Culture de cannabis dans la Békaa, au Liban - Articles


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Les habitants de Yammouneh lèvent leur sit-in de protestation contre la destruction des champs de cannabis par les autorités, suite à la visite du ministre de l’Intérieur.

 

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Après une semaine de tensions entre forces de l’ordre et agriculteurs producteurs de haschisch à Yammouneh, dans la Békaa, la crise semble être sur le point d’être réglée.

 

Le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel s’est rendu hier à Yammouneh et y a rencontré les habitants du village qui organisent depuis samedi un sit-in pour protester contre la destruction des champs de cannabis par les autorités. M. Charbel leur a promis d’évoquer cette question lors du Conseil des ministres qui est prévu aujourd’hui, lundi. « Cette affaire sera sérieusement étudiée à partir de demain matin » (aujourd’hui), a promis le ministre aux protestataires. Il a précisé qu’il allait proposer trois idées au Conseil des ministres, dont celle des indemnités « à laquelle je tiens beaucoup », s’abstenant de donner des indications sur les deux autres. Il s’est prononcé dans ce cadre « pour une solution qui ménage la chèvre et le chou ». Il a ajouté qu’il suit l’affaire des plantations de cannabis depuis trente ans (il était alors officier des Forces de sécurité intérieure, FSI), qu’il a déjà rédigé un rapport à ce sujet et qu’il le transmettra bientôt au président de la municipalité.

 

Toutefois, malgré la levée du sit-in, la colère continue de gronder dans la région, et les protestataires ont promis de redescendre dans la rue si l’affaire n’est pas réglée d’ici à 48 heures. La famille Jaafar a publié sur ce plan un virulent communiqué suite à une réunion dans le village de Charawneh, à Baalbeck, à laquelle plusieurs hommes en armes ont participé. Le texte indique que la famille « fera face à tous ceux qui voudront détruire ces plantations dans la région, parce qu’elles sont une source de subsistance incontournable ». Les Jaafar refusent également « les promesses mensongères de ceux qui publient des communiqués au nom de Hussein Mohammad Jaafar, sachant que leur source est le bureau de lutte contre les stupéfiants, puisque cette personne est une employée de Adel Machmouchi (président de ce bureau) ».

 

« Yammouneh n’est pas sortie de l’autorité de l’État »

Samedi, les protestataires avaient bloqué les routes principales menant au village à l’aide de pneus enflammés pour dénoncer l’opération de destruction menée, depuis la semaine dernière, par l’armée libanaise et les FSI.

Le président du conseil municipal de Yammouneh, Mohammad Chreif, qui a participé au sit-in, a insisté sur le soutien des résidents du village à l’armée, aux forces de sécurité et à la « Résistance » (le Hezbollah). Il a également démenti les informations selon lesquelles 250 hommes armés se sont rendus au village pour affronter les autorités. « Nous refusons les coups de feu tirés contre l’armée, mais nous mettons en garde les propriétaires des tracteurs contre leur entrée sur nos terres, sous peine de se trouver en danger, a-t-il poursuivi. D’un autre côté, nous appelons l’État et les hommes politiques à trouver des alternatives et visiter la région pour constater à quel point nous vivons dans la précarité. »

Pour sa part, l’ancien président du conseil municipal Talal Chreif a assuré que Yammouneh « n’est pas sortie de l’autorité de l’État ». « Ce problème est commun à toute la Békaa et nécessite une solution radicale et globale, a-t-il dit. L’agriculture est en très mauvaise posture. Les récoltes sont tantôt décimées par le gel, tantôt écoulées à des prix sacrifiés, sachant que le mazout est cher. Ce qui pousse les agriculteurs de la région à planter le cannabis est cet état de privation dans lequel ils se trouvent. »

 

Même son de cloche auprès de manifestants interrogés par l’ANI, Ali Chreif et Salim Rahmé (de Aïnata, venu soutenir le sit-in à Yammouneh). « L’agriculture est devenue un fléau pour l’agriculteur, nous aurions aimé que les hommes politiques viennent constater dans quelles conditions nous vivons », a dit Ali Chreif. Quant à Salim Rahmé, il a assuré que « nul n’a l’intention de tenir tête aux forces de l’ordre, mais nous devons défendre notre source de subsistance ».

Plusieurs opérations de destruction de champs de cannabis ont dégénéré, la semaine dernière, en clashs entre les forces de l’ordre et les agriculteurs producteurs de haschisch dans ce secteur de Yammouneh-Deir el-Ahmar. Deux soldats ont été blessés lors de ces affrontements.

 

Source: L'Orient le Jour

 

Suite des évènements au Liban...

Mise a jour du 10 Août 2012:

 

Cultures illicites : les agriculteurs libanais au cœur d’un projet de développement

 

Les violentes altercations des dernières semaines entre l’armée, chargée de détruire les champs de cannabis dans la Békaa, et les agriculteurs ont choqué, et pour cause. Sans culture alternative subventionnée, c’est le sort de centaines de familles qui est en jeu. Une commission ministérielle a été chargée de mettre en place un projet de développement agricole pour la région.

 

Le Premier ministre, Nagib Mikati, a présidé hier la première réunion de la commission ministérielle chargée de l’étude du projet de développement du mohafazat de Baalbeck-Hermel. Ont participé à la rencontre le ministre des Finances, Mohammad Safadi, le ministre des Affaires sociales, Waël Bou Faour, le ministre de l’Agriculture, Hussein Hajj Hassan, le ministre de l’Économie et du Commerce, Nicolas Nahas, le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, Marwan Charbel, et les ministres d’État, Nicolas Fattouche et Panos Manjian.

 

Au terme de la réunion, M. Hajj Hassan a annoncé que les participants avaient mis en place un document de travail composé de deux parties. La première porte sur l’historique des problèmes de développement dans la région. « La dégradation du secteur agricole depuis des décennies est due à la négligence répétée et volontaire des différents gouvernements et a eu des conséquences dramatiques dans la région », a indiqué le ministre de l’Agriculture.

 

La deuxième partie du document porte, quant à elle, sur les coûts élevés de la production au Liban. Cette situation est directement liée à la hausse des prix des terrains, de l’électricité et toutes sortes de carburants ainsi que de la main-d’œuvre, plus chère que dans d’autres pays producteurs de fruits et légumes de la région.

 

Les cultures illicites

 

« La tendance qu’ont eue les différents gouvernements à considérer que les subventions publiques dans le secteur de l’agriculture allaient à l’encontre de la productivité économique est totalement erronée et infondée », a insisté le ministre de l’Agriculture. « Cette pratique, accompagnée de l’interdiction de la production des cultures illicites dans les années 1990, a eu des conséquences désastreuses dans le secteur », a-t-il ajouté. « Les agriculteurs sont conscients de l’illégalité de leurs cultures, mais comme l’État ne leur offre aucune solution alternative, ils sont obligés d’y avoir recours pour survivre. » Le ministre a critiqué l’État qui, contrairement à d’autres pays, « n’a pas eu recours aux aides internationales pour compenser l’arrêt des cultures illicites depuis la fin de la guerre civile ». Selon lui, environ dix pays dans le monde reçoivent des milliards de dollars de la part des Nations unies pour lutter contre la production de drogues.

 

Le ministre de l’Agriculture a affirmé souhaiter une plus grande implication de l’État en faveur « d’un secteur agricole laissé à l’abandon, sans subventions ni compensations, depuis 1992 ». Il a expliqué qu’une association pour les cultures alternatives avait été créée en 1995, « mais elle n’a malheureusement pas vu le jour ». En 2000, les députés du mohafazat de Baalbeck-Hermel avaient demandé la création d’un conseil pour le développement de la région, projet qui avait également avorté au niveau du Parlement. Par ailleurs, en 2002, le gouvernement a supprimé ses subventions à la culture de la betterave, et en 2006 il a failli supprimer les subventions à la culture du blé.

 

« Au terme de la réunion, nous nous sommes mis d’accord sur une série de propositions que j’ai personnellement été chargé de transformer en projet de loi afin de les présenter au plus vite au Conseil des ministres », a annoncé M. Hajj Hassan.

Le ministre de l’Agriculture a enfin indiqué qu’une réunion avec le ministre de l’Intérieur se tiendra très prochainement, « afin de déterminer quelles seront les conséquences de la destruction des champs de cannabis dans la Békaa et de proposer des solutions aux agriculteurs concernés ».

