Dans une enquête menée par l'ONU et publiée il y a quelques mois, on recense 134.000 ha de cannabis cultivés dans les montagnes du Rif. Le chiffre est fiable car il fut effectué par détection satellite (on ne peut guère plus rien cacher à cet Å“il de cyclope braqué continuellement au-dessus de nos têtes). Avec une production de 47.000 tonnes de cannabis (soit 3.000 tonnes de haschisch), le Maroc est le premier producteur (et exportateur) de cette denrée très prisée dans le monde.
Source: babelmed.net
Malgré les contrôles, 20 % seulement de cette production est interceptée aux frontières marocaines et européennes. La culture du cannabis fait vivre une grande partie de la population misérable des montagnes du Rif, mais les agriculteurs n'en retirent que des miettes. Le chiffre d'affaires sur le marché est estimé à 12 milliards de dollars, mais seuls 2 % de ce montant échoit aux cultivateurs, le reste est absorbé par les réseaux complexes des barons comme on les appelle, installés dans les villes ou à l'étranger, des mafias locales et étrangères.
L'écoulement de la drogue a longtemps bénéficié de la complaisance et de la corruption des agents de l'Etat à tous les niveaux, complicités et intérêts qui remontent parfois jusqu'à la capitale. Il y a encore quelques temps, l'affectation d'un douanier ou d'un gendarme au Nord était très recherchée (et même monnayée), car c'était la promesse d'un enrichissement rapide.
L'étendue des côtes méditerranéennes et le sous-équipement des gardes-côtes facilitent la sortie des trafiquants, équipés de hors-bords et de vedettes rapides. Sous le règne de Hassan II, les autorités frontalières et les services de renseignement qui opéraient dans le Nord débusquaient surtout les trafics d'armes; pour le reste, la drogue, la contrebande, ils étaient plus soucieux de toucher leurs droits de passage qu'autre chose.
L'arrestation il y a quelques mois d'Erramach, un petit baron de la drogue, a eu lieu justement à la suite d'une fusillade. C'est la preuve encore que le trafic de la drogue ne devient dangereux et vraiment répréhensible que lorsque les armes font leur apparition. On a peur que le Maroc ne devienne une Colombie et que les armes s'infiltrent vers l'arrière pays (le Maroc utile et très sécurisé).
L'affaire d'Erramach (qui vient juste d'être condamné par deux tribunaux à de lourdes peines) révèle au grand jour l'ampleur du réseau de complicité entre les trafiquants et les agents de l'Etat, les élus et les notables : des juges, des responsables de la police, de la douane et même de la DST (Direction de surveillance du territoire) furent inculpés.
Avec le nouveau règne, sous la pression de l'Union européenne et des instances internationales, l'Etat s'engage à lutter contre la culture du cannabis. Mais comme en Amérique Latine (en Bolivie notamment), la reconversion des paysans s'avère difficile.
D'abord parce que les villages du Rif sont enclavés et pratiquement inaccessibles. Le tremblement de terre d'Al Hoceima et les difficultés qu'ont eues les services de secours à sauver les sinistrés et à acheminer l'aide ont montré l'isolement du Rif aux yeux du monde. Il est aussi très difficile de convaincre les paysans de se reconvertir dans des cultures nettement moins rentables, si ce mouvement de reconversion ne s'accompagne pas d'un véritable plan de développement régional.
Hassan II ne portait pas le Nord dans son cÅ“ur. Son peuple est farouche et prompt à la révolte. Pendant plus de 40 ans, il fut abandonné à son sort. Aujourd'hui, pour rattraper le retard, l'Etat doit mettre les bouchées doubles. Le nouveau roi aime Tanger et y séjourne souvent. Il a surtout lancé depuis quelques temps des projets ambitieux pour la région.
En parlant de l'estimation de l'ONU concernant les terres cultivées en cannabis du Rif, il a dit que les chiffres du rapport étaient en deçà de la réalité, ce qui a fait tiquer ses collègues, habitués comme ils sont à l'euphémisme et au langage aseptisé. En attendant que les projets de développement du Nord aboutissent et que la culture du cannabis disparaisse, des tonnes de haschisch continueront à traverser le détroit et à nourrir le marché local.
Car à Tanger, comme dans toutes les régions du Nord, on fume beaucoup le kif et le haschisch. Entre les années 50 et les années 70, un genre de tourisme particulier s'est développé au Maroc avec l'afflux des générations des beatniks, puis de hippies. Ces envahisseurs pacifiques pleins d'amour et de paix déboulaient les frontières espagnoles par hordes successives, s'installaient dans des campings et erraient dans les villes, sur les routes et dans les campagnes. Souvent sur leur route vers le Népal, ils venaient goûter aux vertus de la plante nationale. Ils poussaient parfois jusqu'à Ketama, petite localité des montagnes du Rif, capitale du kif. On dit même que c'est la recherche des paradis artificiels qui a attiré beaucoup de ces personnages qui ont fait la réputation du Tanger de la belle époque : journalistes, écrivains, chanteurs, peintres, etc.
Aujourd'hui encore, la ville baigne continuellement dans une ambiance de farniente, hérité de la présence et de la proximité des espagnols (on vit à Tanger comme dans le sud de l'Espagne) et une atmosphère d'insouciance, survivance de l'époque internationale. Zone frontière, Tanger est la ville où finit l'Europe et où commence le Maghreb et l'Afrique. Comme dans les sabliers d â€
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