Prenant en compte des justificatifs médicaux, l'avis étonnamment compréhensif des douaniers et du procureur, les juges sont tombés d'accord, le 13 avril dernier, pour relaxer "Jako". Ce malade du sida était pourtant coupable de consommation, contrebande, transport et détention de 415 g d'herbe. Dame justice commencerait-elle, l'air de rien, à reconnaitre l'usage thérapeutique du cannabis ?
A ce rythme là, les tribunaux risquent de devancer le législateur en matière de cannabis médical. La semaine dernière, un homme était condamné par le tribunal correctionnel de Strasbourg pour avoir cultivé des plants de cannabis. Atteint d'une sclérose en plaque, le coupable a été dispensé de peine. "Dans ce dossier, il faut faire preuve d'humanité", compatissait alors le procureur.
Le 13 avril, une affaire encore plus significative est passée inaperçue au tribunal de Bourges. Prévenu des chefs de consommation, contrebande et transport de 415 g de cannabis, Jean-Jacques Simon dit "Jako", a carrément été relaxé. Malade du sida depuis 1982 subissant sa onzième trithérapie, les juges ont estimé texto que ses "douleurs intolérables (…) ne peuvent être calmées que par la consommation de cannabis".
"Bonne efficacité de l'utilisation du cannabis"
En voiture côté passager, le 10 janvier dernier, Jako rentre avec un ami d'un petit tour dans le Sud-Ouest. Il vient de récolter "comme d'habitude" de quoi alimenter sa consommation personnelle de cannabis. Un petit imprévu se présente au péage de Vierzon. Les deux compères sont arrêtés par des douaniers. Il ne leur faut pas longtemps pour trouver, dans la trousse de toilette, les 415 grammes "d'herbe de cannabis".
S'en suit une garde à vue de huit heures, écourtée par un passage à l'hôpital. L'homme est grand et fin, les traits du visage tirés jusqu'à dessiner des rides qui s'animent à chaque envolée lyrique. Si il n'est pas relâché, Jako menace d'emblée de ne plus prendre sa batterie quotidienne de médicaments.
Jako décide alors de revendiquer l'utilisation médicale du cannabis comme un droit. Il sollicite son médecin, le docteur Jacques Doll, chef de service du centre hospitalier de Versailles, qui le suit depuis juin 1989. Le spécialiste accepte de lui rédiger un certificat relativement clair : "Il (Jako) a constaté une bonne efficacité de l'utilisation du cannabis dont les vertus thérapeutiques sont connues, utilisation dont il m'a fait part. Je n'ai pas interdit médicalement cette utilisation dans la mesure où elle est efficace, bien tolérée, et améliorant sa qualité de vie."
Douanier, procureur et juges compréhensifs
Une évidence, pour l'intéressé et son praticien, étonnamment partagée par tous les acteurs de la chaîne pénale rencontrés. Le 13 avril, lors du procès de Jako au tribunal correctionnel de Bourges, même le douanier a été sensible à son cas.
Le procureur et les juges se sont montrés encore plus compréhensifs. Utilisant en clé de voute de leur démonstration juridique l'article 122-2 du code pénal - que Jako a floqué depuis sur un tee-shirt - ils ont considéré que "n'est pas responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force majeure ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pas pu résister".
Plus explicite, le jugement précise "il ressort des justificatifs médicaux ( …) que les douleurs intolérables qu'il doit supporter de manière permanente (…) ne peuvent être calmées que par la consommation de cannabis". C'est la relaxe. Pour des faits similaires en 2010, deux hommes récidivistes avaient été condamnés à 1 ans de prison.
Dans son élan, Jako a même tenté - sans succès - de récupérer auprès des douanes ses 415 g d'herbe. L'Allemagne, l'Italie, la Finlande, le Canada, Israël, la république Tchèque et une quinzaine d'Etats américains permettent déjà des exceptions pour ce type d'usage médical. Prenant en exemple les malades atteints du sida, le récent rapport sur la légalisation contrôlée du cannabis du socialiste Daniel Vaillant, ex-ministre de l'Intérieur, fait de l'usage thérapeutique une priorité à part entière.
Les rapporteurs rappellent que "les patients français subissent malheureusement une sorte de double peine, la criminalisation de l'usage thérapeutique s'ajoutant aux souffrances liées à leur maladie." Les juges français semblent avoir entendu le message.
Geoffrey Le Guilcher