Le cannabinol sédimentaire témoigne d'un procédé ancestral de traitement du chanvre


Messages recommandés

Une équipe de scientifiques menée par l’Institut des sciences de la Terre d’Orléans (CNRS / Université d’Orléans / BRGM), en collaboration avec trois autres laboratoires (GéHCo, GEOLAB et IMBE)(1), a mis en évidence la présence, dans les sédiments accumulés au cours des 800 dernières années au fond d’un lac auvergnat, d’une molécule spécifique du chanvre, le cannabinol. Grâce à ce traceur original, ils ont pu montrer que, dans cette région, le rouissage du chanvre et la pollution des eaux de surface qui lui est associée ont commencé au XIIIe siècle pour s’arrêter à la fin du XIXe siècle.

 

 

 

post-644446-0-34110300-1368549485_thumb.jpg

 

 

 

La pollution généralisée des milieux naturels est récente et intimement associée à la révolution industrielle. Mais qu’en a-t-il été auparavant ? La rareté des chroniques historiques portant sur les dégradations engendrées par les activités humaines rend difficile la réponse à une telle question. En revanche, il est parfois possible de reconstituer des pratiques polluantes anciennes, voire de tracer les pollutions elles-mêmes, notamment à l’aide de ces archives naturelles que sont les sédiments accumulés au fond les lacs.

 

Le chanvre (Cannabis sp.) est une plante qui a joué un rôle fondamental dans le développement des sociétés humaines, ses fibres étant utilisées entre autres pour la fabrication de textiles et de cordes. Pour les extraire, la méthode traditionnellement utilisée consiste à rouir les tiges de la plante, c’est-à-dire à les faire macérer dans l’eau, un travail réalisé au bord des cours d’eau, des mares ou fossés prévus à cet effet et qui pouvait donc altérer profondément la qualité des eaux de surface avec des conséquences sanitaires graves pour les organismes aquatiques, les populations humaines et le bétail. L’histoire des activités humaines liées au chanvre (sa domestication, sa propagation et sa transformation) est souvent reconstruite à partir des graines et du pollen du chanvre détectés dans les sites archéologiques ou les archives sédimentaires, mais cette méthode ne permet pas toujours de déterminer s’il y a eu rouissage. Or, le chanvre est également connu pour contenir des phytocannabinoïdes, une famille de produits chimiques synthétisés uniquement par cette plante, dont fait partie le cannabinol, un dérivé du fameux psychotrope Δ9-tétrahydrocannabinol (THC).

 

Des documents historiques attestant du rouissage du chanvre en Auvergne, une équipe de scientifiques issus de plusieurs laboratoires français a recherché la présence de cannabinol dans la partie récente d’une carotte sédimentaire de 19 m de long prélevée au centre du Lac d’Aydat (Puy-de-Dôme) et constituant un enregistrement des 6700 dernières années de l’histoire des environnements et des activités humaines locaux. L’analyse d’une série d’échantillons de sédiments prélevés sur la partie récente de cette carotte a permis aux chercheurs de mettre en évidence la présence de pollen de chanvre dès le IXe siècle, ainsi que de cannabinol et de plus grandes quantités de pollen entre 1200 et 1860.

 

 

post-644446-0-84873800-1368549929_thumb.jpg

 

 

 

La présence de pollen de chanvre témoigne de l’existence de cultures de chanvre dans le bassin versant. En revanche, la présence du cannabinol ne peut s’expliquer par le lessivage des sols cultivés, car toutes les parties de la plante sont exportées lors de la récolte, à l’exception des racines qui ne contiennent pas de cannabinol. De fait, il n’y a également pas de cannabinol dans les sols du bassin versant. Les chercheurs en ont donc déduit que la présence de cette molécule dans les sédiments, associée à de grandes quantités de pollen, indique surtout que les populations locales pratiquaient le rouissage du chanvre.

 

Il ressort donc de cette étude que si la culture du chanvre autour du lac débute au IXe siècle, son rouissage n’est attesté qu’à partir du XIIIe siècle, un résultat en accord avec les données historiques disponibles pour cette région. Les concentrations en cannabinol indiquent en outre que le rouissage devient alors une activité importante dans la région jusqu'aux alentours de 1850. L’absence de cannabinol dans les sédiments à partir de 1860 pourrait quant à elle refléter le déclin, établi par les données historiques, des usages du chanvre au profit du coton.

 

 

 

post-644446-0-03861600-1368549687_thumb.jpg

 

 

Le chanvre ayant été beaucoup utilisé de par le monde et ce, depuis le néolithique, cette étude suggère que le cannabinol détecté dans les sédiments lacustres soit utilisé comme un nouveau traceur de cette activité humaine singulière, dans le but d’obtenir des chroniques continues du rouissage du chanvre et des pollutions qu’il a pu engendrer.

 

 

Cette étude a bénéficié du soutien financier du programme EC2CO du CNRS-INSU (projet ERODE) et de la Région Centre (bourse de thèse de Marlène Lavrieux).

 

Note(s):

  1. Géohydrosystèmes continentaux (GéHCo, Université François-Rabelais de Tours), Laboratoire de géographie physique et environnementale (GEOLAB, CNRS / Université Blaise Pascal Clermont-Ferrand II / Université DE LIMOGES / INRAP) et l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE, CNRS / Université Aix-Marseille / Université d’Avignon / IRD).

Source : https://www.insu.cnrs.fr/node/4291

  • Like 2
Lien à poster
Partager sur d’autres sites