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Un article de la recherche (revues scientifique reconnue)

J'ai mis les photos en dernier, sinon vous pouvez aller sur emule pour le télécharger en version scannée vous faite une recherche avec "La Vérité sur le cannabis"

Je sais c'est long, mais c'est trés intéréssant

 

1. Les scientifiques sont d'accord!

 

Le débat sur le cannabis est passionné et confus. Pourtant, la recherche a beaucoup progressé, sur tous les fronts. Et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, la plupart des scientifiques sont d'accord entre eux. C'est ce consensus que nous présentons ici, en prenant le parti de répondre aux questions que tout le monde se pose.

On entend tout et son contraire sur le cannabis. Il est une drogue récréative ou un fléau social. Il crée ou non une dépendance. Il est ou n'est pas la porte d'entrée vers les drogues dures. Il provoque ou non schizophrénies et dépressions. Et ainsi de suite. ä en juger par de nombreux rapports, communiqués, articles de chercheurs et de journalistes, la communauté scientifique elle-même semble divisée (lire l'article de Thierry Kubler, p. 33). Des scientifiques se contredisent, parfois avec violence. Certains descendent dans l'arène publique pour s'exprimer, ou voient sans déplaisir leurs travaux exploités dans les médias. Bref, sous l'habit du scientifique perce la tunique du militant. Comme dans la plupart des débats où science et idéologie se mêlent ⤠OGM, clonage, effet de serre, nucléaire â¤, le débat public est obscurci par le bruit produit par l'ardeur partisane. Mais sur la question du cannabis, cet effet de brouillage est d'autant plus regrettable qu'il masque un consensus scientifique relativement solide. Voilà un sujet sur lequel, en réalité, les scientifiques sont en gros parvenus à se mettre d'accord au cours des années récentes. C'est ce consensus que nous allons présenter. Il s'exprime au travers d'imposants rapports collectifs de synthèse. Sauf indication contraire, les données présentées ici sont tirées de trois « sommes » récentes. La première est française : un rapport publié en 2001 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) [1]. La seconde est un rapport de l'Institut de médecine de l'Académie américaine des sciences, publié en 1999 [2]. La troisième est un rapport du Sénat canadien, publié en 2002 [3]. La démarche que nous avons choisie est de répondre aux principales questions que tout le monde se pose. Nous avons souhaité rendre le texte lisible par des adolescents ne disposant pas d'une solide culture scientifique. Il nous fallait cependant faire des choix. Nous laissons de côté, pour l'essentiel, la question de la production et du trafic. Nous n'évoquons pas non plus le débat sur les usages thérapeutiques possibles du cannabis. Nous avons déjà abordé ce sujet dans La Recherche [4] et pensons y revenir ultérieurement.

 

Qu'est-ce que le cannabis ?

 

C'est un produit psychoactif* tiré de Cannabis sativa indica, variété commune du chanvre qui est aisément culti- vable sous la plupart des climats. Il est le plus souvent fumé en cigarette, mêlé ou non à du tabac. Il est aussi fumé à la pipe, au narghilé ou au cigare. Il peut être incorporé à des biscuits ou à des gâteaux, ou encore bu en infusion. Le principal agent actif du cannabis, mais non le seul, est le D9- THC*, identifié en 1964. Le D9- THC se trouve dans les tiges, les feuilles, et plus encore les fleurs, des plants femelles. La plus forte concentration en D9- THC est dans une résine que sécrètent les extrémités florales. Le haschisch, qui se présente sous forme de barrettes compressées et durcies, est principalement constitué de cette résine. On en extrait aussi des huiles, très concentrées en D9- THC, dont on imprègne le papier à cigarette ou le tabac. Cannabis sativa peut être cultivé dans un jardin, sur un balcon, en champ, en serre ou encore en culture hydroponique (les racines sont plongées dans une solution nutritive). La teneur en D9- THC varie selon le sol, le climat, l'exposition, le mode de culture. Si l'on ajoute à cette grande variété le caractère illégal du marché, et donc l'impossibilité de toute forme de contrôle du contenu des produits consommés, on voit la difficulté de mener des études rigoureuses, fondées sur des données comparables. On sait cependant qu'en raison de l'extension du marché, qui a permis le progrès des techniques de sélection et de culture, la concentration moyenne en D9- THC d'un gramme de cannabis a beaucoup aug- menté depuis les années soixante-dix ⤠jusqu'à cinq fois selon certains auteurs.

 

Que recherche le consommateur ?

 

Chez les personnes en bonne santé, un sentiment d'euphorie, qui passe par une modification des perceptions. Quelques instants après les premières bouffées du joint, le fumeur se sent « planer ». Les effets décrits sont le plus souvent la loquacité, l'hilarité, la sociabilité, une déconnexion des soucis du quotidien, des sensations de bien-être corporel et spirituel, de calme, de relaxation, assorties d'une distorsion de la perception du temps et de l'espace, d'une accentuation des perceptions sensorielles (couleurs, sons, etc.), d'une décontraction gommant les images négatives de soi et renforçant la confiance.

