Neuf mille morts. Ce serait, à en croire une commission parlementaire citée hier par le quotidien El Universal, le bilan de cinq ans d’affrontements pour le contrôle du narcotrafic au Mexique.
Source : Drogues news
Policiers, trafiquants, magistrats... le nombre des victimes serait passé de 1080 en 2001 au double en 2006. Si ces chiffres sont, là encore, dans un pays marqué par la violence, à prendre avec précaution, l’évolution, elle, semble se confirmer. Et elle est d’autant plus frappante, comme le souligne lemonde.fr, qu’au même moment, la Colombie connaît une baisse des crimes violents (tout de même 17000 recensés en 2006).
Entretien avec Laurent Laniel, sociologue, animateur du site Drugstrat et grand spécialiste de la géopolitique des drogues.
Comment expliquer cette hausse de la violence au Mexique?
Il faut d’abord noter que le pays est marqué par une forte tradition de violences et que le trafic de drogues peut n’être qu’un prétexte. Quand on retrouve un homme abattu les mains attachées, on dit qu’il s’agit d'un règlement de comptes entre narcos. Personne ne pose de questions. De manière plus générale, la violence est une des conséquences de la rupture des liens traditionnels entre le pouvoir central et les trafiquants.
Quelle était la nature de ces liens?
Historiquement, les trafiquants ont été soumis à la police, elle-même soumise aux politiciens. Le Mexique est l’un des premiers pays du narcotrafic. Avant même le XXe siècle, on y produisait et y consommait opium et marijuana, exportés en toute légalité vers les Etats-Unis. Après l’adoption des premières lois fédérales antidrogues aux Etats-Unis en 1914, ce commerce se poursuit, mais illégalement, ce qui accroît sa rentabilité.
Tellement que, dans le Nord, des politiciens s'y investissent. Petit à petit, le PRI, le parti unique, a été impliqué. Des gens puissants ont protégé, voire «racketté», les trafiquants, se servant de la police comme intermédiaire. L'ancien maire de Mexico, Carlos Hank Gonzalez, a même été accusé par les Américains de diriger le trafic. A la même époque, le Cartel du Golfe a pris de l’ampleur sous la présidence de Salinas (1988-1994), soupçonné d’être un proche de son leader, Juan Garcia Abrego. Au moins jusqu’en 2000, la puissance des cartels dépendait de leurs liens avec le pouvoir. C’est moins clair maintenant: le trafic, comme la politique, s'est démocratisé, mais la concurrence entre les acteurs est très violente.
Le cas du Mexique intéresse moins la communauté internationale que la Colombie...
Parce qu’en Colombie, les narcos sont des entrepreneurs privés qui se sont érigé en groupes paramilitaires, menaçant l'Etat et la classe dominante traditionnelle. Ce phénomène a attiré l’attention de la police et des médias américains. C’est aussi l’époque où le trafic international de drogues commence à être perçu au Nord comme une menace réelle. Dans les années 80, la Colombie popularise l’image du dangereux trafiquant qui s’en prend à l’Etat.
Les auteurs du rapport parlementaire font de la hausse de la consommation au Mexique même une des raisons de la hausse de la violence.
Le pays a un pied au Nord et un autre au Sud. Une classe moyenne en quête de sensations y côtoie la population des bidonvilles, où le désespoir sert de terreau à la toxicomanie. La consommation de stupéfiants augmente, ainsi que le nombre de dealers «détaillants». On disait jusqu’il y a peu que l’héroïne et la cocaïne étaient uniquement destinées à l’exportation. Mais depuis les années 90, le pays est devenu un énorme consommateur. Le phénomène est désormais visible et pose des problèmes «d'insécurité de proximité», comme dans la plupart des pays latino-américains, notamment l’Argentine et le Brésil.
Mexico semble aujourd’hui s’impliquer plus fortement contre le narcotrafic.
Les choses ont certes changé depuis que le PRI a perdu le pouvoir, en 2000. Les trafiquants se sont autonomisés. L’armée a été impliquée dans la lutte pour suppléer une police totalement corrompue et en laquelle le nouveau gouvernement n’avait aucune confiance. Mais même à imaginer que l'actuel président ait la volonté de lutter contre le trafic, il y a un pas, au Mexique, entre les faits et la volonté politique. Comment pourrait-il lutter? La police reste corrompue et l’armée le devient. Aucune réforme de fond concernant la lutte antidrogues n’est envisagée alors qu’on atteint les limites du modèle «tout répressif», qui accroît la violence et la corruption au lieu de les faire diminuer.
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