recours systématique à des dispositifs répressifs. Dans l’espoir officiel d’une éradication des drogues, la marge de manœuvre des politiques nationales s’en est trouvée singulièrement réduite.

 

Porté par une dramatisation médiatique du risque toxicomane, l’interdit s’est ainsi vu décliné sous des formes variables, plus ou moins tolérantes, plus ou moins répressives selon les pays, mais sans jamais qu’une autre voie de régulation puisse être envisagée. Exemplaire de ce mouvement, la France a cherché dans l’articulation du droit pénal et du droit de la santé, les moyens d’une prohibition efficace.

 

Absence prolongée de résultat

Pas plus que dans le reste du monde, cette logique d’interdiction ne semble avoir porté ses fruits. L’usage et les trafics de drogue n’ont pas diminué. Ils ont au contraire augmenté, révélant les limites d’une stratégie qui, malgré ses effets pervers en termes de santé et de sécurité publiques, a longtemps été pensée comme la seule possible. Mais devant l’absence prolongée de résultat, la réflexion politique sur la question des drogues illicites évolue enfin. Le fléau à combattre s’est mû en problème à résoudre, et la panique morale qui a longtemps présidé à la formation des représentations sociales et politiques sur le sujet cède progressivement le pas à des postures moins passionnées.

 

Les sciences humaines et sociales ont contribué à ce processus. Revendiquant distance et neutralité à l’égard de leur objet d’étude, elles ne défendent ni ne condamnent la prohibition par principe. Elles documentent et expliquent en revanche, dans un imposant corpus scientifique pluridisciplinaire, l’échec des politiques contemporaines de lutte contre la drogue et invitent à ouvrir, en France, le débat – largement engagé à l’étranger – sur l’opportunité d’un assouplissement du droit.

 

La sortie de la prohibition et la régulation des drogues, politiquement impensables il y a quelques années, apparaissent en effet désormais comme une réponse raisonnable aux dangers – individuels et collectifs – que la consommation illicite massive de substances psychoactives fait courir à la société.

 

Tabou politique

L’interdit, réaffirmé sans cesse par la répression, se montre incapable de contenir la consommation. Il est, de ce point de vue, remarquable que le lien entre la rigueur de la loi et la prévalence de l’usage ne soit pas univoque. Paradoxalement en dépit d’une législation qui compte parmi les plus sévères d’Europe (supposée être dissuasive), la France est l’un des pays les plus consommateurs de cannabis, surtout parmi les jeunes.

 

Mais les politiques répressives ne se contentent pas d’être simplement inefficaces ; leur mise en œuvre mine également les conditions d’épanouissement d’une politique de « réduction des risques » destinée à prévenir les dommages sanitaires et sociaux liés à la toxicomanie. La résistance que rencontre l’ouverture, en France, de salles de consommation à moindre risque – considérées comme nécessaires par de nombreux spécialistes – est exemplaire des effets collatéraux de l’interdit des drogues sur les politiques de santé publique.

 

L’impasse s’incarne avec plus de netteté encore dans la formation de toutes sortes de marchés illégaux : incapables de réduire une demande qui n’a cessé de croître, les politiques répressives ont également eu pour conséquences la constitution de dispositifs d’offre variés, devenus autant de bastions imprenables au service d’organisations criminelles violentes.

Pourtant, le projet de réforme de la loi prohibitionniste reste un tabou politique, au point de paraître impossible. Mais pour combien de temps encore ?

 

Loin des caricatures qui la décrivent comme une lubie libertaire défendue par une minorité de consommateurs hédonistes, la légalisation des drogues apparaît aujourd’hui comme la voie privilégiée d’une politique de sécurité, tout entière dédiée à la réduction des dommages et des risques sanitaires, ainsi que des menaces criminelles engendrées par l’usage et le trafic de stupéfiants. De manière contre-intuitive, la rigueur du droit est, en ce domaine, génératrice d’insécurité, et c’est la désescalade pénale qui pourrait constituer le garant efficace de l’ordre public et de la santé des populations.

 

Renaud Colson : « l’inévitable légalisation du cannabis »

Auteurs
  1. imgres.jpg Renaud Colson

    Maître de conférences à l’Université de Nantes (UMR CNRS Droit et Changement Social), Université de Nantes

  2. CV_Bergeron.jpg Henri Bergeron

    Chargé de recherche au CNRS, sociologue au CSO (Centre de sociologie des organisations), Sciences Po

Déclaration d’intérêts

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre appartenance que leur poste universitaire.

The Conversation France est financé par l'Institut Universitaire de France, la Conférence des Présidents d'Université, Paris Sciences & Lettres Research University, Sorbonne Paris Cité, l'Université de Lorraine, l'Université Paris Saclay et d'autres institutions membres qui fournissent également un soutien financier.

 

Source: theconversation.com

 



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