 

Des cadres stressés y voient un moyen de se détendre pour bien dormir, des artistes un outil favorisant l'inspiration. L'inhibition sexuelle est diminuée. ä en croire les experts, le désir est accru chez la femme, le plaisir chez l'homme.

 

Certains malades du corps ou de l'âme recherchent un effet sédatif, calmant la douleur physique et la souffrance morale. C'est le cas de nombreux sidéens, qui y voient aussi un stimulant de l'appétit, et de schizophrènes, qui y voient un moyen de calmer leur angoisse.

 

 

Depuis quand le cannabis est-il utilisé ?

 

Depuis la Haute Antiquité, notamment en Chine et en Inde. Il a parfois été associé à des pratiques rituelles ou religieuses, mais était aussi recherché pour les vertus thérapeutiques qu'on lui prêtait, y compris en Occident. ä la veille de la Première Guerre mondiale, le Grand Larousse énumère : « On l'emploie dans l'asthme, l'hystérie, la chorée, le hoquet, les sueurs des phtisiques, le delirium tremens, l'hydropisie, le tétanos, la rage, etc., sous forme d'extraits gras, de teinture... »

 

Le cannabis est depuis des siècles une drogue populaire en différentes régions du monde. Il pénétra les milieux littéraires européens au XIXe siècle : Baudelaire se proclamait chef des « hachischins » parisiens. Esclaves noirs et émigrants indiens l'ont introduit en Amérique latine.

 

Depuis quand le cannabis est-il, en Occident, un problème social ?

 

Depuis le début du XXe siècle aux Ãtats-Unis, dans les régions voisines du Mexique. En 1910, la Californie interdit la marijuana (mot mexicain). En 1937, l'Administration Roosevelt l'inscrit dans l'arsenal de la législation antinarcotiques (alors qu'il n'est pas un narcotique*). En 1944, une monographie fut publiée sur « Le problème de la marijuana dans la ville de New York » et, en 1968, la revue Science publia une synthèse sur « Les effets cliniques et psychologiques de la marijuana sur l'homme ». C'était peu après le début d'une véritable explosion de la consommation, bientôt qualifiée d'épidémie.

 

Dans le sillage du mouvement hippie et de la contestation de la guerre du Vietnam, le cannabis se banalise chez les adolescents du baby-boom. Négligeable au début des années soixante, la consommation atteint un pic vers 1978-1979, date à laquelle aux Ãtats-Unis plus de 36 % des élèves de terminale déclaraient avoir fumé un joint au cours du mois précédent. Le pourcentage a ensuite baissé jusqu'à un étiage en 1992 (moins de 12 %), pour remonter ensuite jusqu'à un nouveau pic en 1997 (près de 24 %), puis se stabiliser autour de 22 % [5].

 

Où en est la consommation en Europe ?

 

Avec un temps de retard sur les Ãtats-Unis, et avec moins d'ampleur, l'Europe a connu l'épidémie des années soixante- dix et le regain des années quatre-vingt-dix. En 1977, une enquête en France évaluait à 11 % le taux d'adolescents urbains de 14 à 18 ans ayant consommé du cannabis au cours du dernier mois [6]. Le pays le plus touché a longtemps été le Royaume-Uni, qui a connu en 1997 un pic à 23 % pour la consommation non du mois mais de l'année précédente chez les 16-34 ans, tandis que la France atteignait 17,5 % des 15-34 ans en 2000 (30 % des 19-32 ans cette même année aux Ãtats-Unis).

 

Les dernières données comparables indiquent une tendance à la baisse dans plusieurs pays d'Europe, et une à la hausse dans d'autres [graphique ci-dessous]. On constate depuis quelque temps une forte poussée chez les jeunes adolescents en France. La consommation lors du dernier mois place ce pays en tête pour les 15-16 ans en 1999, devant même les Ãtats-Unis [graphique ci-dessus].

 

Tous ces chiffres doivent être pris avec précaution, car d'une enquête à l'autre les méthodes diffèrent. D'une manière générale, les experts estiment que les enquêtes sous-estiment la consommation réelle. Ce qui importe, ce sont les ordres de grandeur et les tendances.

 

Qui sont les plus gros consommateurs ?

 

Une fraction des 16-24 ans : les garçons plus que les filles [graphique ci-dessus à gauche], les jeunes de milieux aisés plus que ceux des milieux populaires, les enfants de familles dissociées plus que ceux de familles stables, et tout spécialement des jeunes en situation d'échec ou de retard scolaire. Aux Ãtats-Unis, 6 % des élèves de terminale font une consommation quotidienne de cannabis (le taux dépassait 10 % en 1979). En France, 16 % des garçons de 19 ans en prennent au moins vingt fois dans le mois. Le taux est de 12 % chez les garçons de 18 ans, 8 % chez ceux de 17 ans et 3 % chez les filles de 17 ans. Quel que soit l'âge, 80 % des filles n'approu- vent pas les gens qui en prennent régulièrement, contre seulement 50 % des garçons de 18 ans. Les garçons qui pratiquent l'usage répété le font souvent dès le matin et seuls.

