Marseille : contre le banditisme, légalisons cannabis et prostitution
Les règlements de comptes du grand et du petit banditisme ne sont plus de simples faits divers, ils alimentent désormais les polémiques sur la sécurité urbaine. Le ministre de l'Intérieur se précipite à Marseille chaque fois qu'un voyou finit sa carrière sous les balles d'un concurrent. Il n'y a pourtant rien de bien neuf dans le milieu, où, depuis toujours, les armes se chargent de réguler les marchés de la drogue, de la prostitution et des divers trafics. Il n'est pas certain que les truands d'aujourd'hui soient plus violents que les truands d'hier. Ils se procurent des kalachnikovs plutôt que des brownings et des thompsons. Ils préfèrent les berlines allemandes aux tractions Citroën et leurs cagoules sont assurément moins élégantes que les borsalinos. Les guerres de gangs n'ont jamais cessé, à Paris comme à Marseille. Hier comme aujourd'hui, les caïds meurent jeunes, et rarement de mort naturelle. Ils ne changent pas. Mafia d'origine ou de quartier, élimination violente de la concurrence, le gangstérisme n'a jamais été autre chose que la forme primitive de l'économie de marché.
La pègre chassée en périphérie
Ce qui change, c'est, d'abord, la clientèle de la chnouf. Le marché n'est plus, depuis longtemps, limité aux camés argentés, il relève de la grande distribution et s'implante, comme elle, dans tous les quartiers populaires. Les règlements de comptes se déroulent toujours dans les lieux de vente, qui ne sont plus des bars feutrés, mais les rues, les parkings et les halls des cités. Cette diffusion du gangstérisme sur la totalité de l'espace urbain a été favorisée par les politiques urbaines mises en œuvre depuis les années 70. Officiellement, les «quartiers chauds» ont disparu pour des raisons de morale publique. Les gangsters ne règlent plus leurs affaires au fond des établissements de débauche - qui sont devenus autant de bars branchés. Dans les anciennes rues chaudes de Paris et de Marseille, les hôtels de passe rénovés ou détruits ont laissé la place à des logements de luxe. Les villes d'autrefois fixaient le milieu derrière ses vitrines de prostituées. La police le tenait à l'œil, avec des pratiques peu avouables, et pour tout dire corruptives. La disparition des tapins, bars louches, tripots et hôtels de passe a propulsé la pègre à la périphérie des villes. L'hypocrisie bourgeoise triomphe. Les centres-villes sont propres, l'insécurité s'éloigne. La prostitution n'est plus visible dans les rues, et qu'importe si les prostituées sont plus que jamais soumises aux proxénètes, qui gèrent les sites Internet, les studios discrets et les salons de massage. Qu'importe si le bas de gamme se réfugie dans les bois et les terrains vagues, sous la surveillance de petits macs particulièrement violents. Parfois, les habitants du pré carré bourgeois sécurisé découvrent avec effroi que le crime organisé tue là où il se trouve, et donc dans n'importe quel quartier !
En vérité, il n'y a pas plus de règlements de comptes aujourd'hui que par le passé. Les territoires mafieux se déplacent seulement des anciens quartiers chauds à la périphérie des villes. Le crime organisé est d'autant plus difficile à combattre que les abcès de fixation traditionnels ont disparu. On ne réduira pas l'insécurité en traitant la prostitution et la drogue par des interdits hypocrites. Pourchassées, les prostituées sont livrées aux réseaux du proxénétisme, tout comme les amateurs de fumette sont abandonnés aux dealers. Il est pour le moins incohérent d'ouvrir des salles de shoot pour héroïnomanes et de refuser de débattre du cannabis. En légalisant, pour les encadrer, des pratiques qu'aucune répression ne peut éradiquer, l'Etat se donnera les moyens d'isoler les mafias, en les privant de leurs principaux marchés.
GUY KONOPNICKI
Source: