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ENTRETIEN. Addiction au Cannabis : « Être dépendant, c’est avoir une mémoire faussée »
Spécialiste du cannabis, le psychiatre Éric Guillem donne ses conseils pour diminuer ou stopper sa consommation. Car, comme pour de nombreuses addictoins, « le consommateur est souvent dans le déni du problème posé par sa consommation ».
Selon les données de l’Observatoire français des drogues, plus de 900 000 Français consomment régulièrement du cannabis.
Quelles sont les spécificités de l’addiction au cannabis ?
Toutes les addictions partagent des mécanismes communs, comme l’hyperstimulation du système de récompense et la dérégulation des circuits émotionnels. Outre les autres risques sur la santé liés à la combustion du produit, l’état émotionnel de base est fragilisé, augmentant les risques de troubles anxieux et de dépression. Une des spécificités du cannabis est que la substance active, le THC, va se fixer de manière chronique dans les tissus graisseux et ne s’éliminer que lentement.
Le cannabis n’est pas un bon anxiolytique, contrairement aux croyances des consommateurs ?
En clinique, on voit des gens atteint d’épisodes d’anxiété aiguë. Le cannabis anesthésie plus qu’il ne diminue l’anxiété. Il met à distance les idées pénibles, favorise l’errement de la pensée.
Les effets délétères sur la mémoire sont bien connus. Sont-ils réversibles ?
L’altération de la mémoire et de la motivation sont courants. C’est une forme d’état pseudo-dépressif. Après quelques mois sans produit, les patients retrouvent leurs capacités cognitives.
Comme pour la cigarette, la rechute fait partie du processus ?
Il ne faut pas obligatoirement parler tout de suite d’arrêt mais de diminution. La reprise de la consommation n’est pas à exclure. Il ne faut ni en minimiser ni en exagérer la gravité. Il est cliniquement plus facile d’arrêter le cannabis que le tabac, plus addictif. Mais les deux consommations sont souvent liées.
Vous identifiez six stades dans le processus de sevrage. Le premier a ce drôle de nom de précontemplation.
Comme dans beaucoup d’addictions, le consommateur est souvent dans le déni du problème posé par sa consommation. L’alerte vient d’un proche. Il faut alors que la personne l’entende avant de reconnaître sa dépendance et être prête à l’évaluer.
Votre approche, basée sur les thérapies comportementales, a recours à toute une batterie de questionnaires.
Ces échelles et questionnaires sont issus de recherches cliniques internationales. Certains permettent d’évaluer sa propre consommation, l’impact sur la vie quotidienne, les attentes par rapport au produit. Ils permettent de démonter une logique faussée. Ou tout au moins de faire le point.
Pour réussir, faut-il se faire aider par un professionnel ?
Nous ne voyons qu’une infime partie des gens en consultation. La plupart de ceux qui souhaitent arrêter ou limiter leur consommation le font seuls. J’essaie juste de donner quelques outils. Montrer qu’être dépendant, c’est avoir une mémoire sélective et faussée. On surévalue les souvenirs positifs du produit, qui sont souvent anciens. Les souvenirs récents, moins flatteurs, sont mis de côté.
Le cannabidiol (CBD) peut-il être utilisé comme produit de substitution ?
Pas vraiment. En tout cas, aucun de mes patients ne l’envisage comme cela. Cliniquement, il n’y a pas de produit de substitution au cannabis ou de produit, comme le baclofène pour l’alcool, qui diminuerait le craving, l’appétit insatiable de consommation. Des essais ont été menés avec plusieurs médicaments, dont la N-Acétylcystéine mais les données cliniques ne sont pas très probantes. Des exercices de respiration ou de méditation, par contre, peuvent aider à repousser la sensation de besoin impérieux.
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