 

Le nombre de gros consommateurs chute brutalement entre 20 et 25 ans, soit à l'âge de l'insertion dans la vie adulte [graphique ci-dessus à droite]. Demeure cependant une petite population de fumeurs occasionnels ou invétérés, dont les profils de consommation sont des plus divers. Les « accros » sont souvent des hommes célibataires n'ayant pas fait d'études supérieures.

 

Comment vient-on au cannabis ?

 

L'âge moyen du premier joint a baissé depuis trente ans. Aux Ãtats-Unis, il serait passé de 19-20 ans à la fin des années soixante à 17 ans en 1999. Au Canada, de 16 ans dans les années soixante-dix à 13-15 ans aujourd'hui. Certains font leur première expérimentation à 12 ans. Comment ? Pas seulement par l'intermédiaire d'un copain, d'un aîné ou au cours d'une sortie. L'exemple parental joue un rôle significatif, même si la drogue consommée par les parents n'est pas le cannabis mais, plus fréquemment, l'alcool ou le tabac. Quoi qu'il en soit, le jeune vient au cannabis pratiquement toujours après le tabac et (ou) l'alcool. L'Office français des drogues et toxicomanies (OFDT) souligne qu'avant le cannabis les très jeunes expérimentent souvent les produits à inhaler (colle, solvants, éther), puis les médicaments psychotropes (pris avec ou sans prescription) [7]. Il s'agit là de l'expérimentation (premier usage). Les études sur l'usage répété montrent qu'en général la consommation soutenue de cannabis a été précédée par celle de tabac et d'alcool, et lui reste associée : on parle de « polyconsommation ». « Lorsqu'on est dans une pratique de consommation, les barrières entre produits s'estompent, constate l'épidémiologiste Marie Choquet [8]. Quand on prend de l'alcool en quantité importante, du tabac au quotidien, on est, d'une certaine façon, à l'orée de la consommation des autres produits. » En France, l'envolée récente de consommation de cannabis est corrélée à une forte poussée de la consommation de tabac [graphique ci-contre].

 

« Les jeunes qui sont consommateurs vont moins bien à la maison, moins bien à l'école, moins bien avec les amis », note encore Marie Choquet. Passage à l'acte suicidaire et dépressivité sont considérés comme des facteurs psychopathologiques associés à la prise régulière de cannabis. Il existe aussi une association avec divers autres troubles psychiques, ce qui conduit les spécialistes à parler de « comorbidité psychiatrique ». Parmi les facteurs de vulnérabilité est mis en avant un « déficit des compétences sociales » du jeune (ténacité, sociabilité, contrôle des émotions, etc.).

 

Comment agit le cannabis ?

 

Le D9- THC pénètre dans les membranes cellulaires, passe dans le sang et, en quelques minutes, se retrouve dans le cerveau. Là, il se lie brièvement à des récepteurs découverts en 1990, et aussitôt baptisés récepteurs des cannabinoädes (CB1). Ce fut une surprise : ils sont très nombreux, à la fois sur les neurones et sur les cellules gliales. L'exploration de la fonction naturelle des récepteurs CB1 et des processus par lesquels le D9- THC vient s'y fixer fait l'objet de recherches actives. Les CB1 existent chez tous les vertébrés, mais aussi chez certains invertébrés, comme la sangsue. En temps ordinaire, ils accueillent, tout aussi brièvement, divers cannabinoädes endogènes (produits par le corps). Plusieurs travaux publiés en 2001 montrent que ceux-ci jouent un rôle dans la régulation du signal nerveux. Ils contribuent aussi à réguler l'activité hormonale. On connaît la densité relative des récepteurs CB1 dans les diverses formations du cerveau et l'on peut égrener les fonctions sur lesquelles le D9- THC est susceptible d'agir. Elles sont si nombreuses que cela donne une sorte de pot-pourri : les informations sensorielles, le contrôle de la température, le sommeil et l'éveil, la coordination des mouvements, les fonctions reproductives, l'attention, les émotions, la mémoire, les fonctions cognitives supérieures... [fig. 1]. Ailleurs que dans le cerveau, le D9- THC se lie, à un degré variable, aux diverses cellules du système immunitaire, par le biais d'autres récepteurs des cannabinoädes, les CB2, découverts en 1993. CB1 et CB2 ont été clonés, et divers agonistes* et antagonistes* du D9- THC ont été élaborés, qui permettent de rationaliser les recherches en voyant ce qui se passe, in vitro ou sur des souris ou des rats, lorsqu'on augmente ou bloque l'action du D9- THC ou de molécules voisines [fig. 2]. On a aussi fabriqué des souris transgéniques privées de leurs récepteurs aux cannabinoädes : elles connaissent des problèmes de motivation !

 

Quels sont ses effets négatifs à court terme ?

 

Il n'y a pas de risque d'overdose. Aucun décès directement lié au cannabis n'a jamais été rapporté. En revanche, une forte dose de D9- THC peut avoir des effets adverses significatifs : dépersonnalisation, distorsions visuelles et auditives, erreurs d'appréciation du temps et de l'espace, délire, symptômes psychotiques. Dans la plupart des cas, ces troubles disparaissent deux heures après la prise, mais ils peuvent aussi se prolonger et justifier une hospitalisation. En raison de la tachychardie entraînée par la prise de D9- THC, le cannabis est déconseillé aux cardiaques.