 

Source: L'Orient le Jour

 

On connait d'avance les conséquences pour les agriculteurs, et la solution est plus que simple mais doit être mondiale: culture personnelle et industrielle (fibre) doivent être légales et protégées. :chut:

 

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  • 2 semaines après ...

Cette fois-ci c'est sur les inrocks qu'un article très intéressant a été publié à ce sujet:

 

Au Liban, la guerre du haschich inquiète

 

Alors que les forces de sécurité libanaises ont lancé une opération pour détruire les champs de cannabis, les cultivateurs de la vallée de la Bekaa résistent et protègent leur unique et précieuse source de revenus.

 

Sur la route étroite qui conduit au village de Yammouneh, les traces des pneus brûlés et les quelques rescapés qui traînent encore sur le bord montrent que la tension est toujours vive. Ce village situé à 1500 mètres d’altitude et planté sur le flanc ouest du Mont-Liban, est d’ordinaire bien plus calme. Encerclé par la végétation, en été, la chaleur y est supportable. Dans les rues, seuls les cris des enfants bousculent le calme apparent. Les maisons ont conservé leurs vieilles pierres. Dans l’une d’elles, de vieux messieurs, installés sur une terrasse fleurie, entament une partie de backgammon. Une image de carte postale.

 

Mais Yammouneh est surtout réputé pour la qualité de son haschisch. Et depuis quelques jours, la colère gronde chez les habitants. Le gouvernement libanais s’est dit déterminé à « éradiquer » cette culture. La semaine dernière, les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont donc débarqué avec tanks et tracteurs pour détruire des champs de cannabis. Plusieurs agents ont été blessés car ici, les habitants ne ripostent pas avec des pierres. Le chef du département de la lutte contre le trafic de drogue au Liban, le colonel Adel Machmouchi, a d’ailleurs indiqué que « les forces de l’ordre [allaient] dorénavant répondre aux tirs ».

 

Ce jour-là, une dizaine d’hommes armés ont pris leurs quartiers dans une buvette, située au bout du village. Parmi eux, un mastodonte que l’on imagine seulement dans les dessins animés. Ce colosse, capable de mettre K.O n’importe quel intrus, ne porte aucune arme. Les autres, qui sont aussi des pères de famille, possèdent un véritable arsenal de guerre. Fiers, il exhibent kalachnikovs, M16 et caisses de munitions. Une fillette, qui doit avoir à peine cinq ans, s’amuse avec les balles d’un chargeur. La scène ne surprend personne. A quelques mètres, le maire, assis en tailleur sur une pelouse verdoyante tel un shaman en méditation, répond aux questions d’un journaliste étranger. Les tirs qui « célèbrent » notre arrivée ne paraissent pas le déconcentrer.

 

Parmi ces hommes, certains dealent, d’autres cultivent. Comme 95% des habitants de Yammouneh, ils appartiennent tous au clan des Chreif. Avec les Chamas et les Jaafar, cette famille est l’une des plus importantes de la vallée de la Bekaa. Dans cette région de l’est du Liban, coincée entre deux chaînes de montagne, le modèle tribal l’emporte sur tous les autres. Chaque famille à ses propres lois et gare à celui qui voudrait les enfreindre.

 

Chaque été, hommes, femmes et enfants passent la saison au village. L’année, seul un quart des 5000 habitants y reste. Les autres fuient la neige, le froid, l’ennui et le chômage. Certains vivent désormais à Beyrouth. Ils y ont ouvert un magasin de location de voiture, travaillent dans une banque ou vendent la dernière récolte. C’est le cas de Walid*. Le jeune homme, au jean délavé et t-shirt griffé, manie plutôt bien l’anglais.

 

« C’est parce que mon père était cultivateur qu’aujourd’hui je suis une personne éduquée », dit-il.

