Voilà qui pourrait donner des sueurs froides au prochain locataire de la Maison-Blanche. En quinze jours, ce ne sont pas moins de trois dirigeants latino-américains qui se sont prononcés pour une forme ou une autre de dépénalisation de la consommation de drogues. Et pas seulement de cannabis.
Source : Rue89
Contre toute attente, c'est le Mexicain Felipe Calderon qui a ouvert le bal le 1er octobre. Lancé, avec le soutien des Etats-Unis, dans une guerre sanglante contre les cartels de la cocaïne, Calderon a proposé de dépénaliser l'usage de tous les stupéfiants (herbe, cocaïne, héroïne et méthamphétamine).
Concrètement, toute personne qui serait trouvée en possession de petites quantités de drogues (0,5 g de cocaïne ou 2 g de marijuana) et accepterait un traitement en conséquence, ne serait pas inquiétée par les autorités. En cas de refus, les récalcitrants se verraient infliger de simples amendes. Certes, on est encore loin de la dose en vente libre en pharmacie, mais considérant d'où l'on vient, le pas est énorme. Il est pourtant passé totalement inaperçu.
Sa justification est pourtant simple : les bureaux du procureur général sont tellement débordés par leur lutte contre les grands cartels qu'ils n'ont plus le temps de s'occuper de simples consommateurs dont le nombre explose. Selon une récente étude du gouvernement, le pays compterait aujourd'hui 300 000 accros aux différentes drogues.
Une mesure similaire avait été proposée au Congrès mexicain il y a deux ans, mais était finalement restée lettre morte, entre autre en raison des pressions de Washington.
Une porte de sortie expérimentée en Colombie dans les années 90
Ce n'est pas la première fois que, face à l'ampleur des violences liées au trafic de stupéfiants, un pays se laisse tenter par la dépénalisation de la consommation afin de se concentrer sur les gros poissons. Au milieu des années 90, la Colombie des cartels de Medellin et Cali avait ainsi décidé de dépénaliser la possession de petites quantités de drogues (1g de cocaïne par exemple). Expérience qui tourna court, là encore en partie face aux pressions de Washington.
Mais cette fois, l'initiative semble prendre de l'ampleur. Quelques jours après la déclaration de Calderon, à Mexico toujours, le secrétaire général de l'OEA (l'Organisation des Etats américains), le Chilien José Miguel Insulza, a semblé rebondir sur la proposition devant un parterre de ministres américains en charge de la sécurité, dans un langage toutefois plus diplomatique:
« Quand une politique (la répression, ndlr) n'a finalement pas eu de résultats en vingt-cinq ou trente ans, il faut la réviser, l'ajuster. Je ne sais pas dans quelle direction, mais il faut en trouver une. »
Le président du Honduras, Manuel Zelaya, est quant à lui allé beaucoup plus loin lundi, devant les responsables de la lutte antidrogues de trente-deux pays d'Amérique latine réunis à Tegucigalpa :
« Les trafics d'armes, de drogues et de personnes (...) sont des fléaux internationaux aux trames économiques très fortes, et nous empêchent de leur apporter les ripostes efficaces dont nous disposerions dans une situation normale de légalité. »
Et d'expliquer ensuite que les consommateurs doivent être considérés « comme des malades »:
« Plutôt que de poursuivre et de tuer les trafiquants, nous pourrions alors investir les ressources que nous y consacrons à l'éducation et la formation. »
La région la plus violente du monde
Si l'on ajoute à ce panorama que la Bolivie a élu fin 2005 Evo Morales, un Indien ayamara, ancien responsable du syndicat des cocaleros, les planteurs de coca; que les présidents équatorien et vénézuélien s'opposent de plus en plus frontalement à la « guerre totale » à la drogue que Washington entend mener en Amérique latine, il semble bien que le vent est en train de tourner dans le sous-continent.
La violence endémique qui y sévit, notamment en lien avec le narcotrafic, n'est peut-être pas pour rien dans cette succession de prises de position. L'Amérique latine détiendrait en effet le record mondial du pourcentage d'homicides : environ 100 000 meurtres par an, soit cinq fois plus en moyenne que sur le reste de la planète.
Reste un obstacle juridique de taille sur le chemin de cette dépénalisation : les conventions de l'ONU interdisent toute expérience de ce type. Et un obstacle politique peut-être plus important encore: pas sûr que Washington regarde ses voisins dépénaliser sans rien dire, alors que les Etats-Unis dépensent chaque année des milliards de dollars pour les « aider » à lutter contre un trafic qui alimente avant tout leur marché intérieur. A moins que l'élection d'un candidat qui a goûté de la cocaïne ne change la donne à la Maison-Blanche.