Une enquête menée en Australie en 2016 révélait que 10 à 20% des femmes en âge de procréer avaient consommé du cannabis au cours des 12 derniers mois. De plus, une étude publiée en 2019 dans le Journal of the American Medical Association rapportait que le nombre de femmes enceintes consommant du cannabis avait doublé entre 2002 et 2017. Il était donc essentiel de mener une étude sur le sujet, afin de mieux informer la population sur les risques encourus.
Une substance qui nuit à la croissance du bébé
Pourquoi une telle augmentation de la consommation ? Car depuis quelques années, plusieurs pays ont assoupli la législation concernant le cannabis. Les Pays-Bas, le Canada, quelques États américains (Californie, Colorado…) et l’Afrique du Sud autorisent complètement sa consommation (que ce soit dans un cadre récréatif ou thérapeutique). D’autres pays comme l’Australie, le Royaume-Uni, la Pologne ou l’Allemagne autorisent son usage à des fins thérapeutiques uniquement.
Le fait que le cannabis donne de bons résultats lorsqu’il est utilisé dans un cadre médical – pour soulager les douleurs réfractaires aux médicaments traditionnels, inhérentes aux maladies chroniques comme le cancer – contribue à une perception globale plus « positive » de cette substance. Certains considèrent ainsi que le cannabis est une drogue sûre et sans danger. Dans les régions où sa consommation est légale, les dispensaires lui prêtent même des vertus anti-nauséeuses pendant la grossesse. Mais aucune étude scientifique n’a confirmé, ni infirmé, son efficacité dans ce contexte.
Conséquence de cette bonne réputation : une étude parue dans le Journal of addiction medicine en 2017 a montré qu’une femme enceinte sur trois ne pensait pas que le cannabis pouvait nuire à son bébé. 35 % des 306 femmes interrogées ont déclaré consommer du cannabis au moment du diagnostic de grossesse et 34 % d’entre elles ont continué à en consommer. En outre, 10 % ont déclaré qu’elles consommeraient plus de cannabis pendant la grossesse s’il était légalisé.
Dans le cadre de cette nouvelle étude, une équipe de l’Université d’Adélaïde, menée par le Dr Luke Grzeskowiak, a recruté 5610 femmes nullipares (en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Irlande et au Royaume-Uni), présentant des grossesses à faible risque, entre 2004 et 2011. À 14-16 semaines de grossesse, les participantes ont été classées en 4 groupes distincts selon leur consommation de cannabis autodéclarée : jamais consommé, consommé mais arrêté avant la grossesse, consommé mais arrêté en début de grossesse (avant 15 semaines), toujours consommé à 15 semaines de grossesse.
Puis, les scientifiques ont analysé plusieurs paramètres néonatals pour établir un éventuel lien de cause à effet : le poids à la naissance des nourrissons, leur tour de tête, leur taille, l’âge gestationnel (le nombre de semaines d’aménorrhée), et le taux de morbidité ou mortalité néonatale.
Parmi la cohorte étudiée, 314 femmes (5,6%) ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des 3 mois précédant ou pendant leur grossesse. 19 % consommaient encore du cannabis à 15 semaines de grossesse : leurs bébés présentaient un poids de naissance plus faible que celui des bébés de mères qui n’avaient jamais consommé de cannabis (-127 g en moyenne), ainsi qu’un tour de tête réduit (-0,5 cm en moyenne) et ils étaient plus petits (-0,8 cm en moyenne). Des résultats plutôt inquiétants, sachant qu’il est désormais prouvé que les nourrissons de faible poids à la naissance présentent une morbidité et une mortalité relativement élevées.
Par ailleurs, leur naissance s’est faite plus précoce : l’âge gestationnel était abrégé de 8,1 jours en moyenne. Un résultat qui n’est guère surprenant: une étude antérieure menée au Canada en 2019 avait déjà mis le doigt sur le fait que consommer du cannabis pendant la grossesse favorisait – jusqu’à doubler le risque – une naissance prématurée (avant 37 semaines de gestation).
L’équipe de Grzeskowiak précise que les écarts observés étaient encore plus importants lorsque les femmes concernées consommaient du cannabis plus d’une fois par semaine (sauf dans le cas de l’âge gestationnel, qui n’était a priori pas impacté par la fréquence de consommation). À noter que les effets recensés par les chercheurs sont ici indépendants de la consommation de tabac (contrairement à de nombreuses études passées). Conclusion : oui, consommer du cannabis pendant la grossesse a bel et bien des conséquences sur le développement du bébé.
Deux fois plus de risques de complications postnatales
L’impact de la consommation de cannabis pendant la grossesse ne s’arrête pas là : les chercheurs ont également observé des complications graves postnatales, telles que des problèmes respiratoires ou autres complications nécessitant une admission en unité néonatale spécialisée. Ces complications étaient deux fois plus susceptibles de survenir chez les bébés dont la mère consommait encore du cannabis à 15 semaines (par rapport aux bébés dont la mère n’était pas consommatrice). Des résultats qui viennent corroborer une étude antérieure réalisée aux États-Unis en 2017, qui faisait part d’un risque accru de morbidité néonatale lié à la consommation de cannabis.
Autre constat important : l’équipe n’a pas relevé de différences significatives dans les résultats néonatals entre les bébés dont les mères avaient arrêté de consommer du cannabis juste avant ou au tout début de leur grossesse, et les bébés dont les mères n’étaient pas consommatrices. Conclusion : il est recommandé aux futures mamans de stopper leur consommation dès qu’elles envisagent d’avoir un enfant ou qu’elles constatent être enceintes.
Comment le cannabis agit-il concrètement sur le développement du fœtus ? Ceci n’est pas encore clairement défini, mais les composés toxiques qu’il produit lorsqu’il est fumé, comme le monoxyde de carbone – que l’on retrouve également dans le cas du tabac – pourraient expliquer la réduction globale des paramètres néonatals : le futur bébé reçoit moins d’oxygène, pourtant essentiel à sa croissance. L’explication peut également provenir directement des composés contenus dans le cannabis et qui peuvent traverser le placenta. En effet, le THC (tétrahydrocannabinol) et le CBD (cannabidiol) influencent les fonctions corporelles, y compris dans le cerveau (sinon personne ne l’utiliserait de façon récréative…). Si ces substances atteignent le fœtus, quid de son développement cérébral et de ses facultés cognitives à venir ?
À noter que les chercheurs avouent que leurs résultats sont toutefois à prendre avec des pincettes. Bien qu’ils aient veillé à écarter de leurs analyses tout autre facteur pouvant nuire au développement du fœtus (tabac, alcool ou autres substances psychoactives), ils soulignent que leur étude à ses limites. Pour commencer, la consommation de cannabis était autoévaluée par les participantes et le nombre de femmes qui ont déclaré continuer à en consommer pendant leur grossesse était, en fin de compte, relativement faible. Ensuite, ils n’ont pas tenu compte de la nature du cannabis consommé (quantité, teneur en THC).
Cependant, étant donné le nombre croissant de preuves suggérant des dommages potentiels sur le futur bébé, les scientifiques jugent plus sûr d’éviter de consommer du cannabis pendant la grossesse, et même dès qu’une grossesse est envisagée.