En Californie, la loi de 1996 qui autorise les malades à se soigner avec du cannabis est largement détournée. Reportage.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que Ras Edward Forchion, alias « the Weed Man », n'est pas très regardant lorsqu'il s'agit de contrôler l'identité et les ordonnances de ses « patients ».
Source: Rue89
Sont-ils en règle avec la loi ? Pour certains d'entre eux, cela semble douteux. Il est environ minuit sur Hollywood boulevard. La limousine de Bong Rip, un militant forcené de la légalisation de la marijuana, vient de me déposer devant Liberty Bell Temple, le dispensaire du rastafarian. (Voir la vidéo mise en ligne par Ras Edward Forchion, 11 minutes)
En France, un dispensaire est un lieu où officient des médecins en blouse blanche équipés de stéthoscopes, d'outils pour ausculter les oreilles, le pouls et le reste. En Californie, et surtout à Los Angeles, c'est un espace « holistique » où est vendue la marijuana, sur ordonnance.
En principe, il faudrait souffrir d'une maladie sérieuse, comme un cancer, pour l'obtenir. Mais si j'en crois une dizaine de personnes de mon entourage qui fument maintenant du « pot » légalement, il suffit finalement de se plaindre de migraines ou d'un mal de dos auprès d'un médecin compréhensif pour y avoir droit.
Je vous raconte l'histoire de ma virée chez Ras parce que le procureur de Los Angeles, Steve Cooley, vient d'annoncer un prochain raid sur les dispensaires du comté. Pour l'instant, il n'en a cité qu'un, Organica, contre lequel il a déjà entamé des poursuites judiciaires. Mais les 800 autres ont les pétoches. Pour Cooley :
« La vaste majorité des dispensaires opèrent illégalement, ils vendent de la marijuana illégalement, selon notre théorie. »
Le « weed man » serre les fesses. Avant d'ouvrir son « temple » à Hollywood, il vendait de l'herbe illégalement dans le New Jersey et s'était fait arrêter plusieurs fois. En Californie, il peut se tenir fièrement debout derrière son comptoir et ses dizaines de bocaux remplis de différentes variétés de cannabis, créer des emplois et fumer ses gros joints ou son « bong » sans être inquiété. « Au contraire, rigole-t-il. Si je suis vandalisé, la police me protège ! »
250 grammes de stock, entre 6 et 12 plantes cultivées
Petit retour en arrière. En 1996, les électeurs californiens ont voté, par référendum, le « Compassionate Use Act », une loi légalisant l'utilisation de la marijuana pour combattre la douleur ou la maladie.
Sept ans plus tard, un autre décret, adopté par le Sénat cette fois, autorise la fixation de limites quant aux quantités autorisées à être possédées (250 grammes) ou cultivées (de 6 à 12 plantes). La loi protège également les médecins qui prescrivent le cannabis contre les poursuites judiciaires.
En 2007, 186 dispensaires détenteurs d'une licence sont répertoriés à Los Angeles. Le parquet gèle leur nombre, jugé suffisant. Pourtant, ils se multiplient bientôt.
Liberty Bell Temple a donc pignon sur rue, mais on y entre quand même par une porte de derrière, sécurité oblige. Comme on pouvait s'y attendre, les dispensaires ont en effet généré une petite délinquance dans les quartiers où ils se sont installés. Les clients viennent avec de l'argent en poche, puisqu'il faut payer cash. Et puis il y a les stocks de marijuana, bien tentants.
Un garde se tient donc devant une porte métallique en nid d'abeille verrouillée. Son boulot est de vérifier l'identité des clients. En principe, ils doivent être consignés dans un registre qui contient également une copie de leur ordonnance. J'observe que plusieurs d'entre eux entrent pourtant sans montrer leur carte d'identité. « Des habitués », commente Ras.
« Mon ordonnance est périmée »
Au fond du dispensaire a été aménagé une sorte de salon. Enfoncées dans des canapés et des fauteuils râpés, quatre femmes mûres tirent sur des pipes.
La majorité des clients, ou plutôt des « patients », comme les appellent Ras et ses employés, ont quand même des têtes de « stoners », pas de grands malades. J'observe encore que peu d'entre eux produisent une ordonnance. Je m'étonne et interroge Ras : « Tu ne leur demandes pas leur ordonnance ? » « Non, on les connaît, me répond-t-il. On les a déjà dans nos dossiers. »
Je me tourne alors vers un « patient », un type d'une vingtaine d'années qui regarde la marijuana avec concupiscence et fourre son nez dans tous les bocaux :
« Vous avez une ordonnance ? »
« Oui », me rétorque le jeune.
« Ça vous ennuierait de me la montrer ? »
« Non, mais bon, elle est périmée. »
« Bon alors, tu t'es décidé pour quel médicament ? », finit par lui demander Ras en désignant les bocaux. Le jeune fait son choix et sort 60 dollars. Quelques grammes de marijuana sont placés dans un récipient pharmaceutique orange.
Pendant ce temps là, Ras a fourré un bong (une pipe à eau) et s'est mis à inhaler furieusement. Il passe la pipe à Bong Rip et au chauffeur de sa limousine, une grande blonde replète. Elle se met elle aussi à fumer. Je pense, « zut alors », elle va être dans un bel état pour conduire.
La marijuana d'aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était. D'après les hommes du commando antidrogues CAMP (Campaign against marijuana planting) que j'ai récemment suivis dans leurs opérations, le taux de THC, principale substance psychoactive du cannabis, se situe actuellement autour de 26% (il y a vingt ans, le taux oscillait entre 4 et 6%). Une taf et vous êtes complètement dans les choux.
Vers 1 heure du matin, le va-et-vient ne s'est toujours pas calmé dans le dispensaire. C'est l'heure pourtant de repartir dans la limousine de Bong Rip, une célébrité dans le cercle des militants pro-légalisation. N'est-il pas le général en chef de la World Stoner Army ? Un personnage, assurément, que je vous présenterai dans une prochaine note.
Par Armelle Vincent.
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