Depuis le 16 juin dernier, toute personne contrôlée en train de consommer des stupéfiants ou en possession de petites quantités sur elle pourra être condamnée à payer une amende de 200 euros.
Cette « amende forfaitaire délictuelle » est, pour le moment, expérimentée dans les villes de Rennes (Ille-et-Vilaine), Reims (Marne), Créteil (Val-de-Marne) et Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne). Elle sera ensuite déployée à Marseille et Lille à partir de mi-juillet, puis sur l’ensemble du territoire national en 2021. Seronet fait le point sur cette mesure controversée.
Qu’est-ce que l’amende forfaitaire délictuelle ?
Cette amende de 200 euros est une procédure pénale dite « simplifiée » pour éviter le passage devant un-e juge. La législation actuelle, héritage de la loi sur les stupéfiants de 1970, interdit l’usage de drogues (mais aussi le transport, la détention, l’offre, la présentation de la drogue sous un jour favorable) et le sanctionne « par une peine de prison d’un an et de 3 750 euros d’amende ». La procédure de l’amende forfaitaire délictuelle cherche à criminaliser massivement et plus vite les personnes consommatrices prises en infraction et cela sans encombrer les juridictions, comme c’est le cas jusqu’à présent. La mesure a été adoptée en mars 2019. Elle faisait partie du projet de loi de programme 2018-2022 et de réforme de la justice.
Comment fonctionne-t-elle ?
Quand une personne est contrôlée pendant la consommation de stupéfiants ou en possession de petites quantités, les agents de verbalisation peuvent prononcer la sanction pour infraction d’usage ou de détention sous forme d’amende. Cette décision peut être prise par un agent de police, de gendarmerie ou tout autre agent public habilité à rédiger un procès-verbal simplifié sans le soumettre au procureur de la République.
Le montant de l’amende est fixe et ne peut pas être modifié par la personne qui verbalise, mais il varie en fonction du paiement : si on paie la contravention dans les 15 jours ou après 45 jours. L’amende forfaitaire délictuelle ne peut pas être utilisée par les forces de l’ordre quand la personne concernée est mineur, lorsque la personne concernée est en situation de récidive légale (1) ou lorsque plusieurs infractions sont constatées simultanément (par exemple : consommation et vente des stupéfiants).
Pourquoi l'avoir adoptée ?
Le rapport de la mission d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants (25 janvier 2018) fait le constat d’un décalage entre la « prohibition théorique de la consommation des stupéfiants », héritée de la loi de 70, et une réalité du terrain où l’usage des drogues ne cesse d’augmenter. Ils en veulent pour preuve que les infractions pour simple usage de stupéfiant ont été multipliées par dix entre 2000 et 2015.
Et si l’on remonte plus loin, on atteint le vertige. On passe ainsi de 14 000 cas d’affaires liées au cannabis en 1990 à 107 000 en 2020, soit une augmentation de 760 % en 20 ans, pour le cannabis, dont la consommation dans le même temps a augmenté de 320 %. Ils font aussi le constat que les juges n’appliquent pas réellement les peines de prison prévues par la loi, mais utilisent massivement des « peines alternatives » comme l’obligation d’effectuer des stages de sensibilisation ou de se soumettre à des traitements thérapeutiques. De plus, dans 65 % des cas, ces peines alternatives sont en réalité des « rappels à la loi » qui ne sont pas inscrites dans le casier judiciaire. Et sans parler de la grande diversité territoriale qui existe selon les parquets.
L’amende forfaitaire délictuelle a été créée pour les infractions de conduite d’un véhicule sans permis ou sans assurance, donc des infractions considérées plus graves qu’un simple PV pour non-paiement de parking ou excès de vitesse. Souhaitant renforcer la répression des drogues, les parlementaires ont donc adopté cette nouvelle procédure dite simplifiée d’amende forfaitaire délictuelle où les personnes consommatrices sont condamnées pénalement avec une sanction économique sans passage au tribunal.
Quels problèmes pose-t-elle ?
En raison de sa nature, cette amende est bien inscrite dans le casier judiciaire et son objectif affiché est le renforcement de la répression des consommateurs de manière « égalitaire, rapide et efficace » sur tout le territoire national. Sans surprise, la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle confirme l’échec annoncé (de longue date) de la prohibition des drogues parce que la répression n’a pas d’effets sur la consommation des stupéfiants. Il suffit de voir ce qui se passe sur le seul cannabis. Si on prend l’année 2014, 170 000 personnes usagères de cannabis ont été interpellées, trois fois plus que sur l’année 1994. Par ailleurs : 83 % des causes d’interpellation sont liées à l’usage contre 6 % pour le trafic seul. On pourrait se dire qu’avec un tel arsenal répressif la consommation stagne voire baisse. Ce n’est pas le cas : la France est le premier pays consommateur de cannabis d’Europe.
