Chaque fois que le débat sur le cannabis surgit sur la scène publique française, la politique lui coupe l’herbe sous le pied. Mais les choses changent. Ou vont peut-être changer. Alors que la campagne électorale pour 2017 se profile, quatre candidats ont déjà exprimé leur malaise vis-à-vis de la législation actuelle sur le cannabis. Certains vont même jusqu’à proposer sa légalisation. Mais de quoi parle-t-on au juste ?
Une campagne en dessin pour la promotion aux États-Unis du cannabis à usage thérapeutique.
Entre prohibition et légalisation, un éventail de possibilités
La loi française est l’une des plus prohibitionnistes en Europe. Celle-ci condamne en effet la production et le trafic de stupéfiants, mais aussi leur usage illicite. La consommation de cannabis est donc une infraction pénale, plus précisément un délit. Et lors des débats sur la substance, c’est cette catégorisation qui est le plus souvent remise en cause.
Depuis un an, le principe de « contraventionnalisation » gagne en popularité. Terme similaire à celui de décriminalisation, l’idée est de remplacer la peine de prison par une amende, en réduisant la gravité de l’infraction, mais en maintenant son interdiction pénale. C’est ce que prône le décret autorisant la transaction pénale d’octobre 2015. Une idée qu’on retrouve dans les conclusions d’un rapport interministériel sur la question du traitement juridique du cannabis. Le but de ces modifications est de désengorger le système judiciaire sans aller jusqu’à une dépénalisation ou suppression de la peine, qui ne jouerait pas le rôle dissuasif voulu par la législation actuelle.
À l’inverse, en sortant l’usage du cannabis du cadre pénal, la légalisation enlèverait les interdictions qui pèsent sur la substance. Mais légalisation ne signifie pas nécessairement libéralisation, laquelle se traduirait par l’ouverture du marché à la concurrence. Tout en légalisant le cannabis, l’État peut garder un contrôle sur la production, la distribution et/ou l’usage.
Les opposants à toute modification soutiennent que la dangerosité du produit justifie son interdiction et que toute évolution de la législation entraînerait une augmentation de la consommation. Nous allons à présent détailler les arguments qui contredisent ces idées sans pour autant inciter à la consommation de cannabis, fait qui constituerait également une infraction.
Réprimer : coûteux, hypocrite et inefficace
La loi de 1970 sur les stupéfiants a pour objectif la baisse de la consommation de ces substances. Or, au regard de cet objectif primaire, la répression n’est pas efficace. Le cannabis est la substance illicite la plus consommée en France : 4,6 millions d’usagers durant l’année 2014, dont 1,4 million considérés comme réguliers. Les jeunes Français sont les plus grands consommateurs en Europe et l’herbe est plus disponible qu’avant.
Alors que plus de la moitié des Français continue à considérer le cannabis comme dangereux, le signal moral qu’on prétend envoyer aux jeunes aujourd’hui ne fonctionne pas. De plus, les cas de dépénalisation, comme au Portugal, et de légalisation, comme au Colorado (Etats-Unis), n’ont pas été suivis d’une augmentation de la consommation.
De plus, la répression policière envers les consommateurs en France continue à être la plus draconienne d’Europe, alors que le système juridique ne suit pas. Depuis l’instauration de l’interdiction des stupéfiants en 1970, cinq circulaires ministérielles ont assoupli l’application de la loi pour ce qui concerne l’usage du cannabis, et aujourd’hui, la grande majorité des cas se soldent par de simples rappels à la loi ou avertissements. Cette ambiguïté révèle à la fois l’hypocrisie qui règne au sein du système policier (qui doit « faire du chiffre ») et un gaspillage des finances publiques.
Car la lutte contre le cannabis coûte cher. Alors que le marché du cannabis est estimé à plus de 1,1 milliard d’euros, l’État dépense environ 1,7 milliard en prévention, répression et soins. Ces sommes astronomiques représentent un double coût pour la collectivité : outre la facture publique, les grands bénéfices de la drogue sont accaparés par des réseaux criminels, qui acquièrent un potentiel déstabilisateur par la corruption et la violence, en France et ailleurs dans le monde.
De plus, il est aujourd’hui avéré que tous les usagers de cannabis ne sont pas des consommateurs à risque. À la différence de ce que laisse penser l’application de la loi, la simple récidive n’est pas synonyme de consommation problématique.
S’il y a 4,6 millions d’usagers de cannabis, il n’y a pas autant de toxicomanes. Le cannabis n’est pas le produit le plus dangereux et il cause très peu de morts. Mais son usage peut s’avérer dangereux et une consommation précoce, régulière, prolongée et/ou à des fortes doses peut provoquer des troubles cognitifs, psychologiques, voire psychiques.
Des risques pour la santé et la cohésion sociale
Toute dangerosité doit être prise en compte par les politiques publiques. Mais quand on parle du cannabis, la nocivité de la substance semble augmenter avec la prohibition. D’une part, la qualité de la substance n’est pas contrôlable sur le marché noir, et le cannabis qu’on trouve en France est de plus en plus accessible et dosé en THC, essence psychoactive qui peut avoir des effets secondaires non désirés.
De plus, en voulant imiter la substance, des nombreux « cannabis de synthèse » ont été créés, provoquant des effets très nocifs pour la santé et allant jusqu’à produire des surdoses. À l’inverse, la recherche sur les possibles effets médicaux et thérapeutiques de la substance, qui n’est pas interdite par la loi, a longtemps été marginalisée.