 

Pour ce dealer qui reste évasif sur ses revenus, le cannabis « devrait être légalisé ». « On pourrait faire des médicaments et même du tissu et en quelques années la dette du Liban serait comblée », estime-t-il. Il vante la pureté du haschich libanais qui, selon lui, est un rempart au chaos. « Sans ça, tous les Libanais s’entretueraient. »

 

Le cannabis est à la Bekaa, ce que le caviar est à l’Iran. Un des meilleurs sur le marché. Selon les Nations Unies, le pays fait partie des cinq premiers producteurs de cannabis au monde. Une source financière pour le moins rentable. Culture et trafic auraient rapporté environ 4 milliards de dollars par an dans les années 1980. A Yammouneh, les 4×4 rutilants monopolisent donc les rues et le style quelque peu « bling-bling » de certains hommes montre qu’ils ont « réussi ». Selon Walid, un lopin de 1000 m2 rapporte 1500 dollars par saison. Les exploitations vont de 500 à 300 000 m2. Les gros cultivateurs savent donc que leur niveau de vie est menacé et les petits craignent de ne plus pouvoir nourrir leurs familles.

 

L’armée n’en est pas à sa première démonstration de force. Depuis la fin de la Guerre civile (1975-1990) qui entérine l’âge d’or du haschich, l’Etat planifie régulièrement de vastes opérations de destruction.

 

« On ne veut pas de problème avec l’armée mais si elle revient, nous bloqueront une nouvelle fois les routes et nous l’attaqueront. On sortira du village pour s’allier aux autres familles », prévient le jeune dealeur avant d’ajouter que certains cultivateurs ont déjà miné leurs champs.

 

« Nous sommes des révolutionnaires et les traditions sont importantes comme chez les Siciliens », ajoute-t-il, sûr de lui. Ici, les « parrains » débordent d’amour pour leurs enfants érigés en roi. Rien d’anormal d’ailleurs à ce qu’un bout de chou de quatre ans s’assoit sur les genoux de son père et prenne le volant. Les épouses coquettes se font discrètes. Quant aux chiens de garde, ils sont postés aux endroits stratégiques du village et servent de sentinelle.

 

D’autres habitants se disent prêts à « négocier » avec les autorités. « Je ne soutiens pas la lutte armée, je préfère signer des pétitions mais on est arrivé à un point où tous les moyens sont utiles », estime Ali directeur du Centre culturel de Yammouneh. Ce lieu, seulement ouvert l’été, offre aux enfants un éventail d’activités et organise même des conférences sur la drogue.

 

«Quand les jeunes finissent leurs études, beaucoup ne trouvent pas de travail du coup ils tombent dans la drogue, explique-t-il. Avant, personne ne fumait ici. »

 

Ali, à l’instar du reste de la population, a le sentiment d’être abandonné par l’Etat. Le ministère de l’Intérieur Marwan Charbel s’est rendu le week-end dernier à Yammouneh. Objectif: rassurer les habitants et faire tomber la pression. Il s’est engagé à obtenir des compensations pour les cultures saccagées par l’armée. Mais pour le directeur, « tout cela n’est que du bavardage, une fois de retour à Beyrouth, toutes ces promesses disparaissent. »

 

Dans ce village chiite, nombreux sont ceux qui ne voient aucun inconvénient à abandonner la culture du haschich mais à condition de trouver une autre source de revenus. « Ici, les hivers sont trop froids. Le gel détruit les pommes de terre et les vergers », explique Ismaïl. Pour ce cultivateur de haschich, qui travaille l’année dans un ministère, l’Etat ne cherche aucune solution. « Dans les villages chrétiens des alentours, les ONG viennent pour aider les gens à planter des vignes. Pas ici. »

 

Cette famille se réunit tous les étés à Yammouneh. Chez Ismaïl, les hommes sont cultivateurs de père en fils. Le doyen est fier de souligner qu’il ne touche pas à la récolte. C’est « haram” [ndlr, illicite en arabe], dit-il. Mais son fils de trente-deux ans, déjà marqué, fume pour deux. Ce père de famille dépose son arme sur la banquette et enlève le chargeur avant d’enchaîner plusieurs pétards. Comme son père, il reprendra la production. Et son fils en fera de même si rien n’évolue.

 

Pour Hassan Makhlouf, spécialiste de la drogue au Liban, « l’élimination de la culture du cannabis ne peut se faire que par un projet de développement alternatif global. Aucune aide concrète pour la reconversion n’a été proposée aux paysans ». Pourtant, Yammouneh se rêve en destination touristique. Ses vingt-sept sources d’eau, sa proximité avec les pistes de ski et son atmosphère apaisante pourraient bien attirer des backpackers amateurs de fumette.

 

* Tous les prénoms ont été modifiés

 

Par: Fériel Alouti

 

Source:Les inrocks

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