Chaque année, les consommateurs de cannabis sont de plus en plus nombreux à faire leur propre culture à domicile. Pratique parfaitement illégale. En parallèle, des dizaines d’enseignes spécialisées dans la vente de graines de cannabis fleurissent dans les grandes villes et proposent le matériel pour faire pousser « à la maison ». La Justice a décidé de réagir.
Source : Le télégramme
Pour mettre fin à l’activité des « growshops », ces échoppes où s’achètent graines et matériel pour les faire pousser, la Justice bretonne s’est engagée dans une partie d’échecs serrée. Visées : trois succursales du Jardin de poche dont les gérants de Lorient, de Rennes et de Guingamp (22) ont été mis en examen en 2004. Les premiers procès sont prévus ce mois-ci, à Lorient. Les chefs de mises en examen sont notifiés : « Acquisition, transport, provocation, usage de produits stupéfiants et incitation. Et celui de Guingamp est aussi poursuivi pour conseil », détaille, aujourd’hui, Philippe Coindeau, vice-procureur au parquet de Lorient. Il précise : « Parmi toutes les procédures qui étaient présentées devant le tribunal, le nom du Jardin de poche revenait avec insistance ». Au cours des perquisitions, des graines de cannabis avec de multiples variétés, ainsi que des catalogues présentant les diverses graines et les performances des produits auraient été saisis.
Strict cadre légal
La partie n’est sans doute pas gagnée d’avance pour le parquet car, jusqu’ici, les gérants ont toujours évité d’être pris au piège du hors-jeu en restant dans le strict cadre légal : « Au regard de la loi, le matériel que nous vendons peut aussi servir à faire pousser des géraniums », annonce Arnaud Debouté, salarié, actionnaire, fondateur du Jardin de poche et... président de la fédération des Collectifs d’informations et de recherche cannabique (Circ). Une double casquette qui le place en première ligne pour se défendre.
« Jusqu’à 20 ans »
Philippe Coindeau annonce la couleur : « Le fait de cultiver est un crime. C’est passible de 20 ans d’emprisonnement et 7,5 M€ d’amendes selon l’article 222.35 du code civil ». Dans les faits, les tribunaux ne confondent pas l’étudiant en botanique avec Pablo Escobar, mais l’indulgence n’a pas cours : « L’argument qui dit que l’autoproduction aide à ne pas enrichir les mafias ne tient pas la route. On s’aperçoit que quand on cultive son cannabis, on alimente son réseau et enfin, on en tire du revenu ». Ce à quoi Arnaud Debouté rétorque : « Je n’ai jamais vendu de stupéfiants, cela ne me concerne pas. Quant à fermer les "growshops", demain la jardinerie et l’animalerie prendront le relais ». Le président du Circ explique : « Les produits nécessaires à la culture du cannabis sont largement présents, graines comprises, dans n’importe quelle jardinerie plus traditionnelle ». Pour Philippe Coindeau, c’est « une vraie fausse ambiguïté. A 150 € les graines, ce sont des oiseaux choyés ». Le magistrat refuse de rester dans le domaine de la provocation et entend appeler les gérants sur d’autres terrains.
Graines légales et illégales
Pas si évident : la classification des graines en produits stupéfiants pose problème à la Justice. Seule la plante est, en effet, considérée comme stupéfiant. « Mais il existe un arrêté, celui du 24 février 2004, concernant non seulement les plantes mais aussi les graines, qui prévoit, de manière limitante, les variétés autorisées sur le territoire », explique le vice-procureur. « Certaines variétés sont autorisées, mais avec un taux de THC qui ne doit pas être supérieur à 0,2 % ». Arnaud Debouté ne s’effraie pas. « Le règlement de conditions d’importation des graines de chanvre pour les oiseaux n’est respecté par personne au su des résultats que peuvent donner des graines vendues en grandes surfaces pour les oiseaux », affirme l’homme, qui dit cependant mesureer le danger : « Pour moi, le conseil, la distribution d’information relèvent de l’incitation à l’usage et en conséquence, peuvent être punis de dix ans de prison ferme. De quoi fermer l’expression sur un sujet aussi partagé ». Pour l’instant, et jusqu’à l’ouverture du procès qui pourrait faire jurisprudence, le débat reste ouvert.
Floraison de "growshops"
Ils sont des milliers en France et en Bretagne à être devenus accros au jardinage d’intérieur. L’autoproduction explose. Un nouveau marché émerge : une quinzaine de boutiques dédiées à la culture à domicile sont apparues en Bretagne depuis six ans (près de trois cents en France).
Si peu de ces points de vente, ces « growshops », sont ouvertement militants pour la légalisation du cannabis, leur activité commerciale ne laisse pas beaucoup de place à l’ambiguïté. On y trouve et on y vend la parfaite panoplie du cultivateur en peignoir (solutions hydroponiques, lampes à sodium, engrais spéciaux et des bacs d’intérieur). Rien d’illégal. Même pour des graines en vente sur internet et répertoriées dans des catalogues - de 15 € la graine à beaucoup plus (*) -. Des graines de cannabis qui se vendaient jusqu’ici comme nourriture à oiseaux, le plus légalement du monde, « en indiquant seulement qu’il ne faut pas les faire germer », précise Arnaud Debouté, fondateur du Jardin de poche, l’une des enseignes aujourd’hui mises en examen...
Les procédures se multiplient
Outre les trois succursales du Jardin de poche de Lorient, Guingamp et Rennes mises en examen, une quatrième boutique militante, le Barracanna de Rennes, a été fermée. La chaîne THC (Laval, Angers, Le Mans...) a également été inquiétée et condamnée pour incitation. A Montpellier, le magasin Mauvaise Graine a déposé plainte devant la Cour européenne, après avoir épuisé tous les recours en France. Il existe aussi des « growshops » à Brest, Quimper, Saint-Brieuc, cinq dans la seule ville de Rennes... Pour l’instant, seuls Le Jardin de poche et Barracanna ont été mis en examen. * Exemple : 50 € le skunk ou les graines nirvanna à 15 € (white rino).