Depuis quatre mois, les marques suisses de chanvre légal se multiplient, créant un nouveau marché et un nouveau panel de consommateurs
Le gérant du shop La Belle Verte, à Lausanne, n’en revient toujours pas. Il y a six mois, il a ajouté le cannabis légal, c’est-à-dire à moins de 1% de THC, dans ses rayons. Depuis, les clients ne cessent de défiler: «Ce sont des personnes que je ne pensais jamais voir dans ma boutique: des hommes en costards cravates, des vieux, des mères de famille…»
Ce succès a déjà occasionné plusieurs ruptures de stock. Et les marques, telles que CPure, Cannaliz, Hempy et Budz, se multiplient. Le gérant dénombre sept autres points de ventes à Lausanne, dont trois kiosques et une station essence. L’herbe y est vendue de 2,6 à 20 francs le gramme, suivant la variété et la teneur en cannabidiol (CBD), la substance dominante de ce nouveau type de chanvre.
Le cannabis légal présenté dans un magasin de Lausanne: sous la forme d’herbe (cultivée sous serre ou à l’intérieur) conditionnée avec les mises en garde fédérales. Yves Leresche
Crème, huile, succédané de tabac: les moyens de consommer du cannabis légal sont nombreux. Alain, étudiant à l’Unil en biologie, préfère l’inhaler via un vapoteur à raison de quatre fois par semaine. «Il n’y a pas de nicotine, peu de THC, et plus du tout cette sensation d’addiction physique. Le vapo produit peu de fumée, ce qui préserve les poumons.»
Lire aussi: Cannabidiol et réduction des risques : encore une occasion manquée en Suisse
Les consommateurs de ce nouveau type de cannabis mettent à mal les clichés sur les fumeurs de joints. Des sportifs de haut niveau ont contribué à populariser le CBD, tel l’américain Nate Diaz, athlète en sport de combat, qui dit l’utiliser comme relaxant musculaire, le produit passant les contrôles antidopage.
Alexandre, étudiant à l’EPFL, en fume pour améliorer son sommeil et réduire sa consommation de cannabis. De un à trois joints par jour, il est passé à trois prises de CBD par semaine. «Cela fait deux semaines que je ne fume plus que ça. J’avais déjà essayé des substituts, mais il n’y avait pas le goût et l’odeur. Là, tu sens que c’est de l’herbe, tu conserves le plaisir, sans la défonce.» De fait, comme le souligne le rapport de l’OFSP le cannabidiol n’est pas une molécule «enivrante», contrairement au TCH présent en grande quantité dans l’herbe illégale.
«Une consommation responsable»
Pour le Lausannois de 24 ans, le problème du THC, c’est qu’il agit surtout sur le cerveau: «Le CBD, lui, n’est pas psychotrope, il procure uniquement une détente musculaire.» Un plus pour la concentration, la mémoire à court terme et l’intégration dans une activité sociale. Alexandre n’hésite pas à en parler autour de lui, car à ses yeux il s’agit d’une «consommation responsable». D’autant plus que, ce chanvre étant légal, son origine et sa qualité sont mieux contrôlées. «C’est souvent bio, traçable, je peux remonter toute la chaîne de production et savoir ce que je consomme.»
Le président de l’association genevoise Alternative Verte, Nicolas Chanussot, souligne l’importance de cette traçabilité: «Sur le marché noir, le cannabis est frelaté. Avant, les dealers y ajoutaient de la fibre de verre pour le rendre brillant. Avec le CBD, on contrôle tout.» Depuis dix ans, Alternative Verte a pour objectif d’informer sur l’utilisation de plantes médicinales, comme le cannabis, pour une application thérapeutique.
Swissmedic, qui contrôle l’autorisation des produits thérapeutiques, interdit aux vendeurs de donner des conseils médicaux. L’organisation indique que le canabidiol pourrait avoir des effets antioxydants, anti-inflammatoires, anticonvulsifs, antiémétiques, anxiolytiques, hypnotiques ou antipsychotiques. Mais selon l’OFSP «son effet médicinal n’est pour l’instant pas assez avéré par la recherche».
De fait, pour Nicolas Chanussot la plupart des acheteurs de ce chanvre légal ont une motivation thérapeutique. C’est le cas de Mona, 50 ans, qui consomme du cannabis pour des raisons médicales depuis longtemps et pense que ce nouveau produit, faiblement dosé en THC, pourrait lui convenir. Discrète, elle précise seulement qu’elle cherche à soulager une «maladie neurologique».
Alors que plusieurs consommateurs semblent chercher un effet curatif, il n’existe pas de médicament contenant du CBD officiellement reconnu à ce jour. Le seul médicament à base de cannabis et étant accepté par Swissmedics est le Sativex, un spray buccal. Comme le cannabis médical, il est délivré dans des conditions strictes: pour pouvoir prescrire ces substances, un médecin a besoin d’une autorisation de l’OFSP.
Ce chanvre légal laisse certains sceptiques, comme Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions, pour qui le CBD fumé ou brûlé constitue un risque pour la santé.
Contrôles policiers
A l’œil nu, impossible de différencier cannabis légal et illégal. Il faut pour cela des analyses en laboratoire. En cas de contrôle par la police, le consommateur a le choix: payer une amende d’ordre de 100 francs, sanction prévue par la Lstup en cas de possession d’une quantité d’herbe inférieure à 10 grammes. Ou accepter que le produit soit confisqué et soumis à une analyse.
«S’il s’agit de cannabis avec un taux inférieur à 1%, alors nous restituons la marchandise et l’affaire en reste là, explique le commandant de la police neuchâteloise Olivier Guéniat, si c’est du cannabis illégal, la personne sera dénoncée au Ministère public.
Elle devra payer les frais d’analyse et de dossier, en plus d’une amende». Un prétest bon marché, en cours d’élaboration, devrait simplifier et réduire les coûts des contrôles. Quant aux mineurs, ce nouveau type de cannabis, sous la forme de succédané de tabac, leur est interdit.
Source: letemps.ch
Il n’y a aucun commentaire à afficher.