Ce n'est pas une première, mais c'est courageux de le rappeler dans un débat où il n'y a politiquement rien à gagner et que des coups à prendre. Dans une interview au Parisien, l'ancien ministre socialiste de l'Intérieur Daniel Vaillant se prononce sans ambiguïté pour la légalisation de la consommation de cannabis.
Source: Rue89
Et le PS lui emboîte le pas par la voix de sa responsable des questions de société, Najat Belkacem, interrogée par Rue89.
« Autant prendre acte de l'échec total du système prohibitionniste et répressif pour ce qui concerne le cannabis, et se mettre au travail pour que notre société propose un autre équilibre entre ce qui est autorisé ou pas. La tolérance zéro pour le cannabis est une façon bien pratique de se décharger de ses responsabilités sur le reste. […]
Quand un jeune sur deux fume du cannabis, on peut dire que ça ne va pas. Réglementer sa production, sa vente et sa consommation permettrait sans doute de contrôler un peu mieux la situation. »
« Aucun habitant n'est venu se plaindre des consommateurs de cannabis »
Interrogé à propos de la récente campagne du gouvernement contre les drogues, le maire du XVIIIe arrondissement avait dans un premier temps tenu à distinguer le cannabis, dont les jeunes Français sont les plus gros consommateurs européens, de drogues plus dures :
« Dans le vaste problème que pose la drogue, il y a la question du cannabis. Ce produit est interdit, et pourtant sa consommation explose ; aujourd'hui, un jeune sur deux a déjà fumé du cannabis. Cette croissance s'accompagne d'une aggravation des trafics et de la criminalité.
Aujourd'hui, je dis : “Ne faudrait-il pas prendre le pari de légaliser la consommation personnelle de cannabis à travers un contrôle de la production et de l'importation, comme c'est le cas avec l'alcool” ? »
Et d'enfoncer le clou tout en coupant court à tout soupçon d'angélisme :
« Depuis que je suis maire du XVIIIe arrondissement, aucun habitant n'est venu se plaindre des consommateurs de cannabis. Mais du crack, oui. Est-ce que le cannabis est dangereux ? Oui. Est-ce ça touche la santé ? Bien sûr. Le sommeil, les réflexes en prennent un coup, la capacité à travailler, être éveillé, suivre des études, sûrement. Je ne joue pas l'ignorant, mais est-ce bien différent de l'alcool ? »
Concrètement, l'ancien ministre de Lionel Jospin propose que l'approvisionnement à l'étranger soit contrôlé par l'Etat et qu'une fillière de production voit le jour en France, « comme pour l'alcool et le tabac ». Une système qui éviterait « les produits frelatés, les économies souterraines et la vente interdite aux mineurs ».
Un précédent en 2003
Pour Jean-Marc Priez, de l'Association française de réduction des risques :
« Même si la proposition du ministre pose un certain nombre de questions quant à sa mise place, il est bon d'entendre un homme politique dire aujourd'hui ce que tout le monde sait depuis vingt ans : la politique de prohibition est un échec. »
Les déclarations de Daniel Vaillant -qui avait déjà défendu cette proposition dans une tribune à Libération datée de novembre 2003- et de Najat Belkacem sont d'autant plus courageuses que le Parti socialiste était plutôt en recul sur cette question ces dernières années, comme le regrettait en 2006 Eric Labbé, d'Act Up, à propos du projet socialiste pour la présidentielle :
« Beaucoup de militants de la réduction des risques (liés aux drogues) se sont mobilisés pour faire évoluer le PS. Et l'on aboutit à des propositions fades et pleutres. Ils ne nous ont pas écoutés. »
Appelant à un bien commode « grand débat public » sur la question, Ségolène Royal, dans une lettre adressée à l'association antiprohibitionniste Circ, appelait de ses voeux une « action publique de prévention plus efficace pour lutter contre toutes les formes de toxicomanie »… Esquivant largement la question, elle rappelait tout de même :
« Renforcer les interdictions et, surtout, alourdir les peines ne permettra pas de diminuer l'accessibilité et la consommation de drogues. »
Totalement inacceptable pour l'UMP
Ce qui ne semble pas de l'avis de l'UMP. Sans surprise, Eric Ciotti, secrétaire national de l'UMP à la sécurité, a ainsi jugé la proposition de Daniel Vaillant « totalement inacceptable », illustration du « laxisme prôné par le Parti socialiste ». Et d'en profiter pour entonner l'une des rengaines préférées de son parti en la matière :
L'UMP est « fermement opposée à toute tentative de légalisation du cannabis ou des drogues dites douces qui conduisent inexorablement à l'usage de drogues de type cocaïne ou ecstasy ».
Rappelons que plus de 100 000 personnes sont arrêtées chaque année pour simple consommation de cannabis, une infraction que la France est l'un des derniers pays européennes à punir d'une peine de prison. Ce qui ne nous empêche pas d'être l'un des pays où l'on fume le plus…
Par Arnaud Aubron