 

L'effet du D9- THC est très variable selon les individus et les circonstances. Même à faible dose, certains peuvent ressentir, au lieu de l'euphorie recherchée, anxiété ou idées dépressives. D'une façon générale, même à faible dose, on trouve souvent les effets négatifs associés à l'action sur les diverses zones du cerveau concernées : la mémoire immédiate est perturbée, la concentration intellectuelle difficile, le contrôle des mouvements est moins assuré. De multiples études avec simulateurs de conduite automobile indiquent un effet sur le contrôle de la trajectoire et la prise de décision face à une situation inattendue. Prendre sa voiture est donc déconseillé ⤠et sanctionné par le Code de la route.

 

Dans la pratique, en raison de la grande diversité des produits présents sur ce marché non contrôlé, il est souvent impossible pour le consommateur de savoir quelle dose il absorbe, et si le cannabis est pur ou a été mélangé à d'autres agents. Par ailleurs, ses effets se mêlent le plus souvent à ceux d'autres psychoactifs pris simultanément, en particulier l'alcool. Les jeunes qui fument du cannabis le samedi soir boivent aussi de l'alcool, dont l'effet sur le contrôle de la motricité est en règle générale plus pro- noncé. En particulier, l'alcool tend à stimuler la vitesse sur route alors que le cannabis tend à la réduire. L'absence d'études rigoureuses interdit pour l'instant de conclure que son usage est un facteur significatif d'accidents graves.

 

Quels sont ses effets négatifs à long terme ?

 

Contrairement au tabac et à l'alcool, considérés comme responsables à eux deux de plus de 100 000 morts par an dans un pays comme la France, le cannabis n'est pas associé à un accroissement de la mortalité dans la population générale. Les études réalisées font apparaître des effets négatifs sur la mémoire, mais pas en général sur les fonctions cognitives. Chez les adolescents, la consommation chronique retentit malgré tout sur le travail scolaire (somno- lence, défaut de concentration, difficultés d'apprentissage). Une imprégnation cannabique importante et ancienne peut créer chez l'adulte un syndrome dit amotivationnel (un peu comme chez les souris privées de récepteurs C1) : déficit de l'activité, indifférence affective, ralentissement de la pensée. Ce trouble régresse après quelques semaines, ou mois, d'abstinence.

 

Des effets sur le système immunitaire sont possibles, mais peu probables et non démontrés. En l'état actuel des connaissances, le danger le plus sérieux pour la santé est non le D9- THC mais la fumée du joint, qui, avec ou sans tabac, a une composition chimique et des effets voisins de la fumée de cigarette. Le grand consommateur de cannabis fume moins souvent chaque jour que le grand consommateur de tabac, mais il inspire plus profondément et plus longuement la fumée de sa cigarette sans filtre. Si bien que le risque de maladies pulmonaires, y compris le cancer, est considéré comme élevé. La question de savoir si le cannabis finira par apparaître dans les statistiques de morbidité (maladies) reste ouverte.

 

Comme pour les effets à court terme, il est souvent impossible ou très difficile de dissocier l'effet du cannabis de celui d'autres psychoactifs pris sur le long cours. C'est notamment le cas lorsqu'on cherche à évaluer les effets sur les conduites à risque (accidents, tentatives de suicide, violences...).

 

Chez la femme enceinte, le D9- THC passe immédiatement dans le foetus, chez qui les concentrations sont égales ou supérieures à celles constatées chez la mère. Chez les grandes consommatrices, l'enfant naît souvent plus tôt, moins grand et moins gros, et divers troubles comportementaux peuvent être observés. Mais ces troubles disparaissent dans les premières années de la vie. Des effets subtils sur le comportement d'enfants d'âge scolaire ont été relevés mais restent non démontrés.

 

Le risque de troubles psychotiques induits par une prise de cannabis est plus élevé pour les consommateurs chroniques. Une controverse sans fin oppose des spécialistes pour qui l'usage chronique du cannabis déclenche des schizophrénies et des dépressions, d'autres pour qui cet usage présente seulement un risque de renforcement lorsque la maladie est déjà installée, d'autres encore pour qui ces observations relèvent de la simple corrélation. La controverse a rebondi à l'automne 2002 dans une série d'articles et de réactions publiée dans le British Medical Journal [9]. Le débat est compliqué par le fait que nombre de dépressifs et de schizophrènes cherchent un réconfort dans le cannabis. La plupart des experts pensent que l'hypothèse le rendant responsable de l'installation d'une dépression ou d'une schizophrénie n'est pas démontrée. Le risque de renforce-ment, en revanche, semble établi pour la schizophrénie.

 

Le cannabis crée-t-il une dépendance ?

