Aujourd’hui, seuls les journalistes et les spécialistes ont le droit de s’exprimer sur le sujet. Le débat public, parmi le public, est empêché par l’aspect "auto-bloquant" de la loi de 1970 et de son article L 630 qui sous couvert de lutte contre "la présentation sous un jour favorable", réprime toute tentative de remise en cause de la loi.
Le 31 décembre 1970, est votée une loi qui pour la première fois en France réprime la consommation personnelle de stupéfiants. Presque trente ans après, l’échec de la loi est patent et ses effets pervers bien pires que le mal qu’elle était censée combattre. C’est pour cela qu’un nombre croissant de voix se sont élevées ces dernières années pour demander avec Les Verts l’abrogation de la loi de 1970 et son remplacement par une nouvelle réglementation et une nouvelle approche qui peut être résumée sous le terme de "légalisation contrôlée".
Source : Chanvre-info
Les usagers, premières victimes d’une loi assassine
Du rapport Pelletier au récent rapport Roques, tous les spécialistes s’accordent pour dire que le cannabis ne mérite pas tant d’ardeurs répressives. Ainsi la commission Henrion : "Aucun décès dû à une consommation excessive de cette drogue isolément n’a été signalé. A ce titre, on peut considérer qu’elle est moins dangereuse que l’alcool (36 000 morts par an) et le tabac (60 000).". Le seul danger du cannabis est judiciaire. La simple consommation est passible d’un an de prison et de 25 000 francs d’amende et, selon le nouveau code pénal, la culture de plants de cannabis même pour sa propre consommation est un crime punis de 20 ans de réclusion et de 50 millions de francs d’amende ! Chaque année plus de 66 500 fumeurs de cannabis sont poursuivis pour simple consommation, plusieurs centaines incarcérées (864 simple usagers en prison toutes drogues confondues en 1995), des jeunes d’origine étrangère expulsés victimes de la double peine.
Si la décriminalisation de l’usage et la réglementation de la distribution semble évidente pour les usagers de cannabis, c’est pour les usagers de drogues "dures" qu’elle est la plus urgente. Car dans ce cas, la prohibition entraîne tout une série d’effets pervers aux conséquences mortelles.
* les dealers cherchent à rentabiliser à outrance une matière première rendue très chère par la prohibition mondiale. Coupée aux détergents, à n’importe quoi, de qualité inégale à chaque shoot, l’héroïne frelatée a provoqué jusqu’à 500 morts en 1995. Et quand l’héroïne devient trop chère, font alors leur apparition le crack, les médicaments détournés de leur usage, des produits de plus en plus dangereux.
* Parce que la consommation est interdite et que beaucoup d’usagers sont en situation d’exclusion, alors la consommation se passe "discrètement" dans des squats sordides, des entrées d’immeuble, avec ce qui traîne, et notamment des seringues que d’autres usagers malades du Sida ou des hépatites ont déjà utilisé. 30% des usagers français d’héroïne sont atteints du Sida (2% en Grande-Bretagne), 70% ont contracté une hépatite, taux record en Europe ! 1 200 en meurent chaque année. Alors que socialement fragiles, ils devraient être les premiers à avoir accès aux structures de soins, la logique répressive les maintient loin de tout secours de la société : la simple possession d’une seringue est un délit qui continue à être poursuivi.
* Enfin, pour acheter des produits toujours plus chers, du fait même de la prohibition, ils ont recours à la délinquance et à la prostitution. Aujourd’hui, selon certaines estimations, les délits liés aux stupéfiants remplissent pour moitié les prisons françaises.
Une économie dopé par la répression
Comme l’explique l’avocat Francis Caballero "le premier effet pervers (de la prohibition) est la création d’un monopole criminel de distribution des stupéfiants. Un marché considérable qui assure au crime organisé un pactole inépuisable (...) Si bien qu’en définitive, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la prohibition est l’alliée objective du trafic." Cette "économie dopée par la répression" prend des proportions inégalées : 500 milliards de dollars par an au niveau mondial, soit 4 à 5% du produit mondial, deux fois plus que les pétrodollars en 1973. De l’argent qui gangrène toute l’économie, de la bourse aux quartiers populaires. Dans son Rapport 1998, l’Observatoire géopolitique des drogues dénonce la corruption croissante des élites du sud qui constitue un frein au développement des pays concernés, "les activités mafieuses procurant des bénéfices autrement plus substantiels, et surtout plus rapides, que l’économie formelle". De plus, les paysans sont pris entre les violences des narcotrafiquants et des forces gouvernementales. Les cultures de plantes à drogues, intensives et sans aucun contrôle, provoquent aujourd’hui de graves dégâts sur l’environnement.
