Californie cherche saisonniers pour récolter du cannabis


Invité Green House Effect

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Dans le salon d'une vieille maison en bois non loin du centre de Sebastopol [une petite ville située à 80 km au nord de San Francisco], quelques personnes dans un atelier taillent des plants de la variété du jour : Blue Dream. L'odeur âcre du cannabis prend à la gorge. Les fenêtres sont obturées par des draps et un sac de couchage. Des néons installés à la va-vite sont accrochés au plafond. Sur un ordinateur portable, Johnny Cash chante The Man Comes Around.

 

Jeremiah, originaire de l'Oregon, préside en tête de table. Depuis quatre ans, il vient dans le nord de la Californie pour la récolte du cannabis.

Il est content d'avoir trouvé ce boulot, qui lui rapporte 200 dollars [150 euros] par jour et ne comporte pas trop de risques. "C'est mieux que de travailler dans la forêt sous la garde d'un taré armé d'une kalachnikov," souligne-t-il.

 

Cette année, il travaille pour Nicholas, le jeune homme avenant qui supervise l'opération. C'est le "chef de taille". Il ne porte pas d'arme. Nicholas est un amateur de bonsaïs et il préfère passer des livres audio ou se brancher sur la NPR [radio publique américaine réputée pour le sérieux de ses émissions] pour s'assurer que ses troupes restent concentrées sur leur travail fastidieux. Les membres de son équipe, entre 22 et 32 ans, se sont connus en arrivant sur place, dans le comté de Sonoma. Certains viennent de loin.

 

Le développement du cannabis à des fins médicinales a vu arriver de nouveaux producteurs et de nouvelles techniques, a donné une visibilité accrue aux producteurs du nord de la Californie (approuvés par l'Etat ou complètement hors-la-loi) et a augmenté la demande en main-d'œuvre. Les "clubs des tailleurs de feuilles", autrefois secrets et réservés à la famille et aux amis, attirent maintenant des adeptes de la contre-culture venus du monde entier.

 

Fin octobre, quand les autorités ont fait un raid dans une vaste plantation du comté d'Humboldt, elles ont arrêté des Espagnols, des Français, des Ukrainiens, des Australiens et des Canadiens.

 

"On voit arriver de plus en plus d'étrangers, explique Paul Gallegos, le procureur du comté d'Humboldt. C'est la nouvelle ruée vers l'or."

Entre septembre et novembre, des saisonniers errent dans les rues des petites villes du nord de la Californie autrefois spécialisées dans le bûcheronnage, avec sous le bras un duvet poussiéreux et un sécateur Fiskars. Ils vont à la rencontre des habitants du coin et d'autres voyageurs dans les festivals de musique, les bars et les cafés. Les plus téméraires se tiennent sur le bord de la route avec une pancarte, sur laquelle ils ont écrit dans le jargon des initiés : "J'ai un Fiskars, je suis prêt à bosser."

 

Parfois, les producteurs et les tailleurs se contactent ouvertement sur le site Internet de petites annonces Craigslist. Les débutants qui n'ont pas encore de réseau et qui répondent à ce genre d'annonce se retrouvent parfois à devoir camper sous la tente en plein milieu de la forêt, à plusieurs heures de route de toute agglomération, sous la surveillance constante d'un producteur lourdement armé, à qui une récolte peut rapporter ou faire perdre gros. Les plus chanceux gagnent le droit de dormir par terre dans une maison louée pour l'occasion – ce qui leur permet de prendre des douches chaudes, d'avoir accès à Internet, d'être en bonne compagnie – et de travailler plus ou moins légalement pour un collectif de patients qui cultivent du cannabis thérapeutique. Les employeurs ont des profils variés, cela va du hippie qui a fait son retour à la terre, au producteur du cru, en passant par des criminels endurcis et des entrepreneurs socialement responsables qui imposent yoga et régime végétalien à tous leurs saisonniers.

 

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"J'ai vu des cercles de taille dans des maisons plutôt cossues où l'on servait des bons petits plats et du bon vin", souligne Jonah Raskin, auteur de l'ouvrage Marijuanaland [au pays du cannabis, non traduit en français], dans d'autres cas, des saisonniers sont déplacés de force la nuit. Ils ne savent pas où ils ont atterri et ne peuvent pas partir."

 

Les lois californiennes autorisent les collectifs de patients à cultiver de la marijuana pour un usage médicinal prescrit par un médecin. Le gouvernement fédéral, de son côté, considère illégales toutes les formes de production et d'usage du cannabis. Récemment, dans le cadre d'une campagne nationale de répression, la petite plantation d'un collectif de patients du comté de Mendocino qui avait pourtant reçu la bénédiction du chef de la police locale, a été détruit.

 

Beaucoup pensent qu'à cause de cette nouvelle vague de répression, de nombreux producteurs qui respectent les lois californiennes vont devoir basculer dans l'illégalité.

 

En l'absence de véritable réglementation au sein de l'Etat, difficile de savoir où s'arrête le marché du cannabis thérapeutique et où commence le bon vieux marché illégal. Les producteurs peuvent sans difficulté vendre leurs produits aux deux, les personnes qui récoltent et taillent les plantes travaillent pour les deux secteurs et les consommateurs peuvent s'approvisionner auprès des deux types de fournisseurs. Autour de Noël, juste après la récolte, un surplus de cannabis bon marché entraîne une forte baisse de la demande dans les dispensaires de la région de San Francisco, car les consommateurs se tournent alors vers le marché noir.

 

Fin novembre, six tailleurs de feuilles, arborant presque tous des dreadlocks, dînaient au Sea Thai Bistro, un restaurant chic de Santa Rosa, après une longue journée de travail dans une plantation de Calistoga. Ils empestaient le cannabis, dans l'indifférence la plus générale.

 

Ils se sont rencontrés à l'occasion de rassemblements hippies, comme le dernier Rainbow Gathering (qui a eu lieu en Argentine en mars 2011). C'est là que Danielle, une Israélienne de 21 ans, a connu Chris et Ginger, un couple d'Allemands de respectivement 29 et 32 ans. Danielle s'est ensuite rendue dans le nord de la Californie avec sa sœur et elle a rencontré un producteur dans un bar où elle était venue écouter de la musique. Il lui a offert un travail et elle a convié le couple allemand à venir la retrouver.

 

La production de la plantation de Calistoga est distribuée sur le marché médical et le marché illicite : elle est vendue à des dispensaires et à un dealer du Kentucky, qui lui rapporte bien plus. Aucun des membres du groupe ne s'en soucie, ils trouvent que la limite entre les deux secteurs est artificielle. Ils soutiennent tous la légalisation du cannabis, mais certains pensent qu'elle entraînerait la fin de ce travail saisonnier.

 

"On ne serait pas aussi bien payés si c'était légal, explique Chris. Si ça devient légal, je ne reviendrai pas, parce qu'on gagnera sept dollars de l'heure." Selon lui, ce n'est pas seulement parce que les prix du cannabis s'effondreront, mais aussi parce que les producteurs rémunèrent autant le travail que la discrétion. "Si c'est légal, ils n'auront plus besoin d'engager des personnes de confiance", conclut-il.

Source: Courrier Internationnal

 

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