 

La dépendance* fait aujourd'hui l'objet d'une définition psychiatrique sophistiquée. Disons, pour simplifier, que c'est le fait, pour le consommateur, de ne plus pouvoir se passer de sa drogue, même s'il le souhaite. Mais il existe plusieurs formes de dépendance. Beaucoup de drogues, en particulier les drogues dites dures, mais aussi le tabac et l'alcool, entraînent, lorsque la consommation cesse, un fort syndrome de sevrage*, avec troubles physiologiques. Ce n'est pas le cas du cannabis, pour lequel un syndrome de sevrage n'est observé que chez de gros consommateurs au long cours, pendant quelques jours seulement et sous des formes bénignes n'exigeant pas, par exemple, un arrêt de travail. La plupart des drogues entraînent aussi un phénomène de tolérance*. Ce n'est pas ou très rarement le cas chez l'enfant et l'adolescent consommateur de cannabis. Chez l'adulte, contrairement à ce qui se passe avec les drogues dures, il ne débouche pas, en général, sur la recherche de doses plus élevées. Au contraire, nombre d'usagers réguliers atteignent l'effet recherché avec des doses plus faibles.

 

La dépendance que génère le cannabis, quand elle se produit, est seulement de caractère psychologique. Encore n'apparaît-elle que chez 5 % à 20 % des consommateurs réguliers, un peu plus chez les 15-24 ans que chez les adultes, et deux fois plus chez les hommes que chez les femmes. En outre, les deux tiers des personnes dépendantes le sont de manière faible ou modérée. La faiblesse des symptômes de sevrage fait que la décision de renoncer au cannabis n'est pas une décision lourde pour une personne n'étant pas dépen- dante de drogues dures ou affectée de troubles mentaux significatifs. Le risque de renouer avec la dépendance est limité par l'absence de syndrome de manque. De fait, on l'a vu, la grande majorité des adolescents consommateurs réguliers arrêtent à l'âge adulte. La consommation régu-lière de cannabis entre 20 ans et 50 ans suit une évolution inverse de celle de l'alcool. Le consommateur adulte modifie couramment son comportement au fil des mois et des années, ou au contraire le ritualise, en se fixant des règles qu'il observe scrupuleusement. Il est possible, mais non démontré, que l'accroissement des doses de D9- THC dans les joints aggrave un peu le risque de dépendance.

 

 

Le cannabis est-il une porte d'entrée vers les drogues dures ?

 

Il faut distinguer entre la théorie dite de l'« escalade » et celle dite de la « porte d'entrée ». Selon la première, le cannabis conduirait immanquablement aux drogues dures en raison d'une suractivation par le D9- THC du système dopaminergique*, dit de « récompense ». Cette théorie n'a pas résisté à l'examen : le D9- THC n'a qu'un effet limité sur le système dopaminergique. La théorie de la porte d'entrée, elle, est de nature sociologique. Elle dit que l'usage régulier du cannabis, drogue illégale, conduit le consommateur à se voir proposer d'essayer d'autres drogues illégales, et ainsi est susceptible d'inciter les personnes les plus vulnérables à s'engager dans cette voie. Formulée de la sorte, la théorie n'est pas fausse. Les revendeurs de cannabis le sont souvent aussi de drogues dures, et peuvent en proposer à leurs clients. Il est par ailleurs avéré qu'une initiation pré-coce au cannabis est un indice de prédisposition à la consommation de drogues dures. Mais une initiation précoce au cannabis suit elle-même une initiation précoce à l'alcool et au tabac, à un âge où ces drogues sont elles-mêmes illégales. On sait par ailleurs que 85 % des cocänomanes, par exemple, sont de gros buveurs. Et s'il est vrai que la quasi-totalité des consommateurs de drogues dures sont passés par le cannabis, ils sont aussi passés par l'alcool et le tabac, drogues beaucoup plus fortement addictives... et par les jeux électroniques, dont le caractère addictif n'est pas moins avéré ! De fait, selon l'OFDT, les expérimentateurs de cannabis semblent essayer assez rarement d'autres produits. Le Sénat canadien se range à l'avis de la fondation britannique Drugscope, pour qui « la très grande majorité des usagers du cannabis ne progressent jamais vers des drogues comme le crack ou l'héroäne. » Alors que plus de 30 % de la population générale canadienne a expérimenté le cannabis au moins une fois dans la vie, moins de 4 % a consommé de la cocäne, et moins de 1 % de l'héroäne.

 

 

Quelles leçons tirer des expériences de dépénalisation ?

 

La politique répressive à l'égard de la consommation et de la vente de cannabis varie sensiblement d'un pays à l'autre. De nombreuses expériences de dépénalisation ont été menées depuis 1973, date à partir de laquelle plusieurs Ãtats américains se sont engagés dans cette voie. Les Pays-Bas ont décidé depuis 1976 de tolérer la possession d'une petite quantité de cannabis et, depuis 1984, d'en tolérer la vente dans certains cafés. La conclusion des experts est unanime : pour le cannabis, le choix de réprimer sévèrement ou, au contraire, de tolérer est à peu près sans effet. « Il n'y a pas d'indice concluant que la dépénalisation de l'usage du cannabis conduise à un accroissement substantiel de son usage », écrit l'Institut de médecine de l'Académie américaine des sciences. « La diffusion du cannabis et sa consommation semblent indépendantes des législations mises en place », écrit l'Inserm. « Les taux de consommation du cannabis varient largement entre pays, sans lien apparent avec les politiques publiques », conclut de son côté le Sénat canadien. Le lecteur trouvera sur www.larecherche.fr un tableau comparé des pratiques répressives actuelles dans un certain nombre d'Ãtats.

