Légaliser le cannabis ? Ce qu'en dit l'économie


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L'usage non médical du cannabis est dangereux pour la santé. Sa distribution crée l'insécurité et nourrit les réseaux de trafiquants. Y a-t-il un moyen de contrôler cette consommation et faire qu'elle ne profite pas aux malfrats ? Sur ce sujet majeur de sécurité publique, la classe politique reste assez coincée. Provoquant un immédiat tollé, Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale, vient utilement de poser la question. On présente ici de façon critique les arguments économiques en faveur de la libéralisation. Cela, parce que, légal ou pas, le marché du cannabis reste un marché, soumis à la loi de l'offre et de la demande.

 

Un premier argument est avancé. Comme l'usage du cannabis est devenu extrêmement courant, sa répression ressemble à une guerre perdue, comme celle conduite contre l'alcool par le gouvernement américain au moment de la prohibition. L'interdit public sert avant tout à rejeter la demande du public vers les marchés parallèles, aux mains des bandes organisées. Plutôt que les caisses de l'Etat, il nourrit la délinquance des cités, lui donnant un marchepied pour d'autres pratiques criminelles. Il épuise la police dans une lutte assez vaine, distrayant des ressources qui seraient mieux employées ailleurs.

 

L'argument ne suffit pas à soi seul à soutenir le cas de la libéralisation : vendre de l'héroïne est un crime fortement réprimé et pourtant toujours pratiqué. Y verrait-on motif, sauf pour quelques esprits dissidents, à la dépénaliser ?

 

Cet autre argument est donc ajouté : le cannabis semble être moins addictif et peut-être moins nocif que d'autres substances, notamment le tabac et l'alcool, qui pour ces derniers sont pourtant dépénalisés (tout en restant hautement régulés). Il s'agit simplement d'une pratique moins ancrée dans la tradition occidentale. Ce point fait l'objet de débats chez les experts, mais l'idée de la faible dépendance et nocivité a été fortement appuyée en 2007 par le très réputé journal médical « The Lancet ».

 

Un deuxième argument nous intéresse plus ici : une procédure de marché légalisé, mais contrôlé, semble plus efficace que la seule répression pour maîtriser la demande de cannabis et surtout pour réduire la demande pour d'autres produits distribués par la criminalité.

 

Voyons tout d'abord l'effet direct sur la demande de cannabis. Aujourd'hui, elle s'établit à un niveau donné, lié à son prix sur le marché illicite. La légalisation contrôlée consiste, comme aujourd'hui pour le tabac, à instaurer une taxe. Cela permet de fixer le prix de vente légal au niveau qui autorise une demande identique ou moindre. A quel niveau est fixé le prix du marché illicite, et à quel niveau doit-on fixer la taxe ? Le prix, ici comme ailleurs, est la somme du prix d'achat et des coûts de distribution. Ces deux coûts incorporent la prime de risque de l'activité, évidemment très élevée à tous les niveaux de la chaîne. Plus la répression est forte, plus le prix à la consommation s'élève.

 

En sens inverse, ce prix est affecté à la baisse par l'incommodité de la distribution du produit. Le consommateur préférerait aller chercher son cannabis au tabac du coin que dans les quartiers louches. Il intègre aussi dans le prix sa propre prime de risque pour les pays qui, comme la France, pénalisent non seulement la vente, mais aussi la consommation de cannabis. Dit autrement, il serait prêt à payer plus cher un produit légal, plus facile d'accès et répondant à des normes de qualité et de santé établies.

 

Par conséquent, à demande identique, le prix légal, contrôlé par la taxe, peut être plus élevé que le prix illégal. La rente fiscale sera plus forte que la rente des malfrats, ce qui tient au fait que l'Etat, ayant le monopole de la légalité, est en mesure de monétiser ce monopole. L'Etat peut même piloter la taxe pour réduire la demande, jusqu'au niveau bien sûr où réapparaît un marché illicite, comme le montre la renaissance récente de la contrebande des cigarettes.

 

Quel est maintenant l'impact sur la demande et l'offre d'autres produits mafieux ? Le cannabis est en effet le marchepied à d'autres stupéfiants, plus nocifs, plus addictifs et plus rémunérateurs pour la grande criminalité. Les trafiquants appliquent à la lettre le principe n° 1 du marketing, désigné dans les manuels comme la « stratégie du produit d'appel ». Les autorités doivent donc répliquer en suivant le principe n° 2 des mêmes manuels, à savoir « segmenter le marché ».

 

L'idée est de dissocier radicalement la distribution de cannabis de celle des autres drogues restant illégales. Ces dernières resteraient absolument proscrites et donc, par force, entre les mains du marché illégal, avec les risques associés pour les vendeurs et pour les consommateurs. Les études sur le sujet concluent en général que la demande spontanée de drogues dures baisserait. Mais l'effet le plus important se verrait sur l'offre de ces drogues, en raison à la fois de la refocalisation des forces policières et de la perte des revenus du cannabis par les réseaux délinquants.

 

Il s'agit bien d'un vrai débat.

 

François Meunier est économiste, ancien directeur général de Coface

Source: Les Echos

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