[politique] Des députés PS pour une légalisation du cannabis


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Le tabou qui pèse en France sur la question des drogues est-il en passe de se lever ? Après Stéphane Gatignon, maire Europe Ecologie-Les Verts de Sevran (Seine-Saint-Denis), une commune gangrenée par le trafic de stupéfiants, c'est au tour de députés socialistes, emmenés par Daniel Vaillant, ancien ministre de l'intérieur, de vouloir "sortir de l'hypocrisie " en matière de drogues.

 

empty.gif Constatant que la France dispose d'une des législations les plus répressives et prohibitionnistes d'Europe, tout en affichant des niveaux de consommation de stupéfiants parmi les plus forts, le groupe d'études Socialiste, radical, citoyen (SRC) de l'Assemblée nationale propose "la légalisation contrôlée du cannabis". Dans un pays où tout appel à une dépénalisation des drogues est considéré comme irresponsable, la proposition paraît bien iconoclaste : elle se revendique pourtant d'un "regard neuf et courageux", les députés PS affirmant qu'à l'heure actuelle "c'est le statu quo qui est le laxisme".

 

Après une période où l'usage de cannabis était peu poursuivi - dans les années 1990, on parlait même de dépénalisation de fait -, la France a accentué, ces dernières années, la répression de la consommation. Chaque année, 90 000 personnes sont interpellées pour un usage de cannabis, soit huit fois plus qu'il y a vingt ans (12 000 par an environ).

 

Cette montée en charge s'est traduite par une hausse des alternatives aux poursuites (rappel à la loi, injonction thérapeutique, classement avec orientation sanitaire, stage de sensibilisation aux dangers des stupéfiants). 20 % des personnes interpellées font toutefois l'objet de poursuites pénales, une proportion en hausse. Les consommateurs de cannabis ont également été ciblés sur la route, avec la création, en 2003, d'un délit spécifique pour tout conducteur présentant des traces de stupéfiants dans le sang.

 

Ce durcissement de la réponse pénale, engagé par la majorité depuis 2002, n'a toutefois entamé ni le niveau du trafic, ni celui de la consommation. Toutes les études convergent pour dire qu'aucune corrélation n'existe entre le niveau de l'usage et celui de la répression : la loi du 31 décembre 1970, qui punit d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende la consommation de stupéfiants, sans distinction de produits, est ainsi bafouée chaque année par quatre millions de consommateurs de cannabis, dont près d'un tiers de consommateurs réguliers. Pis, la répression du trafic, pourtant très sévère en France, ne semble avoir aucune prise sur le marché de la drogue : en dépit des efforts des pouvoirs publics et des moyens policiers, les supermarchés de la drogue, véritable économie parallèle de subsistance, fleurissent presque au grand jour dans les cages d'escaliers des cités.

 

Malgré ce constat d'échec, le débat sur les drogues est quasi inexistant en France. Très clivé idéologiquement, il oppose la droite, qui tient fermement au symbole d'une société sans drogue, à une gauche réfugiée dans le silence, paralysée par les procès en irresponsabilité qu'elle craint devoir encourir. Seul Nicolas Sarkozy, fidèle à sa politique de contre-pied, avait envisagé, en 2003, quand il était ministre de l'intérieur, de contraventionnaliser l'usage, afin de rendre effectif l'interdit. L'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin y avait finalement renoncé : le gouvernement avait alors argué que toute réforme de la loi de 1970 pourrait être interprétée comme "le signal d'une faible dangerosité des stupéfiants et produire une nouvelle augmentation de la consommation". Depuis, le débat est resté au point mort, tous les candidats de la campagne présidentielle de 2007 s'en étant prudemment tenus à l'écart, en dehors des Verts.

 

Pendant que la France regarde ailleurs, le débat a prospéré à l'étranger. Plusieurs pays européens ainsi que 13 Etats américains ont dépénalisé l'usage de cannabis ces dernières années. Tradition libérale oblige, la prohibition est régulièrement remise en question dans les médias anglo-saxons - la revue The Economist plaide ainsi pour une évolution des politiques anti-drogues.

 

Le constat d'échec de la guerre à la drogue, qui fait des milliers de morts chaque année parmi les narcos sans entamer le trafic, conduit à envisager d'autres voies : le 2 juin, la Commission mondiale sur la politique des drogues (Global Commission on Drug Policy), composée notamment des anciens présidents brésiliens, colombiens et mexicains et de l'ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, préconisait la dépénalisation de la consommation de drogues et la légalisation contrôlée du cannabis.

 

L'idée de légalisation contrôlée a fait son chemin jusqu'en France soutenue par Stéphane Gatignon et Daniel Vaillant. Inquiets de l'essor du trafic de stupéfiants dans les quartiers en difficulté, les deux élus s'adossent sur le même constat d'échec de la guerre aux trafiquants pour défendre la nécessité d'un changement de paradigme. Selon eux, la dépénalisation, qui consiste à renoncer aux poursuites envers les consommateurs de cannabis, n'y suffira pas : il faut aller jusqu'à réguler la production et la distribution de haschich afin d'assécher les trafiquants.

 

La proposition, qui ouvre d'autres questions - quid notamment du marché des autres stupéfiants ? - a peu de chances de faire consensus. Au nom du gouvernement, le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, et la secrétaire d'Etat à la santé, Nora Berra, s'y sont opposés. A gauche, François Hollande et Ségolène Royal, candidats à la primaire socialiste, ne l'ont pas reprise à leur compte, tout en reconnaissant que la "question mérite réflexion, car on sait que la pénalisation n'aboutit pas à régler le problème".

 

Tous savent qu'il y a plus de coups à prendre que de voix à gagner dans un tel débat : effet ou non de l'accentuation de la prohibition ces dernières années, 70 % des Français étaient hostiles en 2008 à "une possible ouverture" de la législation sur le cannabis, contre 65 % en 2002. Malgré l'ampleur du malaise social que révèle le niveau de consommation de stupéfiants en France, il sera tentant, pour les responsables politiques, d'éviter encore une fois le débat en 2012.

 

Cécile Prieur

 

Source: Le Monde

 

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