Monsieur Apaire, avez-vous conscience de votre aveu quand, dans votre interview à Rue89 du 16 avril, vous déclarez :
« L'Observatoire des drogues n'est pas indépendant ! Je voudrais que ce soit bien clair : c'est un opérateur de la Mildt, de l'Etat. Il est au service des décideurs, des politiques. Et son directeur est un fonctionnaire, avec un droit de réserve. »
Est-ce de faire avaler aux Français des couleuvres toujours plus énormes qui vous a amené à croire que tout passait ? Ou d'être le porte-voix d'une politique si absurde qui vous a fait définitivement divorcer d'avec la logique ? Ou alors, vous êtes vraiment aussi incompétent que vos discours simplistes le laissaient croire.
Qu'importe la raison : merci d'avoir enfin confessé que l'Etat truquait les chiffres et l'opinion. Mais pour que chacun puisse prendre la mesure de votre déclaration, vous le premier peut-être, je rappelle quelques faits.
Médicaments et alcool, également dangereux et addictifs
Le mot « stupéfiant » recouvre des substances diverses, souvent sans rapport entre elles. Si l'héroïne présente un fort potentiel d'addiction, le LSD en est totalement dépourvu et c'est leur moindre différence. De nombreux stupéfiants perçus chez nous comme les pires pestes ont été pendant des millénaires vecteurs de progrès et de cohésion dans les sociétés qui ont su les ritualiser, c'est toujours le cas de certains tel l'ayahuasca, patrimoine national au Pérou.
Dans le même temps, un certain nombre de produits pharmaceutiques légaux sont plus dangereux et addictifs que beaucoup de stupéfiants, comme nombre d'anxiolytiques et d'antidépresseurs. La France détient le record européen de leur consommation.
Sans oublier l'alcool, premier fléau sanitaire et social de notre pays depuis des siècles et pour encore longtemps.
Pourtant, depuis la loi de 1970, une catégorie unique, « stupéfiant », dresse une frontière des plus arbitraires entre ces différents produits et met absurdement dans le même sac des effets, des dangers et des possibilités extrêmement diverses. Au point qu'en France on ne dit même plus « les drogues », mais « la drogue ».
Une loi inefficace et liberticide
Bancale, liberticide du seul fait qu'il est illégal de la mettre en doute, la loi de 70 est surtout inefficace. La prohibition des drogues, comme celle de l'alcool dans les années 20, n'a pas eu les effets escomptés. Pire que ne régler aucun problème, elle les a tous amplifiés.
Des mafias se sont constituées, consolidées et endurcies, le trafic a généré sans cesse plus de morts, de vies brisées, d'argent sale. Ce seul argent sale, 500 milliards de dollars par an qui arment les terroristes du globe, cette somme astronomique qui n'est que danger pour les démocraties, est une conséquence directe de la prohibition. Nos banlieues en font les frais.
C'est une raison suffisante pour lever la prohibition. Pouvoir utiliser le potentiel thérapeutique de molécules comme la MDMA ou le LSD en est une autre, faire économiser plus d'un milliard par an à la France une troisième.
La principale raison de mettre un terme à ce non-sens est bien sûr la liberté individuelle, la reconnaissance de cette évidence que chacun a le droit de disposer comme il veut de son corps et de son esprit tant qu'il ne met en danger que lui-même, qu'il ne peut y avoir de crime sans victime. J'ai malheureusement peu d'espoir que cet argument fondamental, qui suffirait dans toute démocratie bien portante, ait la moindre audience dans la France de 2011.
J'ajoute que les effets de bord de la prohibition, ces gâchis et ces horreurs, nous les acceptons pour contenir un problème qui tue moins de 600 Français par an, autant que la noyade, quand l'alcool et le tabac en fauchent 110 000, l'obésité 50 000. L'absurdité est bien pire que ces chiffres puisque la majorité de ces presque 600 morts sont le fait des produits de coupe, de l'hépatite et du VIH dus au partage de seringues : des conséquences de la prohibition encore.