 

Olivier Postel-Vinay

 

 

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POUR EN SAVOIR PLUS www.ofdt.fr/accueil.htm

 

Site de l'Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

 

www.drugscope.org.uk/

 

Site de la fondation britannique Drugscope.

 

« Le dossier de la drogue », L'Histoire, juin 2002.

 

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Toujour dans la même revue un autre article a propos de notre bien aimée. Par contre celui là je l'ai pas cherché sur emule essayer pour voir, il est moin technique car plus orienté politique.

 

la fosse aux lions

 

Partout passionnel, le débat sur le cannabis l'est peut-être spécialement en France. ä l'affrontement droite-gauche se superpose en effet une véritable guerre entre une partie de l'establishment hospitalo-universitaire liée aux partis de droite, et l'élite de la communauté scientifique, rompue au démasquage des conclusions hâtives.

Prenez un animal de laboratoire, injectez-lui régulièrement du THC, le composant actif du cannabis. Puis sevrez-le brutalement, que se passe-t-il ? Tout et rien : vous n'en êtes qu'au début d'une expérience qui cristallise les rapports entre sciences et pouvoirs. Examinons souris et rats du professeur Jean Costentin, directeur de l'unité CNRS de neuropsychopharmacologie de la faculté de médecine de Rouen : chez eux, l'arrêt brusque du THC induit un syndrome de sevrage. Arrêt brusque ? Stocké dans les graisses de l'organisme, le THC connaît une longue rémanence : pour être brutal, le sevrage devra alors s'effectuer en administrant aux rongeurs un antagoniste aux récepteurs du cannabis [fig. 2, p. 30]. Mouvements d'ébrouement, frottements de la face, « le cannabis suscite une dépendance physique, qui a été jusqu'alors le critère servant à caractériser les "drogues dures" », indique le professeur Costentin, dans un numéro spécial du Bulletin de l'Académie nationale de médecine, en février 2002 [1]. Ses travaux vont également influencer un rapport alarmiste de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), paru le même mois et commandité par Jean-Louis Debré, alors président du groupe RPR à l'Assemblée nationale. « Des travaux scientifiques récents semblent établir l'existence d'une dépendance physique au cannabis », soutient le député RPR Christian Cabal, auteur du rapport et professeur à la faculté de médecine de Saint-Ãtienne [2]. Pour lui, le cannabis est un « sas d'entrée vers l'héroäne ».

 

Restons chez les souris, mais changeons de laboratoire. On accède à celui du professeur Bernard Roques (ex-directeur d'une unité Inserm-CNRS, grand prix de la Fondation pour la recherche médicale en 2001), après avoir longé un carré de jardin de la faculté de pharmacie Paris V, où il enseigne les sciences pharmaceutiques et biologiques : « Si vous sevrez un animal du cannabis, je peux vous affirmer qu'il ne se passe rien, sauf à lui administrer un antagoniste : là vous aurez de petits symptômes, mais qui n'ont rien à voir avec le manque d'héroäne ou d'alcool, par exemple », affirme Bernard Roques. Il n'existe pas de vraie dépen- dance physique au cannabis. Bien sûr, si vous voulez absolument prouver quelque chose, vous finirez par trouver un petit truc à force de vous acharner à faire des manips sur les animaux. Mais, déjà, on ne trouve pas les mêmes résultats avec des souris transgéniques et des souris normales. Il faut rester serein et y aller doucement... »

 

Un discours qu'appuie Jean-Pol Tassin, directeur de recherche à l'Inserm : le cannabis n'induit selon lui aucune dépendance physique [3]. Il conteste qu'on puisse soutenir le contraire en s'appuyant sur une démonstration obtenue avec des antagonistes. Invité par l'AFP, en février 2002, à commenter les écrits du professeur Costentin, pour qui « le cannabis constitue une voie privilégiée vers l'héroäne », Jean-Pol Tassin déplore que « la parole d'un chercheur isolé prenne le pas sur le travail mené par 25 scientifiques pendant six mois, et nous fasse retomber dans les débats idéologiques et la diabolisation », et qualifie au passage de « caricature » le rapport de l'OPECST [4]. De fait, ce rapport et le Bulletin de l'Académie nationale de médecine paraissent six mois après une expertise collective du principal institut de recherche publique sur la santé, l'Inserm, dont les conclusions sont autrement prudentes [5].

 

« Et surtout, c'était trois mois avant l'élection présidentielle », glisse, furieux, Bernard Roques, qui suggère que la « diabolisation » du cannabis aurait été télécommandée par des parlementaires de l'ancienne opposition, ravis d'embarrasser un Parti socialiste tiraillé sur le sujet entre une prudence attentiste et les vociférations des Verts, partisans de la légalisation. « Pourquoi commanditer un nouveau rapport alors que l'on dispose de celui de l'Inserm ? », insiste Bernard Roques, évoquant la somme de 420 pages qui analyse les données scientifiques disponibles sur une base documentaire grosse de 1 200 articles.

