La Suisse Décriminalise le Cannabis, mais ce n'est pas la panacée


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Depuis le 1er octobre en Suisse, un adulte pris en train de fumer du cannabis échappe à une procédure judiciaire. En payant simplement une amende. La Suisse rejoint la tendance générale en Europe. Mais qu’en pense-t-on en Suisse? Tour d’horizon.

«Bien sûr que ce changement est une bonne chose», lance Dani*, un jeune fumeur de cannabis rencontré dans une cour intérieure du quartier populaire des Grottes, à Genève.

 

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«J'ai été arrêté par la police avec 5 grammes sur moi. Ils pensaient que j'étais un revendeur. Je connais beaucoup de gens qui ont eu des problèmes similaires», raconte Dani, après avoir soufflé une épaisse volute de fumée odorante.

 

La consommation et le trafic de cannabis sont interdits en Suisse. Dorénavant, toute personne de plus de 18 ans pris en possession de 10 grammes de chanvre recevra une amende de 100 francs qui ne figurera pas dans son casier judiciaire.

 

Les partisans de cette révision de la loi – approuvée il y a un an par le Parlement – affirment que passer d'une infraction pénale à un délit constitue une approche modeste mais réaliste, face à la consommation de cannabis.

 

Avec ce changement législatif, la Suisse rejoint la ligne suivie par d'autres pays européens qui tolèrent la consommation du psychotrope en petites quantités. En Suisse, on estime à 500’000 (sur 8 millions d’habitants) le nombre de fumeurs occasionnels de cannabis. Du côté des autorités, certains notent une tendance à la baisse au cours des 10 dernière années.

 

Dani, lui, voit les choses autrement: « Franchement, je pense que cela aurait dû être légalisé et contrôlé par l'État . Au moins, il y aurait beaucoup moins de délinquance.»

 

Afficher La consommation du cannabis dans le monde sur une carte plus grande

 

 

Banalisation de la consommation

 

Les opposants à cette réforme législative estiment, eux, que la dépénalisation du cannabis est contraire à la volonté des citoyens. Il y a cinq ans, les Suisses ont rejeté une proposition du gouvernement de légaliser la possession et la consommation de cannabis en contrôlant son commerce. Quatre ans plus tôt, le Parlement avait refusé de discuter de la question.

 

En pause déjeuner dans le parc des Cropettes à Genève, Jean-Philippe*, un statisticien de 45 ans, estime que la nouvelle loi va dans la mauvaise direction: «10 grammes, c'est beaucoup et l’amende de 100 francs n'est pas du tout dissuasive. Cela va rendre la consommation plus fréquente et banaliser le problème.» Un scepticisme également rencontré à Zurich.

 

«Il est trop facile de posséder des drogues sans être puni. Je pense que la marijuana peut être une étape vers d'autres drogues», lâche Michael , 40 ans, à la gare de la capitale économique du pays.

 

Les professionnels de la santé estiment, eux, que l'assouplissement de la loi ne devrait pas avoir d’impact notable sur la consommation nationale de cannabis. Ils mettent en avant l’exemple du Portugal et des Pays-Bas, qui ont des politiques tolérantes en la matière et où la consommation de cannabis a diminué chez les jeunes.

 

En Suisse, le débat continue, et même les anciens fumeurs de joints sont indécis.

 

«Il y a 10 ans, j'aurais été en faveur de la légalisation du cannabis, témoigne Marie, qui a deux garçons adolescents. Mais aujourd'hui, nous ne devons pas minimiser les dangers. Dans les années 1990, la variété skunk avait une teneur en THC [le principe actif du cannabis] d'environ 5%. C’était déjà puissant. Aujourd'hui, il peut atteindre 30%. C'est presque comme une drogue dure.»

Harmoniser les politiques cantonales

 

Le gouvernement affirme que la révision permettra d’harmoniser les pratiques juridiques qui diffèrent largement d’un canton à l’autre. La dépénalisation devrait aussi alléger la charge de travail des systèmes de police et de justice, tout comme leur budget.

 

Chaque année, environ 30’000 fumeurs de joints sont déférés devant les tribunaux en Suisse.

 

Certains cantons ont déjà dépénalisé partiellement la consommation de cannabis par l'introduction d'une petite amende, alors qu’au Tessin, les fumeurs d’herbe risquent des poursuites pénales et des amendes allant jusqu'à 3000 francs.

 

Corine Kibora, porte-parole d’Addiction Suisse, insiste: «Les ressources policières devraient être libérées pour poursuivre le trafic de drogue.»

 

Contacté par swissinfo.ch, les polices des cantons de Zurich et Berne déclarent qu’à part une réduction de la paperasserie, la nouvelle loi et le système des amendes ne devraient pas avoir d'incidence sur leur travail quotidien ou leur stratégie de lutte contre la consommation de cannabis, au jour le jour.

 

Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement Romand d'Etudes des Addictions (GREA) ajoute: «Ce changement politique valide le changement de statut du cannabis dans la société. Mais il n'est pas suffisamment clair. Sur le terrain, la mise en pratique de la nouvelle loi par la police est compliquée.»

 

L’expert craint que les forces de police cantonales ne puissent appliquer la loi de façon uniforme, l'objectif principal d'harmoniser les pratiques policières courant ainsi à l'échec.

 

«Ce n'est pas une révolution. Dans l'ensemble, la démarche reste hésitante et prudente. Des ressources policières considérables seront toujours utilisés pour que l’interdiction soit respectée», estime Jean-Félix Savary.

 

Les jeunes fumeurs

 

Les jeunes de moins de 18 ans ne sont pas directement concernés par la révision de la loi. En fumant du cannabis, ils risquent toujours des poursuites judiciaires.

 

Cela dit, selon Corine Kibora, la nouvelle loi aggrave la peine des dealers, en cas de vente aux mineurs. Quant aux adolescents dépendants au cannabis, la nouvelle procédure devrait faciliter leur accès à des spécialistes.

 

Selon un rapport de l'UNICEF, 24% des adolescents âgés de 15 ans ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des 12 derniers mois (2009-2010) en Suisse. Pour la période 2001-2002, ce taux était de 38%.

 

L'idée de renforcer la prévention est très belle en théorie, assure pourtant Jean-Félix Savary, avant de lancer: «Nous devons arrêter l'hypocrisie. La Confédération (gouvernement) invite les cantons à en faire plus, sans verser un seul franc . La semaine dernière, le Conseil national (chambre du peuple) a voté une forte réduction du budget de prévention de l'alcoolisme. Si les politiciens veulent des résultats, ils doivent y mettre les moyens.»

 

* Prénoms fictifs

Simon Bradley, swissinfo.ch

Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand

 

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