Quand on regarde aujourd’hui les "méfaits des drogues" on est bien obligés de constater qu’ils sont d’abord les méfaits de la prohibition. Loin de tout aveuglement moraliste, il faut en tirer le bilan et sortir de la prohibition comme le firent les américains pour l’alcool dans les années 30.
Dépénalisation, soutien social, médicalisation
Depuis 10 ans, en France des associations multiplient les initiatives, violant ouvertement (mais avec des financements d’état) la loi de 1970. Plutôt que de laisser les usagers de drogue dans la rue, elles les accueillent les soutiennent, échangent les seringues, dirigèrent les usagers vers les filières de soin et d’insertion. D’autres, proposent des produits de substitution aux drogues, la méthadone, le subutex. Grâce à cette "réduction des risques" , 3 000 usagers intègrent chaque mois les filières d’accueil et de soin, des dizaines de milliers ont retrouvé une certaine stabilité grâce aux produits de substitution. Le nombre de décès par surdose est passé de 465 en 1995 à 228 en 1997. Pourtant aujourd’hui, pour aller plus loin, la "réduction des risques" est bloquée par la loi de 1970.
Dans les quartiers où la consommation et le trafic sont les plus forts, les associations demandent à pouvoir ouvrir des "salles d’injection" où les usagers pourront, sous surveillance médicale, utiliser des produits contrôlés et être en contact avec un réseau d’aide plutôt que de continuer à s’injecter n’importe quoi dans les cages d’escalier ou les squats sordides pour leur plus grand malheur et celui des habitants. Parce que tout le monde ne peut pas passer directement à la méthadone et au Subutex, des expériences ont eu lieu en Suisse et à Liverpool de distribution d’héroïne dans un cadre médical (stabilisation des usagers, baisse de la mortalité et de la délinquance). Les Suisses ne s’y sont pas trompés : à l’occasion d’un récent référendum, 70% des électeurs ont refusé que soit arrêté le programme helvétique de distribution d’héroïne sous contrôle médical. En France, la loi de 1970 empêche tout cela. C’est pourquoi Les Verts demandent son abrogation, son remplacement par un soutien accru à la Réduction des Risques, la prescription de l’héroïne dans un cadre médical, le contrôle de la dangerosité des produits (médicaments, ecstazy, etc.)
Cannabis : autoproduction, cannabistrot, réglementation
En dehors de la Suède, la France reste le dernier pays européen où la possession et l’usage personnel est réprimé. A l’inverse, les Pays-Bas ont développé un modèle injustement critiqué, les "coffe-shop". Résultat : le nombre de consommateurs réguliers s’est stabilisé à 1,8% de la population alors qu’il progresse constamment en France (3,9% actuellement). Transposées à la France, les formes de cette distribution pourraient être très diverses. Vente en pharmacie, dans les bureaux de tabac, coffee-shop ou cannabistrots ? Les Verts n’ont pas encore tranché. Le cannabis thérapeutique pourrait être vendu en pharmacie, les produits récréatifs pourraient se retrouver aussi bien dans des établissements commerciaux que dans des coopératives de consommateurs ("cannabistrots" proposés par le CIRC qui correspondent aux critères non-marchands de l’économie alternative tant prisée par les écologistes). En revanche, que ce soit pour le tabac, l’alcool ou le cannabis, Les Verts demandent l’interdiction totale de toute forme de publicité ou de visibilité des commerces. Les Verts sont favorables au droit à l’auto-production. En créant ainsi des réseaux de distribution réglementés, contrôlés par la société, ayant le monopole de cette distribution, proposant à l’usager des produits moins chers et de meilleure qualité que des dealers, le trafic ne pourrait que faire faillite. De plus, selon le Mouvement de légalisation contrôlée (MLC), un tel système permettrait la création de 8 à 10 000 emplois, pourrait contribuer pour 1 milliard au financement de la Sécu.
