A Montpellier, une décision rare a été rendue : une consommatrice est dispensée de peine, ouvrant le débat sur un usage contre la douleur.
Isabelle, documentaliste, souffre de douleurs neuropathiques. B. CAMPELS
Oui je suis en colère, je sais ce que c'est la souffrance, la douleur, et l'on vient m'arrêter pour des plants de cannabis au milieu de plants de tomates... J'aimerais que l'on autorise le cannabis au niveau thérapeutique, mais en France, on a peur". Isabelle, 45 ans, vient pourtant d'obtenir une décision rare : le tribunal correctionnel de Montpellier l'a dispensé de peine pour la dizaine de pieds de cannabis que les gendarmes ont retrouvé chez elle. Un signe, pour son avocate, que le débat sur l'usage thérapeutique avance.
Ce mercredi 17 février, devant sa maison de Grabels, au Nord de Montpellier, Isabelle profite du soleil d'hiver pour raconter son histoire. A ses côtés, son compagnon l'aide à boire son café. Elle tire aussi sur un joint de cannabis. C'est le seul médicament naturel qui apaise ses douleurs neuropathiques comparables "à un étau qui compresse la poitrine". Depuis un terrible plongeon dans une piscine sans fond, il y a 20 ans, elle est devenue tétraplégique.
LE CHIFFRE 30
C’est, en pourcentage, le nombre de malades de la sclérose en plaque qui consommerait du cannabis en France pour combattre leurs douleurs. La plante soulagerait également d’autres maladies (cancer, Sida, hépatite). Reste maintenant aux chercheurs à isoler les effets négatifs du cannabis pour une application strictement médicale.
"Je travaille, je paie des impôts, ce moyen existe pour calmer les douleurs, je l'utilise"
"Le cannabis c'est notamment un puissant décontractant musculaire" indique-t-elle. Au départ pourtant, pour compenser les affres de son handicap, elle a eu recours à plusieurs médicaments, certains aux molécules tellement fortes "qu'à 4 h de l'après-midi je ne pouvais plus parler et à 18 h je m'endormais". Et lorsqu'en 2013 son principal remède, le Myolastan®, est retiré du marché sur recommandation européenne en raison de sa dangerosité, elle commence à fumer dés le matin.
"On me donnait ce médicament depuis des années et d'un coup ça s'arrête. J'ai fumé et ça m'a fait un bien fou, comme jamais depuis l'accident" raconte celle qui a alors aussi voulu s'auto-médicamenter. Et poursuivre sa carrière professionnelle coûte que coûte. Titulaire d'un “bac+4“ avant son accident, elle a réussi à passer son Dess en gestion des ressources humaines à Grenoble avant que cette native de Belfort ne s'installe à Montpellier voilà quinze ans. Elle est désormais documentaliste au LIRMM (laboratoire d'informatique, de robotique et de micro-électronique).
"Donc si vous n'avez pas de sclérose en plaque, tant pis pour vous !"
"Au début j'avais un peu peur intellectuellement, mais on apprend à travailler en fumant" explique la quadragénaire tout en reconnaissant que "le cannabis n'est pas la panacée. Des fois on aimerait avoir moins la tête dans les étoiles". Elle ne milite pas non plus pour la dépénalisation globale du cannabis, concentrant sa lutte sur le seul côté thérapeutique. Elle s'insurge du retard pris par l'administration française sur l'autorisation à commercialiser des médicaments à base de cannabinoïde.
Un seul est pour l'heure autorisé, le Sativex®, un spray buccal à base d'extraits. Mais il n'est pas encore en vente et accessible qu'aux personnes souffrant de sclérose en plaque. "Donc si vous n'avez pas de sclérose en plaque, tant pis pour vous ! C'est n'importe quoi... Pourtant, les douleurs sont très proches et le cannabis peut aussi aider ceux qui ont des cancers ou le Sida" rappelle-t-elle.
Isabelle avait planté pour la première fois des pieds de cannabis avant d'être dénoncée. Elle espère maintenant que le débat va avancer, tout en restant hors-la-loi si elle fume. "Je ne fais rien de mal, je travaille, je paye des impôts, je ne suis pas un poids pour la société, c'est le contraire ! Que l'on ne m'ennuie pas parce que je fume du cannabis, ce moyen existe, je l'utilise, quand on a mal, le reste on n'a pas plus rien à faire".
Deux questions à...
Me Ingrid Metton du barreau de Paris, défendait Isabelle.
Comment avez-vous obtenu cette dispense de peine pour votre cliente auprès du tribunal ?
J’ai dû expliquer qu’elle était malade et le sens de la dispense de peine. Elle est coupable d’avoir violé la législation française c’est indéniable, on ne peut pas encore avoir de plants de cannabis à titre thérapeutique, mais elle est condamnée sans peine. C’est une décision rare, je n’ai connaissance que de cinq ou six jugements de la sorte. Obtenir cette décision peut vraiment faire avancer la cause du cannabis thérapeutique, souvent les juges ne sont pas au courant de la situation des malades.
Comment se situe la France par rapport aux autres pays ?
Une quinzaine de pays, Espagne, Suisse, Pays-Bas, Allemagne notamment, ont déjà autorisé le cannabis thérapeutique... Pourquoi sommes-nous si en retard ? Il faut changer les mentalités et cela prend du temps. Depuis 2013, en France, un décret autorise la mise sur le marché de médicaments à base de cannabinoïde, le gouvernement a donc acté la nécessité de ce soin thérapeutique, mais il n’a pas communiqué dessus... En gros, il faut faire des tests et ça prend des années, mais les malades n’ont pas à souffrir de la longueur des négociations des politiques avec les lobbies pharmaceutiques.
Par YANICK PHILIPPONNAT
Source: midilibre.fr