Une bouteille à moitié pleine, un joint à moitié fumé, les métaphores macroniennes sont de sortie à la lecture du rapport remis par la commission parlementaire chargée d’étudier une procédure d’amende pour le délit d’usage de stupéfiants. C’est également un débat qui exclut toute référence à la motivation essentielle du public, celui du plaisir que l’on a à consommer une substance psychoactive.
La question demeure, le plaisir des drogues est-il susceptible de «contravention» ? La sacro-sainte loi de 1970 ampute le débat de son argumentaire le plus efficace : si l’on consomme des drogues c’est d’abord parce que «ça fait du bien».
En marche vers la légalisation ?
Peut-on aujourd’hui se permettre de tels propos qui valent toujours cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende selon l’article L3421-4 du Code de la santé publique qui criminalise toute présentation des stupéfiants sous un jour favorable ? La réponse est oui, parce que les temps ont changé. Le leader mondial de la prohibition de drogues a tourné casaque. Empêtré dans une effroyable épidémie d’overdoses, l’Amérique ne parle aujourd’hui que traitement médical et prise en charge compassionnelle. Fini l’incarcération de masse des habitants du ghetto, qui fonde l’histoire de la «war on drugs».
Même le président Trump, entouré de féroces guerriers antidrogues comme Jeff Session, le ministre de la Justice, ne peut se résoudre à braver son électorat très attaché à la liberté individuelle, aux valeurs du marché, et aux droits des Etats qui libéralisent le cannabis les uns après les autres. Cette Amérique Blanche issue des classes moyennes, prend du cannabis pour se soigner ou pour s’éclater, et elle ne veut plus mourir d’overdoses par voie de prescription. Aujourd’hui les Etats-Unis et bientôt le Canada, donnent le signal du redéploiement international vers les marchés légaux du cannabis, en attendant d’autres substances.
Des plaquettes de chocolat à la la marijuana, le 16 janvier, à Oakland, en Californie. L’usage des drogues douces est devenu légal dans cet Etat américain. (Photo Justin Sullivan. Getty. AFP)
Le projet de contraventionnalisation si décrié est peut-être la première étape d’En marche vers cette régulation de stupéfiants à but si lucratif. Une contravention c’est avant tout un signe adressé aux consommateurs, aux usagers, interpellés non plus au titre du délinquant ou du malade, mais à celui du contribuable en attendant de pouvoir s’adresser au citoyen. En décidant de l’objet même de la commission parlementaire le gouvernement LREM a conscience du saut qualitatif qu’il accomplit. Jusqu’ici toutes, absolument toutes, les discussions publiques orientées vers une modification de la loi s’adressaient aux policiers, bien sûr, et aux parents. Les consommateurs étant considérés comme d’éternels mineurs. Or parmi les auditionnés figurent des policiers et des juges, certes, mais aussi des associations d’usagers de drogues parmi lesquelles Autosupport des usagers de drogues (Asud) (1).
Robin Reda, le flic gentil
L’une des curiosités du rapport et non des moindres est de voir Robin Reda, jeune loup LR, plaider pour une simple amende déjudiciarisée, dès lors que le trouble à l’ordre public n’est pas constaté. Le policier, dressé à la chasse aux petits délinquants a tendance à percevoir le trouble à l’ordre public selon une gamme chromatique toute personnelle où l’apparence physique, l’habillement, la coiffure, les mauvaises langues ajoutant l’origine ethnique (2), tiennent une place toute subjective, source de bien des interprétations.
Dans un message subliminal adressé aux classes moyennes jeunes et diplômées, la rumba «en même temps» de la commission prend alors tout son sens. Robin Reda, c’est un peu le flic gentil quand son corapporteur, Eric Poulliat, issu lui d’En marche, propose une pénalité financière qui reste inscrite au casier judiciaire. L’apôtre de l’arbitraire policier déguisé en ami des fumeurs de joints. Vous avez dit poudre de perlimpinpin ?
- A revoir -> le programme de la Mission d’information et les enregistrements vidéos des auditions publiques
Eux et nous
Revisitons d’autres débats de nature comparable. Le mariage pour tous par exemple. Pour polémique qu’il fut, il a vu s’affronter des associations LGBT et des associations familiales à orientation confessionnelle, sans intermédiaire superflu. Autre sujet sensible, la pénalisation des clients de prostitués. Son arène médiatique fut un tremplin pour des associations de travailleuses et de travailleurs du sexe, comme le Strass. On a même vu des personnalités célèbres endosser le costume particulièrement voyant du client de prostitué.e.s adultes et consentants.
Mais pour les drogues, le rituel du «eux» et «nous» reste de mise dans la plupart des grands médias. Eux les «drogués», nous «les parents». Eux les «addicts», nous «les soignants». Eux les «dealers», nous les «policiers». Le débat sur les drogues n’a pas encore atteint son âge sa majorité légale. Nous oublions que ce fut longtemps le cas de la parole homosexuelle coincée entre le témoignage d’un «inverti» et le diagnostic d’un psychiatre. On oublie également que le combat féministe aussi a dû subir aussi ce préjugé de «minorité perpétuelle» qui faisait de l’Eglise catholique le censeur acharné de la sexualité des femmes. Le plaisir des drogues est entravé par ces mêmes dispositions juridiques qui ont si longtemps régi le plaisir des femmes et celui de gays, il est illicite.
Alors ayons le courage de dire que le véritable débat devrait nous épargner l’hypocrisie du «eux» et «nous». Une discussion qui mobilise la convivialité, le partage, la découverte, la culture quand elle s’applique au fruit de la vigne et qui devient suspecte quand elle franchit la barrière de l’illicite. Le «plaisir des drogues» est en réalité une simple banalité neurobiologique. Une banalité qui, en l’état de la législation, fait de nous tous les otages potentiels de la police et en même temps des mafias.
(1) La «contraventionalisation» de l’usage de stupéfiants : un bâton en forme de carotte. Mediapart
(2) La guerre aux drogues : une guerre raciale. Libération