 

Bernard Roques est lui-même auteur d'un rapport réalisé en 1998 à la demande du secrétaire d'Ãtat à la Santé, Bernard Kouchner. Soutenant que le cannabis possède une toxicité inférieure à celle de l'alcool ou du tabac, il déchaîna de violentes polémiques. Alors, 10 toxicologues avaient rendu publiques leurs interrogations dans Le Figaro : « Comment les experts du rapport Roques ont-ils pu conclure que le cannabis est moins dangereux que le tabac et qu'il possède une toxicité générale faible ? » Ces toxicologues en colère arguent, entre autres, de troubles de la reproduction chez des fumeurs de cannabis, du reste signalés dans le rapport : « Ces troubles de la reproduction ont été prouvés chez un groupe de 16 consommateurs de cannabis en 1990, même si cela n'a pas encore fait l'objet d'une étude épidémiologique [6]. » Parmi les signataires, plusieurs professeurs des universités et directeurs de laboratoire en milieu hospitalier, dont un rattaché à l'Inserm. Aucun d'entre eux ne faisait cependant partie, par exemple, des scientifiques choisis par l'Académie des sciences pour établir son rapport « Ãtat de la recherche toxicologique en France », publié en 1998.

 

Plongés dans les jeux politiques des hommes, nous voilà bien loin des souris, et déboutés du rêve näf d'une vérité scientifique... « Quand on dit : "telle science montre que...", la question est et doit être : "à quelle question répond cette démonstration ?" », sourit Isabelle Stengers, philosophe des sciences à l'université de Bruxelles et grand prix de philosophie de l'Académie française en 1993 [7]. Pourquoi injecter à des souris des doses de THC (aberrantes si on les rapporte à un modèle humain) et les sevrer en leur administrant un antagoniste, sinon parce que l'on a en tête de vouloir constater, coûte que coûte, un syndrome de sevrage ? Alors que, selon le rapport de l'Inserm, « aucun signe de syndrome de sevrage spontané au THC n'a pu être expérimentalement observé » chez l'animal, tandis que, chez l'homme, la dépendance « apparaît d'abord et avant tout comme d'ordre comportemental », puis « est généralement considérée comme ne s'accompagnant pas de dépendance physiologique ».

 

« Les scientifiques ne devraient pas avoir grand-chose à dire sur le cannabis s'ils étaient honnêtes », lance Jean-Pol Tassin. Mais plein d'autres éléments interviennent : le camp politique, l'expérience personnelle ⤠ou non ⤠du produit, l'angoisse que l'on éprouve ⤠ou non ⤠pour ses enfants, etc. Dès lors, le cannabis est merveilleux : c'est un produit suffisamment mixte pour dire ce que l'on veut. » D'autant que sa prohibition est investie d'une grande charge symbolique. « C'est la défense des valeurs de notre civilisation qui est en jeu. Après la libération sexuelle, la génération qui a vécu 1968, et qui reste très attachée à son passé révolutionnaire, veut faire sauter ce dernier verrou de la société », estime Damien Meerman, un professeur de philosophie qui, sous ce pseudonyme, anime Drogue-danger-débat, un site Internet affichant plus de 250 000 connexions depuis près de trois ans [8]. Cet outil est financé par la Fondation de service politique, qui entend « éclairer la société par l'esprit chrétien » et fournir, sous l'impulsion de Vatican 2, des idées aux responsables politiques. On y retrouve des hommes de la droite extrême, tel François-Xavier de Guibert, éditeur de Maurice Papon. Symboliquement, la lutte contre le cannabis serait ainsi le dernier rempart contre la permissivité tous azimuts qui gagnerait notre société.

 

« Les débats que suscite la drogue en France restent le plus souvent idéologiques, chacun défendant des positions fort accusées, dans une tranquille indifférence aux faits et aux travaux scientifiques », notait déjà le professeur Roger Henrion, en introduction à son rapport sur la drogue en France, remis en 1995 à Simone Veil, ministre de la Santé. Sept ans après son rapport, et après avoir présidé l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies de septembre 1996 à avril 1999, Roger Henrion regrette « anathèmes et déclarations ex abrupto » qui secouent la communauté scientifique. En s'employant à démontrer, avec une courtoisie affable, que tout n'est que question d'interprétation, ce membre de l'Académie de médecine déplore « la propension de certains scientifiques, dans leurs articles à propos du cannabis, à choisir les citations qui les arrangent, voire à les tronquer ». Il y a effectivement de quoi faire perdre son latin au citoyen soucieux de remonter aux sources de l'information.

 

Qui croire, où est l'arbitre ? Pour la plupart des scientifiques interrogés ⤠mais c'est bien sûr ! ⤠« la question ne se pose même pas », « écoutez ce que dit la communauté scientifique internationale et vous n'aurez plus d'hésitation », « mais enfin, tout le monde sait bien que... » Tout le monde ? Est-ce si simple, pour le médecin, pour l'éducateur ou pour tout autre non-initié, de distinguer la part d'idéologie dans une position affirmée « scientifique », et de se repérer dans les querelles feutrées entre institutions savantes, a priori toutes aussi respectables les unes que les autres ?