Ainsi, le climat d’interdiction en France provoque-t-il une augmentation des dommages potentiels liés à la consommation de cannabis. La raison d’être des politiques de réduction des risques est de chercher à prévenir et détecter les usages problématiques sans nécessairement interdire la consommation. Hélas, la prévention intelligente est impossible en France. Or, comme l’affirme un avis du Conseil économique, social et environnemental, « il est indispensable de lever la stigmatisation qui pèse encore sur les addictions afin que les personnes demandent davantage d’aide et de soutien ».
On entend souvent dire que la prohibition serait un moyen de « contrôler » les banlieues. Mais cet argument est (au mieux) doublement immoral. Premièrement, il suggère qu’on peut délaisser une partie de la population, et lui permettre d’utiliser le trafic illégal des stupéfiants pour pallier la rupture du lien social et l’exclusion économique.
Deuxièmement, il traduit l’idée que l’État appliquerait la loi de manière discriminatoire, voire raciste, sur une partie de la population. Il s’avère que cette hypothèse est de plus en plus tangible avec l’homogénéisation des profils des usagers interpellés et condamnés, plus jeunes par rapport aux condamnés dans l’ensemble des délits, et qu’on peut supposer, en raison d’un contrôle au faciès avéré qui n’est pas évalué statistiquement, avec des traits physiques particuliers.
Finalement, il est regrettable de ne pas considérer la réalité de la légalisation du cannabis ailleurs dans le monde. Après les États du Colorado et de Washington aux États-Unis (en 2012), nombreux sont les pays où la légalisation du cannabis est mise à l’agenda. L’Uruguay a franchi le pas en 2013 et des discussions sont en cours au Canada, en Italie et dans d’autres États américains… La question qui se pose n’est plus de savoir pourquoi, mais comment légaliser.
Quel modèle de légalisation à la française ?
Nombreux sont les modèles de légalisation du cannabis disponibles dans le monde. Or, d’après les expériences actuelles, il s’avère que la légalisation dans un cadre concurrentiel stimule le développement d’une industrie où le chiffre d’affaires serait l’objectif et qui développerait par conséquent, un marketing incitatif à la consommation. Ce type de légalisation est, bien entendu, impossible à mettre en place dans le contexte français.
Pour diminuer les dommages sociaux et sanitaires, une régulation stricte des marchés semble s’imposer. Un modèle fort permettrait d’envisager une légalisation avec des restrictions de production, de vente et de consommation, dans les lieux publics et de travail par exemple. En France, il pourrait se rapprocher des modèles de régulation des ventes de tabac ou de celui des jeux en ligne, dont trois caractéristiques permettraient d’assurer le succès.
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L’État doit rester un acteur fort dans la régulation. L’autorité étatique doit définir et contrôler les règles de production, de distribution et d’accessibilité, l’âge légal de la consommation, le prix de vente et sa taxation, les dosages des produits, et surveiller la qualité de la substance. De plus, la réglementation peut interdire toute publicité et obliger les acteurs du secteur à développer des campagnes de prévention fortes.
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Le modèle doit pouvoir évoluer avec le temps. Tel que le développe un rapport du think tank Terra Nova, il semble important qu’il s’adapte en fonction des avancés du processus de légalisation. Par exemple, le prix de vente devrait être fixé au niveau de celui du marché noir afin d’attirer les consommateurs vers la légalité, puis, il devrait augmenter par des taxes dont l’objectif serait de décourager la consommation. Un tel processus a été suivi après la fin de la Prohibition de l’alcool aux États-Unis. La flexibilité du modèle ne doit pas être considérée comme un signe de faiblesse, mais comme un potentiel d’adaptation de la politique suite à son évaluation.
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Dans le paradigme économique actuel, la politique de régulation doit pouvoir satisfaire ses propres besoins. De nombreux articles soulignent les avantages économiques de la légalisation, notamment à la lumière de l’excédent budgétaire généré par les taxes du cannabis au Colorado. Cependant, il ne faudrait pas penser que la légalisation du cannabis puisse combler le trou de la Sécurité sociale. Le but de la politique doit rester le contrôle de la consommation et l’argent collecté grâce à la légalisation doit servir à développer des campagnes de prévention, prendre en charge les consommateurs problématiques, lutter contre les trafics illicites et améliorer le système de régulation. La politique publique doit pouvoir répondre à l’ensemble des enjeux du secteur.
Finalement, le modèle de régulation par l’État peut permettre la production de cannabis pour un usage personnel et des modèles de régulation citoyenne comme les Cannabis Social Clubs d’Espagne. Ces structures, qui doivent être également contrôlées, permettraient la création d’environnements sûrs de consommation et – pourquoi pas ? – renforceraient le lien social grâce à l’engagement associatif.
En guise de conclusion, il reste à poser la question du quand légaliser. Le plus tôt serait le mieux. Ce sont les États-Unis qui ont encouragé la diabolisation du cannabis dans le monde. Or avec la légalisation instaurée dans plusieurs États outre-Atlantique, le monde globalisé et une industrie américaine placée à l’avant-garde, un cannabis « Made in USA » sera disponible et adulé sur le marché au moment de l’inévitable légalisation en France.
Auteur
Luis Rivera Velez Doctorant sur la politique des drogues en Amérique latine, Sciences Po – USPC
Source: theconversation.com
Déclaration d’intérêts
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