La France qui fume a désormais son livre de référence


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Le succès underground du roman «Génération H» d'Alexandre Grondeau n'est pas dû au hasard. En racontant la quête existentielle du jeune Sacha, fumeur d'élite et mélomane utopiste, il comble un vide dans la littérature française.

 

Sacha est en jeune adulte dans les nineties. Ce qui fait de lui un membre de la génération Y. Pourtant, selon Alexandre Grondeau, journaliste, écrivain et universitaire, son personnage principal appartient plutôt à la «génération H». «H» pour hardcore ou haschich. Sacha est un fumeur d'élite, un jeune type en quête de vécu et d'expérience. Idéaliste qui se heurte aux réalités et aux contradictions des utopies, il fait partie de ces centaines de milliers de Français qui ont inscrit le cannabis dans leur vie. 

Il serait trop réducteur de le résumer à cette seule consommation, mais elle reste centrale dans ce second tome de Génération H. La musique, la fuite en avant face aux luttes perdues par les générations passées, l'autorité... Alexandre Grondeau réussit à raconter une part de la population oubliée de la littérature française. La France qui fume, mais pas seulement.

 

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REUTERS/Ueslei Marcelino

Prendre le phénomène dans sa diversité

Derrière les envies de road-trip de Sacha, on retrouve un éternel débat: celui qui oppose la France Pinard à la France Pétard. 

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«Je ne vais pas mentir: la Génération H, c'est une génération festive, avoue Alexandre Grondeau. Les usages de l'alcool et du cannabis s'y retrouvent. Il est donc difficile de les opposer. La France pinard existe toujours, mais il y a une autre France qui existe, qui a grandi et qui concerne aujourd'hui des gens entre 15 et 65 ans.»

 

 

Avec le cannabis, tout un jargon, une culture, une vraie passion se déclinent. Pour cette génération H, elle n'a rien à envier aux amateurs de bon vin. Alexandre Grondeau y raconte les déclinaisons, les goûts, les manières de consommer, les pratiques venant d'Inde comme le shilom, les nouvelles herbes qui venaient de Hollande à l'époque... Sacha et ses potes se retrouvent passionnés par le cannabis mais pas seulement pour ces effets. Cela fait partie de leur mode de vie. 

 

«Il y a une dimension festive dans le cannabis, mais aussi de la réflexion, de la contestation, de la prise de recul par rapport au système.»

 

Le roman n'a rien de moralisateur. Il constate et casse bons nombres de clichés, comme celui du dealer violent qui exploite la dépendance. Si cette vision est souvent vraie, elle n'est pas unique. Génération H, c'est la prise du phénomène cannabis dans toute sa diversité, avec les yeux d'un auteur qui l'a vécue au plus près. 

Un succès underground

«Les gens dont je parle dans mes romans, ils ont aujourd'hui entre 35 et 45 ans, ils sont totalement insérés dans la société. Je me suis inspiré de mes proches qui sont aujourd'hui fonctionnaires, chefs d'entreprise, avocats, journalistes, chômeurs... Malgré le côté radical, ces gens sont des Français comme tout le monde.»

Avec 20.000 exemplaires vendus du premier tome (sorti en 2013) et déjà 6.500 du second, le succès est notable pour un livre (une future trilogie) dont les médias généralistes ne font que peu échos. En mais 2013, alors qu'Alexandre Grondeau était l'invité de France Inter, la radio publique se faisait rappeler à l'ordre par le CSA: 

 

Comme nombre de sous-cultures, et la France ne fait pas exception, le livre a tourné dans les festivals, dans les réseaux undergrounds, jusqu'à ce que nombre d'artistes, beaucoup de chanteurs reggae notamment, ne le soutiennent ouvertement. Si le rapport au cannabis est ce qui domine dans ces hommages, si la dépénalisation est l'une des motivations de ce «mouvement Génération H», le discours d'Alexandre Grondeau n'est pas seulement là:

 

 

«[Le CSA] considère que les propos tenus pouvaient avoir pour effet de banaliser la consommation de cannabis, ce qui est contraire à la délibération du 17 juin 2008 relative à l’exposition des produits du tabac, des boissons alcooliques et des drogues illicites à l’antenne des services de radiodiffusion, l’animateur n’ayant, à aucun moment, rappelé le caractère illégal de la consommation de cannabis ni évoqué les risques pour la santé qu’une consommation importante de cette drogue peut entraîner, manquant ainsi à son devoir de bonne information des auditeurs.»

 

Tout n'est pas rose

«Des gens se sont reconnus dans la jeunesse que je décris. Ils ont des responsabilités, des enfants, ils ne comprennent pas pourquoi ils risquent autant en fumant un joint le soir. Le paradoxe entre les consommateur de cannabis lambda et les moyens mis en place pour lutter contre lui est énorme. Après, il y a un problème de santé publique, d'éducation, il y a beaucoup de choses à faire. C'est pour cela que je parle de responsabilisation. Il y a un traitement global à mettre en place, une réflexion qui considère les réalités et qui essaie de s'y adapter. Or, je vois des gens fermés à toute discussion, qui considèrent que la Génération H ne représente personne, qu'elle n'est pas insérée.»

Et quand on lui avance qu'il y a aussi des effets néfastes au fait de fumer, que cela peut poser des problèmes psychiques ou de désocialisation et d'addiction forts: 

 

La question n'est donc pas de savoir si le cannabis est bon ou mauvais. Le débat prendrait des heures et a déjà été maintes fois ressassé. Rétorquer que le cannabis est mauvais pour la santé et engendre des troubles physiques? C'est évident, et les fumeurs le savent, d'où la quête d'existence: 


 

«Tout n'est pas rose. La France qui fume, ça représente des millions de personnes, des millions de cas différents. On pourra toujours trouver des histoires horribles. Avec des romans, j'ai voulu dédramatiser tout cela. Quand Bukowski écrivit ses bouquins, personne n'allait lui dire que l'alcoolisme c'est terrible, personne ne lui faisait la morale en posant la question de l'interdiction de l'alcool. Je crois qu'on aura avancé quand les gens parleront autant de mes romans pour la description des milieux alternatifs que pour le cannabis.»

 

Les sales gosses ont grandi, et en plus, maintenant, ils ont un livre.

 

 

«Il y avait l'idée qu'il fallait tout vivre maintenant parce que l'avenir n'était pas à nous. Ça explique les excès, les abus, cette volonté de tout faire en se disant qu'on vivait un rêve éveillé à qu'on se réveillerait dans un cauchemar. C'était une sorte de symbiose entre le “do it yourself, la recherche de liberté, la quête d'expérience... Mais il n'y avait plus le regard idéaliste des années 1960. On avait bien vu l'échec des utopies des soixante-huitards et des Trente glorieuses. Nous, on voulait vivre différemment et on mettait tout de suite en application nos idéaux et nos valeurs. On était leurs enfants, mais on était des sales gosses qui voulaient montrer que leurs échecs n'étaient pas les nôtres, qu'on pouvait vivre différemment sans faire de communication.» 

 

Par Brice Miclet

Source: slate.fr



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