 

De plus, une partie de la communauté scientifique préfère visiblement laver les blouses blanches en famille. Ainsi, les yeux se lèvent au ciel lorsque l'on évoque le professeur Gabriel Nahas, croisé de la lutte contre le cannabis depuis les années soixante-dix : « On ne tire pas sur une ambulance... » Ce chercheur français, membre un peu excessif de la famille, a tout de même été professeur au Collège des médecins et chirurgiens de l'université de Columbia (Ãtats-Unis), et conseiller spécial auprès du commissaire des Nations unies pour les narcotiques. Il fut aussi le « monsieur drogue » d'hommes politiques tels que Jacques Chirac et Charles Pasqua. Ãgrenés pendant vingt ans, du Concours médical au Figaro, en passant par de nombreuses revues spécialisées, ses articles continuent à nourrir une bonne partie de l'opinion publique. Mais tous les scientifiques n'ont pas la pudeur de leurs collègues français : en 1994, deux pharmacologues australiens passent au crible un article de Nahas sur la toxicité de la marijuana paru deux ans auparavant dans le Medical Journal of Australia [9]. Ils comparent les résultats attribués par Nahas aux 35 études citées dans son article avec le contenu réel des études en question. Conclusion : les résultats de 28 de ces études sont résumés de manière inexacte, avec toujours le même biais, à savoir noircir les effets de la marijuana. Deux autres références sont trop obscures pour permettre d'identifier la source [10].

 

« Au-delà des a priori idéologiques ou politiques très importants, les conclusions scientifiques d'une expertise peuvent être affectées par de gros intérêts professionnels. Quand vous êtes mandaté ⤠avec à la clé un financement colossal ⤠pour faire un rapport à un ministre dont les opinions sont clairement affichées, vous pouvez être tenté de rendre un travail, ne disons pas orienté, mais adouci. Ainsi, vous pouvez faire un rapport scientifiquement valable avec des conclusions fausses », affirme Patrick Mura, praticien hospitalier au laboratoire de biochimie et de toxicologie du CHU de Poitiers, tête de liste des signataires de la lettre ouverte contre les conclusions du rapport Roques. Aux côtés du professeur Costentin, il est longuement cité comme expert par le rapport de l'OPECST, et ses études sur la relation entre la consommation de cannabis et les accidents de la route ont influencé le texte de la proposition de loi réprimant la conduite sous l'emprise de stupéfiants, votée le 8 octobre 2002 par l'Assemblée nationale et amendée le 19 décembre dans un sens plus répressif par le Sénat. Mais que valent les études du docteur Mura ? Dans le Bulletin de l'Académie de médecine de février 2002, il présente une étude portant sur l'analyse du sang de 900 conducteurs accidentés et de 900 sujets témoins. Résultat : « Chez les moins de 27 ans, la fréquence des accidents est multipliée par 2,5 avec le cannabis seul. » Pour comprendre la méthodologie permettant d'aboutir à cette estimation, il faut se reporter à l'article d'origine, dont la référence est indiquée en note 23 : Annales de toxicologie analytique, no 13, p. 306, 2001. Cette revue confidentielle est l'organe de la modeste Société française de toxicologie analytique, dont le siège social est justement le laboratoire de Patrick Mura, vice-président de la société. Et il ne nous a pas été possible d'avoir accès à l'article lui-même afin de pouvoir évaluer la méthodologie employée. Le crédit accordé à cette étude est d'autant plus surprenant qu'une grosse enquête épidémiologique, menée dans les règles de l'art, est en cours. Elle est pilotée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, dont le collège scientifique est présidé par le professeur Got. « La loi Gayssot a confié, avec des moyens colossaux, une enquête au professeur Got, portant sur 10 000 décès d'accidentés de la route, se défend le docteur Mura. Mais on ne va tout de même pas attendre 10 000 morts pour légiférer, même s'il déplaît au professeur Got que d'autres études lui coupent l'herbe sous le pied.» !

 

« Toi qui as le pouvoir de convoquer des experts, montre-moi quels experts tu réunis, et je te dirai comment tu entends poser le problème, et quel type de réponse tu cherches, "en toute objectivité", à obtenir », apostrophe Isabelle Stengers [7]. « Il faudrait, en France, définir un véritable statut pour les activités d'expertise », plaide l'économiste et sociologue Olivier Godard, spécialiste du principe de précaution. « Le cadrage, la formulation des questions posées, le choix des différents intervenants, en cas d'expertise collective, tout cela devrait faire l'objet d'une concertation (éventuellement publique) entre les scientifiques et le commanditaire d'une expertise », ajoute ce directeur de recherche au CNRS. Si des insti- tuts tels que l'Inserm ou l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) ont réussi à se doter de cadres rigoureux pour mener à bien leurs expertises, reste qu'une vérité scientifique n'est pas toujours politiquement juste. Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, le rappelait à propos du cannabis, en octobre 2002 sur France 2 : le rapport Roques « a démontré que l'on pouvait confondre l'alcool, le tabac, le cannabis, les drogues dures (...) parce que le mécanisme était le même au niveau des neurones. Mais ce qui est valable d'un point de vue scientifique ne l'est pas du tout dans la pratique. » Tiens donc ! T. K.

 

Thierry Kubler

 

 

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