Interview - Communiste, Stéphane Gatignon, 40 ans, est maire de Sevran (Seine-Saint-Denis).
Source: Libération
Pourquoi défendez-vous la dépénalisation des drogues douces ?
Le marché des drogues douces concerne près de quatre millions de personnes en France et il ne cesse de croître. Les sommes brassées par le trafic sont colossales et font vivre des quartiers entiers. Quant aux dealers, ils sont de plus en plus organisés. On n’a pas affaire à de petits trafiquants, mais à de véritables réseaux. Je pense qu’il faut en finir avec la situation hypocrite dans laquelle nous sommes où, sous couvert de prohibition, on a une dépénalisation de fait. Aujourd’hui, à moins de se promener avec de grosses quantités, on ne risque presque rien. Les dealers le savent et en jouent, rendant le travail de la police très compliqué.
Pourquoi ne pas préférer une répression accrue ?
Je ne crois pas qu’on s’en sortirait, étant donné le nombre de consommateurs et l’ampleur des réseaux. Mais si le cannabis doit rester interdit, il faut un durcissement des sanctions. Cet entre-deux absurde n’est plus tenable. La dépénalisation est à mon sens le moyen le plus efficace pour casser le trafic et mettre en place une réelle politique de prévention, qui n’existe pas à l’heure actuelle. Je ne suis pas angélique et j’ai conscience que le cannabis pose un vrai problème de santé publique, je pense aux accidents de la route, notamment. Pour y faire face, il faut encadrer la production et la consommation.
Quel regard portez-vous sur les expériences étrangères, là où le cannabis a été dépénalisé ou légalisé ?
A ma connaissance, il n’y a pas eu d’augmentation de la consommation en Espagne ou aux Pays-Bas. Le système espagnol ne me semble pas mauvais, les gens consomment ce qu’ils produisent. Evidemment, d’autres problèmes se posent, notamment celui du tourisme lié au cannabis, comme aux Pays-Bas. Je ne sais pas si une dépénalisation est préférable à une légalisation, mais la question mérite un débat public de fond. La priorité reste, à mes yeux, de sortir de la prohibition et, à terme, de faire baisser le nombre de consommateurs.
Ne craignez-vous pas un déplacement des trafics ?
Si nous parvenons à saper le business du cannabis, il y a en effet un risque de déstabilisation de l’économie locale d’autant plus grand que la situation sociale des quartiers où prospèrent les trafics est souvent difficile. Il n’est donc pas impossible que les trafiquants se tournent vers d’autres produits. On estime par exemple à 250 000 le nombre de consommateurs de cocaïne. Ce ne sont pas les mêmes proportions et je ne crois pas qu’un trafic de la même ampleur que celui du cannabis puisse voire le jour, même s’il faut rester vigilant.
Par MARWAN CHAHINE