La loi pénalisant en France l'usage de stupéfiants fête cette année ses quarante ans. Quinze associations et personnalités appellent à la réformer dans le numéro "Spécial drogues" des Inrockuptibles parut ce mercredi.
Le 31 décembre 2010, la loi instaurant la pénalisation de l’usage de drogues fêtera son 40e anniversaire. En 1970, la France comptait tout au plus un millier de « toxicomanes », mais pour le législateur, la sévérité de la loi devait protéger la jeunesse française du danger à venir. Il n’en a rien été.
Non seulement la loi n’a pas enrayé la diffusion massive du cannabis, ni prévu la consommation des drogues de synthèse, telle que l’Ecstasy ou la cocaïne, mais elle fut en grande partie responsable de la terrible mortalité des héroïnomanes des années sida. Nombre d’entre eux seraient encore en vie aujourd’hui s’ils avaient eu accès aux seringues stériles et aux traitements médicaux.
Il a fallu attendre le milieu des années 80 pour que les pouvoirs publics prennent conscience de cette catastrophe et donnent la priorité à la protection de la santé: des milliers de vie ont été sauvées en prenant des mesures contraires à la loi car il y a bien une contradiction entre distribuer une seringue et interdire son utilisation.
Aujourd’hui au nom de la tolérance zéro, la répression de l’usage devient systématique et les conséquences sanitaires et sociales risquent d’être encore plus graves. L’épidémie d’hépatites provoque 4000 morts par an en France, des centaines de milliers d’usagers sont exposés à ce risque. La répression fait obstacle à la prévention et à l’accès aux soins. De plus, cette politique a renforcé l’organisation mafieuse du trafic.
Nous demandons la révision de la loi de 70.
Parce qu’une politique de santé publique basée sur l’interdit judiciaire et la répression est vouée à l’échec.
Au niveau international, le débat s’ouvre enfin sur la prohibition car l’échec de la guerre à la drogue est un constat pour tous les pays. La comparaison entre pays européens montre que le cadre législatif, qu’il soit plus ou moins répressif, n’a pas d’influence sur le nombre de consommateurs. Mais la criminalisation de l’usager a été vecteur de l’épidémie de sida. Plus l'usager est réprimé, moins il est en mesure de protéger sa santé, plus la mortalité augmente.
Parce que la criminalisation des usagers de drogues n’est pas justifié par la sécurité.
C’est même le contraire, les liens entre drogues et délinquance dépendent en grande partie des systèmes d'accès aux produits. La guerre à la drogue se révèle être une guerre aux drogués. Les conséquences en sont l’injustice sociale, l’arbitraire, l’enfermement dans l’exclusion et dans la délinquance, l’exacerbation de la violence, le développement de l’organisation mafieuse et de la corruption.
Parce que la criminalisation des usagers de drogues n’est pas justifié par la prévention et l’éducation.
Lorsque près d’un jeune sur deux enfreint la loi en expérimentant une drogue illicite, la loi perd sa fonction de barrière symbolique. Les institutions sont décrédibilisées. L’exclusion d’une part aussi importante de la jeunesse met en jeu la démocratie elle-même. La France, avec un des dispositifs les plus répressifs en Europe a connu la plus forte progression d’un usage de cannabis pourtant dépénalisé par tous nos voisins européens. Si la loi peut et doit limiter l'offre, borner les conduites d’usage, elle ne peut prétendre les éradiquer. La loi ne peut se substituer à l’éducation et à la prévention.
En France, les arguments invoqués pour justifier le maintien de la loi de 1970 ont été démentis par les faits.
Non, l’interdit judiciaire n’est pas justifié par la dangerosité des drogues : les drogues licites peuvent être aussi dangereuses que les drogues illicites. La limitation de l’accès peut se faire sans criminaliser l’usager.
Non la criminalisation des usagers ne sert pas à lutter contre le trafic: Plus nombreux sont les usagers sanctionnés, plus le trafic s’organise et plus les trafiquants échappent à toute sanction. Aujourd’hui seulement 3,5 % des interpellations concernent le trafic.
En 2006, 8000 usagers ont été incarcérés pour usage et en 2009 près de 170 000 personnes ont été interpellées et fichées, dont 85% pour usage simple encourant la peine-plancher de 4 ans de prison. De plus, la multiplication des interpellations détourne les services des tâches qui sont les leurs : garantir la sécurité de tous.
La réforme de la loi de 1970 est une nécessité. Tous les experts et les acteurs de ce secteur sont unanimes. Il appartient désormais aux citoyens de se prononcer. C’est pourquoi nous appelons à signer cet appel.
Signataires:
Aides, AFR (Association française de réduction des risques), Asud (Autosupport des usagers de drogues), Elisabeth Avril (Gaïa), Patrizia Carrieri (Inserm U912), Anne Coppel, Jean-Pierre Couteron, Europe écologie, Olivier Ferrand (président de Terra Nova), Farid Ghehioueche (Cannabis sans frontières), Eva Joly, Mouvement des jeunes socialistes, David Poryngier (président du Mouvement des libéraux de gauche), Jean-Luc Romero (Elus locaux contre le sida), Techno Plus, Les Verts.
Source : les Inrocks