À l’occasion de la journée « Support don’t punish » (26 juin), AIDES Bretagne a dénoncé l’expérimentation de cette amende forfaitaire délictuelle à Rennes. « Cette expérimentation a été mise en place dans l’opacité légale », explique l’association. Et de poursuivre : « Les amendes forfaitaires délictuelles cherchent à pénaliser massivement les usagers-ères, et la dérive de leur utilisation est facile envers certains publics, tel le public étudiant, marginalisé, racisé ou connu des forces de l’ordre. Elles sont donc un outil de répression supplémentaire qui aggrave la discrimination et la stigmatisation des usagers-ères de drogues ».
Dans un livre blanc, publié en novembre 2018, plusieurs ONG et syndicat (AIDES, Asud, la Fédération Addiction, La ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, SOS Addictions, Principes actifs, Psychoactif, Observatoire international des prisons/OIP France, le CIRC, NormL France et le Syndicat de la magistrature) rappelaient les problèmes (obstacles juridiques, progressivité des peines, etc.) qui « annonçaient un échec » de cette mesure.
Y a-t-il un risque de fichage ?
Oui. La loi prévoit qu’à partir le 1er juillet 2021, l’amende soit inscrite au casier judiciaire et supprimée au bout de trois ans si la personne n’est pas condamnée à une peine criminelle ou correctionnelle, et si elle ne fait pas l’objet d’une nouvelle amende forfaitaire délictuelle pendant ce temps. Or, en attendant la mise en place de ces dispositions, et afin de pouvoir vérifier qu’il existe une récidive, le mécanisme d’application en cours prévoit l’inscription de ces amendes dans des fichiers judiciaires.
A priori, les amendes seraient donc inscrites dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) mais depuis avril 2020, il est également envisagé que les amendes pour consommation de stupéfiants soient inscrites dans un fichier dit de « contrôle automatisé » créé pour partager les données relatives aux infractions du code de la route avec un grand nombre d’acteurs, comme des agents de sécurité municipaux ou des entreprises de location de voitures. Pour les ONG, ce fichier n’assure pas une bonne protection des données personnelles, puisqu’il permet un partage facile avec différents-es acteurs qui n’ont pas compétence à constater des délits et les conserve pendant dix ans (contre trois ans pour le casier judiciaire).
Les amendes forfaitaires délictuelles constituent donc un outil de répression, qui aggrave la discrimination et la stigmatisation des usagers-ères des drogues. Cette procédure n’est en rien une dépénalisation de la consommation des drogues.
Comme on le voit, AIDES combat l’instauration de cette mesure comme de toutes celles discriminant et stigmatisant les consommateurs de drogues. L’association propose de longue date une autre politique des drogues. Une politique qui passe par des modèles alternatifs de régulation (légalisation, dépénalisation, etc.) comme cela est en vigueur dans d’autres pays (Portugal, République Tchèque, Argentine, Mexique, Colombie, Norvège, Uruguay, Canada, certains États des États-Unis).
Il est intéressant de voir que cette question qui électrise régulièrement la classe politique française connaît régulièrement des tournants. On peut interpréter ainsi la récente tribune publiée dans L’Obs où des élus-es de tous bords réclament la légalisation du cannabis. Dans son communiqué, AIDES Bretagne demande « l’arrêt de l’expérimentation concernant l’amende forfaitaire délictuelle sur la ville de Rennes » et plus largement « l’abandon de la pénalisation des usagers-ères sur tout le territoire national ». « Il nous paraît nécessaire qu’un dialogue apaisé et constructif entre les différentes parties prenantes (forces de l’ordre, professionnels-les de santé, associations communautaires) afin de remettre au cœur de l’action publique les droits et la santé des usagers-ères de drogues ». Et de conclure : « les politiques répressives contre les drogues, n’ont jamais fait leurs preuves, alors que notre expérience a démontré la réussite des politiques de réduction des risques ».
(1) : Une ambiguïté persiste dans la législation concernant la récidive. En effet, le code de la santé publique affirme que, concernant l’usage de stupéfiants, l’amende forfaitaire peut être appliquée « y compris en cas de récidive » (art. 3421-1). Cependant, dans le code de procédure pénale, il est accepté que « la procédure de l’amende forfaitaire n’est pas applicable (…) en état de récidive légale » (art. 495-17).
Source: seronet.info