Recentrer sur les vraies victimes
Obsédés par une vision policière des choses, les logiques prohibitionnistes se sont faites sur le dos des principaux concernés : les paysans du Sud et les usagers du Nord. En ce qui concerne les paysans du sud il faut cesser la "guerre à la drogue" et soutenir la reconversion des cultures de plantes à drogues. Dans les cas où cette reconversion ne serait pas possible, les pays du nord doivent apporter un soutien qualitatif en soutenant le passage à un mode de production biologique, à la distribution dans un cadre légal de "commerce équitable" qui permettra de soustraire les populations aux cartels de la drogue. Au nord, on ne traitera le fond du problème qu’en recentrant les politiques sur les usagers. Or aujourd’hui, les usagers qu’accueillent les "boutiques" ou centres de nuits parisiens sont d’abord, loin d’un usage récréatif qui est le seul défendable, des exclus parmi les exclus. Il faut donc s’attaquer au fond du problème : droit au travail, au revenu, au logement, et aux soins pour tous, solitude, exclusion, etc. La légalisation contrôlée n’est pas une solution miracle. C’est le moins mauvais mode de gestion de produits qu’il faut encadrer (faire entrer dans un cadre légal, c’est le sens de légaliser) parce qu’ils ne sont pas anodins. Mais l’un ne va pas sans l’autre : pour s’en sortir, il faut être en vie et la prohibition tue les usagers.
Le débat bloqué
Aujourd’hui, seuls les journalistes et les spécialistes ont le droit de s’exprimer sur le sujet. Le débat public, parmi le public, est empêché par l’aspect "auto-bloquant" de la loi de 1970 et de son article L 630 qui sous couvert de lutte contre "la présentation sous un jour favorable", réprime toute tentative de remise en cause de la loi. Des journaux sont interdits (L’éléphant Rose, Fénétour, Double Zéro). Des citoyens ont été poursuivis pour avoir voulu déposer des statuts d’associations favorables à la légalisation. Le Collectif d’Information et de Recherche Cannabique a été victimes de dizaines de perquisitions, ses manifestations systématiquement interdites, son président a accumulé plus de 150.000 francs d’amende et risque aujourd’hui la prison, pour des délits d’opinion. Chaque année un millier d’usagers est interpellé pour le port de tee-shirt ou autres babioles "cannabiques", des organisateurs de concerts sont poursuivis. Toute personne (enseignant, association) qui voudrait diffuser une information "objective" peut tomber sous du l630. C’est tout une ambiance qui est ainsi créé, qui fait que le grand public ne reçoit qu’une information à sens unique. Les résultats de cette paranoïa sont là : les lieux d’accueil ont de plus en plus de mal à ouvrir, les sondages traduisent l’incompréhension du public pour les termes "dépénalisation" et "légalisation". Et les responsables politiques s’abritent derrière "l’opinion" pour ne rien changer à la loi, et pour n’apporter qu’un soutien minimum, honteux, aux initiatives de réduction des risques. Parce que les choses apparaissent bloquées, Les Verts saisissent toutes les occasions d’évolution, même minimes et soutiennent les associations. Leurs députés ont déposé un projet de loi d’abrogation de l’article L630, la direction des Verts a fait savoir que « ne plus respecter l’article L630 est un devoir démocratique ». Il est urgent de diffuser massivement une information enfin objective, d’organiser partout des débats avec les habitants pour modifier la perception du problème. La situation sanitaire, sociale et du point de vue des libertés individuelles ou publiques a suffisamment été rendue catastrophique pour que l’abrogation de la loi de 1970 s’impose comme une urgence.
Bibliographie
La plupart des chiffres sont extraits des sites internet du Ministère de l’Intérieur, de la Mission Interministérielle à la lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT) et des ouvrages ci-dessous.
- Droit de la Drogue, Francis Caballero, Dalloz - Rapport de la commission de réflexion sur les drogues et la toxicomanie, pdt R.Henrion. (le fameux "rapport Henrion". Un tour complet et intéressant du problème). - OGD Atlas des drogues, ed PUF Paris 1996 et le Rapport annuel de l’OGD. - Labrousse A., Koutousism, géopolitique et géostratégie des drogues, ed Economica Paris 1996. - Fumées Clandestines 1 et 2, Jean-Pierre Galland Editions du Lézard. (la bible des partisans de la légalisation du cannabis). - Drogues et droits de l’homme, Ligue des droits de l’homme, Dossiers et documents n°29 mai-juin 1996. (Pourquoi une des plus vieilles conscience de la République prend parti pour la légalisation). - Economie de la Drogue, Repères la Découverte. (Interessant et déroutant. Met en cause pas mal des "vérités" admises par les prohibitionistes et leurs adversaires sur les conséquences de la prohibition sur le marché). - "Cannabis lettre ouverte aux législateurs", CIRC, édité par L’esprit frappeur ; - "Cannabis, nous plaidons coupable", CIRC, édité par l’Esprit Frappeur. - "Le dossier vert des drogues douces" Michka, éd Robert Laffont ; "Le cannabis est-il une drogue ? Petite histoire du chanvre" Michka, éd. Georg ; "Le chanvre, renaissance du cannabis", Michka, éd. Georg.
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