Selon un récent sondage, réalisé par Ipsos, un Français sur deux serait favorable à une législation contrôlée sur le cannabis. Un avis que partage Sébastien Béguerie, conférencier et co-fondateur de l'Union Francophone pour les Cannabinoïdes en Médecine. Tribune.
"En Europe, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, la Finlande, la Norvège, la République Tchèque, la Croatie et l'Autriche ont autorisé l'usage du cannabis médical".
afp.com/Drew Angerer
Aujourd'hui, les lois françaises sur la consommation et la détention de cannabis sont obsolètes et non applicables. Chez nos voisins, les effets thérapeutiques du cannabis médical ont été reconnus et encadrés par des lois permettant sa culture et sa distribution, mais aussi son étude par les professionnels de la santé.
Le débat peine à émerger, la classe politique craignant une augmentation de la consommation chez les jeunes, des addictions aux drogues, de la criminalité et du nombre d'accidents de la route... Néanmoins, les tendances de consommation dans les pays où le cannabis a été légalisé témoignent d'une autre réalité.
L'autoculture, un facteur d'augmentation de la consommation
Aux États-Unis, 28 des 51 Etats ont rendu la substance légale à des fins thérapeutiques et/ou récréatives. Ils sont passés d'une guerre totale à une libération du marché désengorgeant les prisons, tout en économisant de l'argent sur les interventions policières. Ils se concentrent depuis de manière plus efficace contre le grand banditisme tout en contribuant à la croissance économique.
Celle-ci est exponentielle avec la création d'emplois dans tous les secteurs d'activités du secteur primaire au tertiaire (agriculture, services privés et publics). En 2015 au Colorado, 996 millions de dollars ont été engendrés par l'industrie du cannabis. 135 millions ont été reversés à l'Etat sous forme de taxes qui ont été majoritairement utilisées pour rénover les infrastructures scolaires. Aucune hausse de la consommation n'a été enregistrée.
D'après les derniers résultats du baromètre santé de l'INPES, publiés en 2014: 700 000 Français de 15 à 75 ans consomment quotidiennement du cannabis et 1,4 million fument au moins 10 joints par mois. Parmi eux, des milliers cultivent leurs propres plantes. Cette nouvelle offre serait, selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), l'une des raisons de l'exposition grandissante des jeunes à la consommation de cannabis.
Près de 48% des moins de 17 ans admettent en avoir déjà consommé en 2014, contre 41,5% en 2011. Chez les adultes, ce taux est passé de 8% à 11%. La France est dans le top 3 des consommateurs de cannabis en Europe, après la République Tchèque et l'Espagne. Pourtant, elle est aussi le pays qui possède la loi la plus répressive en la matière, preuve d'un paradoxe et d'une hypocrisie politique qui ignore de la réalité des habitudes des Français.
Une hypocrisie qui bénéficie au grand banditisme
Cette hypocrisie a des répercussions directes sur les patients à qui le gouvernement avait promis, au travers d'un décret en juin 2013, un traitement à base de THC et CBD: le Sativex. Mais son prix en pharmacie n'a pas été accepté par l'ANSM qui empêche sa distribution et son accès dans les pharmacies de l'Hexagone. Cette situation oblige les malades à se fournir sur le marché noir, ou à cultiver pour leur consommation privée mais illégale, y compris lorsqu'ils bénéficient d'une prescription médicale pour ces médicaments!
En Europe, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, la Finlande, la Norvège, la République Tchèque, la Croatie et l'Autriche ont autorisé l'usage du cannabis médical sous prescription. En 2017, l'Allemagne autorisera l'auto-culture et la délivrance de cannabis médical pour les patients ayant une prescription de leur docteur (gratuitement pour ceux qui participent à une étude nationale sur l'impact de cette plante sur les malades).
Pour être à la hauteur de ce défit, la France devra créer des centres éducatifs pour les professionnels de la santé, de l'agriculture et de l'ingénierie. Dans cet objectif, le think-tank Terra Nova propose de créer à la façon de l'ARJEL (autorité de régulation des jeux en ligne), une Autorité de Régulation du Cannabis Agricole (ARCA) dont le rôle serait de délivrer des licences de production et de distribution mais aussi d'encadrer les professions et les formations liés aux emplois engendrés par cette industrie.
La France est désormais attendue par l'Europe pour engager son évolution vers l'acceptation et la création de sa filière cannabique "made in France". La présidentielle de 2017 pourront-elles permettre de franchir se tournant et arrêter cette polémique incessante?
Sébastien Béguerie est conférencier. Il interviendra le 30 novembre (jour où le Parlement européen organise une session parlementaire sur le cannabis thérapeutique et son usage) lors d'une conférence organisée par l'association Noise La Ville sur la régulation d'une économie du cannabis en France.
Source: lexpress.fr