La nouvelle réponse pénale en matière de lutte contre la drogue consistera en une amende de 300 euros. Plus de punition et de prohibition, une position discutable à bien des égards.
Le 3 avril dernier, prenant acte de la faiblesse des résultats de la politique de lutte contre les drogues, la ministre Nicole Belloubet a détaillé devant les députés les dispositions du projet de loi de modernisation de la justice destinées à répondre à la massification de l’usage de stupéfiants en France.
Nourrie de l’espérance qu’une systématisation des sanctions dissuadera les millions de consommateurs, la nouvelle réponse pénale proposée consiste en une « forfaitisation du délit d’usage ». Celle-ci permettra aux forces de l’ordre d’infliger une amende de 300 euros à toute personne ayant fait un usage illicite de drogue, tout en laissant ouverte la possibilité d’une procédure judiciaire donnant lieu à une inscription au casier judiciaire et au prononcé d’une peine de prison.
La drogue et la politique prohibitionniste en échec
Cette mesure s’inscrit dans la continuité d’une politique prohibitionniste répressive menée depuis plusieurs décennies. L’échec de cette approche, dont il est acquis qu’elle a contribué à l’accroissement de la violence criminelle, à l’enrichissement des mafias et au pourrissement du lien social dans les banlieues, explique la réaction défavorable que suscite le projet d’amende forfaitaire délictuelle chez les intervenants en toxicomanie et les associations de défense des consommateurs.
Selon eux, la systématisation de la répression contribuera à éloigner un peu plus du système de santé les centaines de milliers d’usagers problématiques de drogues. Elle apparaît, en outre, bien peu respectueuse du libre arbitre des millions d’usagers récréatifs non toxicodépendants.
Cette critique n’est pas nouvelle, mais elle se trouve aujourd’hui renforcée par deux éléments contextuels qui devraient conduire le gouvernement à réviser sa copie s’il ne veut pas trahir deux credos essentiels du Président Macron : son engagement européen et sa volonté de développer une stratégie industrielle fondée sur l’innovation.
La drogue et le double langage vis-à-vis de l’Union européenne
Qu’on en juge sur le terrain des engagements européens tout d’abord. Le 8 mars dernier, le Conseil de l’Union européenne adoptait des conclusions recommandant le recours à des solutions alternatives à la répression des consommateurs de drogues. Selon les 28 ministres de l’Intérieur de l’Union européenne, dont Gérard Collomb, il convient de favoriser les « solutions de remplacement à l’imposition de sanctions coercitives », notamment les amendes, pour promouvoir au contraire les mesures éducatives et la réinsertion sociale.
Or c’est précisément l’inverse que vise le projet de loi. En confiant à la police un pouvoir de sanction pécuniaire, la forfaitisation délictuelle consacre le principe d’une répression automatique de l’usage de stupéfiants excluant de facto toute mesure éducative ou sociale. On appréciera le double langage du gouvernement, soucieux de la santé et de l’insertion des consommateurs de drogues à Bruxelles mais pressé de les punir en France.
Une filière chanvrière bridée
Un autre mot d’ordre du gouvernement est également mis à mal par le caractère essentiellement répressif de son approche. C’est celui du développement industriel. Veillant sur notre culture viticole et protégeant les intérêts des alcooliers nationaux, l’État français ne semble pas avoir pris la mesure du développement de l’industrie cannabique au-delà de nos frontières.
La légalisation du cannabis médical et récréatif dans un nombre croissant de pays a contribué à ouvrir de colossaux marchés. Tenue logiquement à l’écart de ce mouvement, l’industrie pluriséculaire du chanvre français risque de ne pas pouvoir en profiter. Confinée à la production d’aliments pour animaux et de fibres végétales, notre filière chanvrière est aujourd’hui bridée par une législation si prohibitionniste qu’elle entrave jusqu’au développement de produits cosmétiques, de compléments alimentaires et de médicaments à base de cannabinoïdes non psychoactifs. Les firmes étrangères, notamment nord-américaines, prennent aujourd’hui une avance qu’il sera difficile de rattraper.
Plusieurs pays européens sont sensibles à ces évolutions, à l’instar des Pays-Bas qui ont réglementé la production de cannabis médical il y a près de vingt ans et se préparent à faire de même avec le cannabis récréatif. Ce n’est pas, à ce jour, le cas du gouvernement français, arc-bouté sur l’idée que la punition des consommateurs de drogue fera bientôt disparaître le cannabis de notre culture.
Prendre conscience du caractère erroné de cette croyance est urgent. C’est une condition sine qua non à l’initiation d’une réflexion gouvernementale sur les enjeux sanitaires et économiques de la légalisation contrôlée du cannabis, une réforme dont la plupart des observateurs bien informés s’accordent, en privé, à reconnaître qu’elle est désormais inévitable à plus ou moins long terme.
Par Renaud Colson. Maître de conférences à l’Université de Nantes (UMR CNRS Droit et Changement Social)
Source: contrepoints.org