Vous répétez les trois mêmes formules depuis quarante ans
Défendre une politique si absurde et la faire percevoir comme souhaitable – votre travail – semble donc un exercice difficile. Il faut convaincre vos concitoyens de ne pas croire leur yeux et surtout les dissuader de se renseigner par eux-mêmes. L'exercice est en réalité moins ardu que l'énoncé ne le laisse supposer grâce à ce trait si équitablement partagé de l'espèce humaine : la paresse.
Répétez fort les trois mêmes chiffres avec assez d'aplomb, prétendez que c'est tout ce qu'il y a à savoir et la France entière souffle d'aise. Il n'y a qu'à vous croire, aucun information à chercher et une seule chose à retenir : la drogue c'est pas bien, donc c'est interdit. Avec une conclusion d'aspect si profondément logique, vous êtes tranquille, rares sont ceux qui chercheront plus loin.
Une fois ce climat lénifiant installé, plus de problème. Aussi documenté qu'il soit, quiconque tente d'expliquer comme vous malmenez la démocratie est suspect avant d'avoir dit un mot, des spots télévisés et brochures émanant de vos services changent de slogans et de mise en page tous les six mois pour mieux cacher qu'ils répètent les trois mêmes formules depuis quarante ans ; bref, il n'y a plus qu'à faire tourner la baraque. C'est votre tâche depuis 2007 à la tête de la Mildt, d'où vous assénez avec régularité le dogme politique en vigueur.
Mais soyons juste. Vous n'assénez pas tout. Vous citez des chiffres. Ces statistiques de l'OFDT, qui prouvent que vous ne décidez rien qu'au vu de toutes les données disponibles.
Et c'est là que vous vous êtes oublié. Regardez : les chiffres que vous citez n'ont l'air de prouver quelque chose que si vous ne les fabriquez pas. Vous suivez ? Votre sortie au sujet de M. Costes qui quitte ces jours-ci la tête de l'OFDT parce qu'il a eu l'outrecuidance de vouloir publier des chiffres réels plutôt que ceux dont vous aviez besoin, eh bien ! c'est une gaffe.
Les Français étaient censés ignorer que les politiques dictaient les chiffres au lieu de décider d'après eux. Rassurez-vous : peu ont noté votre bourde et ceux-ci l'ont déjà oubliée.
Si les Français se mettaient à penser…
Mais imaginez. Que les gens soient moins bêtes que vous le pensez. Qu'assez d'électeurs comprennent en vous lisant à quel point on leur ment depuis des décennies. Qu'ils se demandent ce que disent vraiment les chiffres. Ils iraient fouiller sur Internet où l'information circule malheureusement encore, des choses gênantes pour votre crédibilité comme les très bons résultats de la dépénalisation depuis 2001 au Portugal.
Ou ils liraient, le printemps a été riches d'ouvrages sur le sujet. A la trentième page lue ou consultée, ils en savent plus que vous sur ce qui est censé être votre travail et se mettent à penser…
Mais laissons-les penser ce qu'ils veulent. Ça va vous paraître mystérieux à vous qui faites le contraire à longueur d'année, mais je ne veux penser à la place de personne. Je veux qu'une information exhaustive et honnête soit à la disposition de tous. C'est une condition de la démocratie. Parce qu'il me semble que sans véritable information, la liberté de penser a aussi peu de sens que le droit de vote avec un parti unique.
Au passage : le directeur de l'OFDT, nous rappelez-vous, est un fonctionnaire. Vous aussi monsieur Apaire. Vous êtes un employé du peuple de ce pays. Pas du président de la République ou du Premier ministre. C'est aux Français que vous devez des comptes. Et à ce titre j'aimerais débattre avec vous, à l'antenne de tout média qui vous siéra, de ces agissements qui me semblent avoir très peu de rapport avec l'intérêt commun.
Avec l'espoir d'un débat sans pitié mais sans haine, je vous souhaite, monsieur Apaire, de connaître un peu mieux votre travail avant notre rencontre.
Par Tom Verdier