La question de la conduite après usage de stupéfiants est souvent absente du débat sur la dépénalisation du cannabis. Le gouvernement vient pourtant de muscler, cet été, le dispositif de lutte contre les stupéfiants au volant.
Les explications de Me Jean-Baptiste le Dall.
La chose peut paraître surprenante, mais la législation sur les stupéfiants au volant n’est pas si ancienne que cela et ne remonte qu’à 2003 ! Sans aller jusqu’à dire qu’un conducteur avec une pleine pharmacie dans les veines pouvait poursuivre tranquillement son chemin après un contrôle alors que celui qui avait bu une bière de trop se voyait retirer le permis, la justice manquait clairement d’un texte adapté. L’oubli a été corrigé dès 2003 avec un délit de conduite après usage de stupéfiants.
Au départ, le texte a été appliqué avec discernement par les juridictions pénales, jusqu’à ce que la Cour de cassation vienne rappeler que l’infraction prévue et réprimée par le Code de la route n’est pas un délit de conduite sous l’influence de produits stupéfiants mais celui de conduite après usage de produits stupéfiants. Et la nuance est de taille. Explications.
Cannabis : de simples traces suffisent pour être condamné
Pour le cannabis, il est parfaitement possible pour un laboratoire de retrouver des traces ou des métabolites du produit plusieurs jours après la consommation. Clairement le consommateur n’est plus, depuis bien longtemps, sous l’influence du THC, pour autant, en cas de contrôle routier, les analyses toxicologiques risquent de le conduire droit au tribunal correctionnel.
Pour le conducteur fumeur, plus ou moins occasionnel, la mésaventure risque fort de se traduire par une suspension provisoire immédiate du permis de conduire. Cette mesure administrative qui émane du préfet est prise sur la base de grilles faisant correspondre une infraction à un nombre plus ou moins important de mois de suspension. En matière de stupéfiants au volant, la suspension provisoire est souvent de quatre ou six mois sans prise en compte des taux constatés sur le conducteur.
Pas de taux mais des sanctions parfois très lourdes
La grande différence entre l’alcool et les stupéfiants en matière de conduite, c’est qu’il n’existe pas de taux pour ces derniers. Un conducteur ayant bu quelques verres d’alcool pourra avoir un taux lui permettant de prendre le volant en toute légalité, un taux contraventionnel qui lui vaudra une amende forfaitaire de 135 euros, ou un taux délictuel qui entrainera privation de permis de conduire et passage par la case tribunal.
En matière de stupéfiants, et notamment de cannabis –car c’est le produit le plus consommé –rien de tout cela, d’infimes traces feront d’un conducteur lambda un délinquant. A la clé, suspension de permis de conduire, amende, retrait de six points sur le permis de conduire, inscription au casier judiciaire….
Les conséquences peuvent s’avérer bien lourdes pour un jeune automobiliste qui aura partagé un « joint » avec des amis lors d’une soirée deux jours avant de prendre le volant et de se faire contrôler…
La sévérité du dispositif législatif a souvent été dénoncée, mais il sera rappelé que contrairement à l’alcool, les produits stupéfiants ne font l’objet d’aucune information sur le dosage de la substance consommée, que des effets secondaires peuvent survenir longtemps après la consommation et surtout que la consommation de produits stupéfiants, même du cannabis, demeure interdite en France.
Ce qui va changer : l'arrivée du prélèvement salivaire
Un décret publié au Journal officiel le 24 août 2016, dont les arrêtés d'applicaiton sont attendus d'ici à la fin de l'année, va permettre une plus grande efficacité sur le terrain. Au départ la lutte contre les stupéfiants au volant s’est avérée compliquée à mettre en œuvre avec le recours obligatoire aux prélèvements sanguins tant au stade du dépistage qu’à celui de l’analyse.
On le comprend, immédiatement, un prélèvement de sang n’est pas une opération que l’on pratique à l’arrière d’un fourgon de police ou sur le capot du véhicule du conducteur. Résultat : des allers et venues en perspective pour les forces de l’ordre et une perte de temps considérable.
Les choses avaient déjà été simplifiées avec l’arrivée des kits de dépistage salivaires. Ce kit permet d’avoir une première indication qui sera confirmée ou non par un laboratoire. Jusqu’à présent ce laboratoire travaillait sur un prélèvement sanguin. Tel ne sera plus le cas demain avec l’arrivée du prélèvement salivaire.
Une révision à la baisse des droits des justiciables
Qu’il s’agisse de l’alcool ou des stupéfiants, le principe est celui d’un droit à une nouvelle expertise. C’est le fameux droit au "second souffle" pour les contrôles d’alcoolémie opérés par éthylomètre. C’est la même chose pour les stupéfiants. Jusqu’à présent la procédure était assez simple, le prélèvement sanguin opéré en cas dépistage positif était réparti dans deux flacons. Dans le cas où le conducteur sollicitait la contre-expertise, le second flacon était ressorti pour analyse.
Avec le prélèvement salivaire, le gouvernement donne moins de droits aux conducteurs contrôlés. La contre-expertise ne sera, à l’avenir, possible que si le conducteur la demande immédiatement. Au lieu de prévoir directement un double prélèvement salivaire, le gouvernement a préféré ne prévoir qu’un unique prélèvement salivaire tout en proposant à l’intéressé un prélèvement sanguin pour se préserver la possibilité de demander ultérieurement la contre-expertise.
Ainsi ,lorsque les taux relevés par le laboratoire sur le prélèvement salivaire seront notifiés à l’intéressé, il lui sera proposé une contre-expertise mais uniquement s’il a demandé le prélèvement sanguin lors du contrôle.
On imagine bien que peu de conducteurs solliciteront ce prélèvement sanguin, avec des agents qui leur expliqueront qu’une telle démarche est bien sûr possible mais qu’ils devront patienter des heures ou toute une nuit dans les couloirs d’un hôpital pour attendre qu’un médecin puisse les prendre en charge.
Le conducteur qui, de toute bonne foi, pensait que l’analyse ne révèlerait que d’infimes traces de cannabis et se verra notifier des résultats indiquant, par exemple, une consommation importante de cocaïne, d’héroïne, de GHB et de la dernière drogue de synthèse à la mode ne pourra plus demander une contre analyse.
Maître le Dall, docteur en droit et vice-président de l'Automobile club des avocats intervient sur son blog et sur lci.fr.
Source: lci.fr