Depuis plus d’un an, magistrats et policiers se sont accordés pour mettre la pédale douce sur les fumeurs de pétards. Un document que nous publions révèle que la solution inventée consiste à changer une garde à vue en audition “volontaire”.
“Il y a tant de mères qui élèvent seules leurs enfants, tant de parents qui ont du mal avec leurs adolescents tentés par la drogue, si la société envoie le message que fumer, se droguer, ce n’est pas un problème, que peut dire la famille, que peuvent dire les parents ? “, s’indigne sans sourciller Nicolas Sarkozy. A deux semaines du second tour de la présidentielle, l’encore candidat-président de la République réagit ainsi à une suggestion de François Rebsamen. Lors d’un meeting électoral à Dijon, l’ex monsieur-sécurité-de-Hollande a eu le malheur de proposer la transformation du délit de consommation de cannabis en simple contravention. “Irresponsable“, tonne alors Nicolas Sarkozy dans un micro d’Europe1.
Un petit hic entache cette indignation spontanée. Un document, que nous nous sommes procuré, indique que le parquet de Paris – soumis à l’exécutif – avait discrètement conseillé, depuis plus d’un an, d’éviter le placement en garde à vue (GAV) des fumeurs de joint. Récit d’une petite combine judiciaro-policière qui, de facto, ne fait plus de la fumette un véritable délit.
Interpellation volontaire
Mars 2012, porte d’Orléans, la luminosité de 21h oscille entre chien et loup. Bik*, jeune homme de 26 ans à l’oeil vif, débarque du côté de son plan dit “des pointeuses de Montrouge“, le long du stade Elisabeth. Comme à l’accoutumée, il achète “un vingt euros de teuteu (résine de cannabis)“. La barrette en poche, il repasse sous le pont du périphérique. Soudain, la brigade anti-criminalité (BAC) surgit et l’interpelle. Direction le commissariat du 114 avenue du Maine. Trois quarts d’heure d’attente et une demi heure d’entretien plus tard, Bik ressort.
Sans le savoir, Bik a paraphé un document mentionnant qu’il a “accepté volontairement” de se rendre au commissariat. Une pirouette juridique soufflée un an plus tôt par Jean-Claude Marin, procureur de Paris.
Le 28 mars 2011, Marin s’est adressé à Christian Flaesch, patron de la police judiciaire (PJ). Dans sa missive intitulée “limitation du recours à la garde à vue lors de la constatation de délits présentant un caractère de gravité modéré“, le procureur souhaite développer les auditions “sans mesure de contrainte“. En guise de consigne, le boss de la PJ a diffusé quelques jours plus tard le document à ses services.
Lettre de Jean-Claude Marin à Christian Flaesch
Le but : faire dégonfler les chiffres des gardes à vue juste avant une petite révolution franco-française. Un mois plus tard, le 15 avril 2011, la Cour de cassation impose la présence d’un avocat pendant la garde à vue. Une décision qui ajoute un nouveau casse-tête : avec un avocat et un médecin à disposition, tous ces gardés à vue aux yeux rouges ne coûteront plus le même prix. Ni le même temps pour des policiers par ailleurs soumis à des réductions d’effectifs.
La “GAV”, french way of life
Pendant le quinquennat sarkozyste, les policiers ont pris la fâcheuse habitude de faire du chiffre. En 2010, un record avait été atteint : environ 800 000 personnes ont été placées en GAV, dont près d’un quart pour usage de stupéfiants. “Sous Sarkozy, le curseur de la politique des chiffres était effectivement placé sur les gardes à vue“, reconnait Patrice Ribero, secrétaire national du syndicat Synergie-officier. Cependant, à l’époque de Daniel Vaillant ou Jean-Pierre Chevènement, il y avait aussi des dérives.“ Un ex-agent de la BAC nous décrit sans ambages la méthode qu’il pratiquait pour remplir ses objectifs de GAV.
Le talon d’Achille du dispositif porte le nom barbare “d’état 4001“. Dans la statistique institutionnelle policière, arrêter un fumeur de shit revient à comptabiliser un “fait constaté” et un “fait élucidé“. Inconvénient : cela entraine une hausse de la délinquance. Avantage : le taux d’élucidation des délits augmente… “Cela trompe la cartographie réelle de la sécurité en France“, conclue un officier de police judiciaire.
Pour pallier le côté chronophage de ces dérives, le procureur de Paris propose de ne plus placer automatiquement en garde à vue les auteurs de certains délits, pourvu que leur identité ait été vérifiée, qu’ils possèdent un “domicile certain” et une absence d’antécédent. Parmi les cinq délits concernés, car présentant “un caractère de gravité modéré“, figurent “les usages de cannabis seul” et “les conduites sous l’influence de cannabis seul“.
Un système pas très éloigné de la contravention
Prévoyant, Jean-Claude Marin précise sa combine pour éviter d’éventuelles “nullité de procédures” qui pourraient venir sanctionner “la retenue d’un individu dans un service de police pendant quelques heures, sans statut juridique, ni possibilité d’exercer aucun droit“. Cet “obstacle“, assure Marin, pourrait être levé simplement. Il suffit de faire signer à l’interpelé un procès verbal indiquant que “la personne a accepté de se rendre volontairement dans les locaux de police“.
Cette idée présente un double intérêt. Officiellement, on ne touche pas au caractère délictuel*** – sensible politiquement – de la consommation de cannabis. En pratique, avec peu de poursuites et moins de garde à vue, le système n’est pas très éloigné de la contravention. Dans les Hauts de Seine, une méthode de “transaction douanière“, sorte d’amende à payer immédiatement, a même été testée.
Mais que se passe-t-il donc si la personne interpellée refuse de se rendre “volontairement” au commissariat ?
Le syndicaliste Patrice Ribero nous répond en toute honnêteté. “Et bien, il lui reste toujours la possibilité d’activer ses droits et de passer 8 à 12 h dans une geôle pourrie en GAV…”
Geoffrey Le Guilcher
* le prénom a été modifié
**Argot ou verlan : ”shiteux” : consommateur et/ou revendeur à la petite semaine, “matos” : resine ou herbe de cannabis,
*** D’après le code pénal : la détention, le transport, l’offre, la cession ou l’acquisition de stupéfiant, est puni d’une peine de prison d’une durée maximale de dix ans ou d’une amende pouvant atteindre 75 000 euros. D’après le code de la santé publique : le simple usage n’est normalement puni que d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 3 750 euros.
Source: Les inrocks