Du 12 au 16 mars 2007, la 50ª réunion annuelle de la Commission de Stupéfiants de l'ONU (CND) aura lieu à Vienne. Ce sera la dernière fois que cette Commission se réunit avant l'échéance cruciale de 2008, quand devra se présenter une évaluation sur les efforts globaux pour le contrôle des drogues durant les dix dernières années.
Un représentant d'ENCOD assistera à cette réunion et présentera la déclaration suivante, signée par les membres du Comité Exécutif d'ENCOD. Si vous pouvez envoyer ce texte à tous vos contacts de presse, merci de le faire.
Vienne, 12 mars 2007
Chers délégués,
au nom de la Coalition Européenne pour des Politiques de Drogues Justes et Efficaces, une plate-forme de plus de 150 associations de citoyens de toute l'Europe, nous souhaitons attirer votre attention sur ce qui suit.
Il y a neuf ans, à New York, pendant la Session Spéciale de l'Assemblée Générale des Nations Unies sur les Drogues de juin 1998, on a adopté une déclaration politique qui mentionnait deux objectifs importants et une date butoir. Dans la déclaration de 1998, l'Assemblée Générale de l'ONU s'est engagée à "obtenir des résultats significatifs et mesurables dans le secteur de la réduction de la demande" ainsi qu'à "éliminer ou réduire significativement la culture illicite de coca, de cannabis et d'opium" avant l'année 2008.
L'échec de ces politiques est vérifié chaque jour par les citoyens, par les paysans dans des régions productrices de coca et d'opium en Amérique du Sud et en Asie, par des personnes qui sont en prison, dans des discothèques, dans des coffee shops, dans des salles de consommation, mais aussi dans les espaces institutionnels comme celui-ci. Les chiffres publiés récemment par le Bureau de l'ONU sur les Drogues et le Crime (ONUDC) montre l'augmentation annuelle de la consommation de drogues dans les EEU, le pays qui a le plus investit dans la réduction de la demande, a montré un accroissement significatif en ce qui concerne l'Ecstasy, les opiacés et la cocaïne. On remarque l'augmentation annuelle de la consommation de cocaïne de 2.6% en 2000 à 2.8% en 2004.On note un accroissement plus important de la consommation de cannabis, de 8.3% en 2000 à 12.6% en 2004 quant aux amphétamines : de 0.9% en 2000 à 1.5% en 2004.
L'utilisation et la production de drogues croissent partout, pas seulement aux USA. Considérant la production de drogues illicites, la quantité d'opium produit a augmenté de 4.346 tonnes en 1998 à 4.620 tonnes en 2005, la cocaïne a augmenté de 825 tonnes en 1998 à 910 tonnes en 2005 et le cannabis d'une quantité prévue de 30.000 tonnes en 1998 à 42.000 tonnes en 2005 (un tiers de cette quantité est produite en Amérique du Nord, c'est pourquoi ce continent est de loin le premier producteur de cannabis du marché domestique).
Il est évident que les efforts globaux pour "éliminer ou réduire significativement la demande et l'offre de drogues" avant la date butoir de 2008 n'ont pas eu du succès. Toutefois, ces efforts ont causé des dommages considérables et croissants aux droits de l'Homme, à la santé publique, à l'environnement, l'économie, le développement durable, le respect de la loi et la relation entre les citoyens et les autorités dans le monde entier.
Un argument classique pour maintenir le régime de prohibition est que sans lui, les niveaux de consommation et de production de drogues seraient plus élevés. Mais ne se sont présentés nulle part des arguments scientifiques qui démontrent que le régime prohibitionniste diminue la consommation de drogues. En Europe et à l'intérieur des pays européens on observe des différences énormes dans les niveaux de consommation de drogues malgré le fait que dans tous ces pays la prohibition soit en vigueur . Il n'est fait aucun effort pour expliquer ces différences, c'est pourquoi il est douteux de maintenir que la politique sur les drogues a une certaine influence. Il est même peu probable qu'il l'ait.
D'ici un an vous devrez prendre une importante décision. Allez-vous ignorer les expériences du passé? Allez-vous suivre le même sentier destructeur et totalement inefficace ? Quand vous vous réunirez de nouveau dans cette salle en mars 2008, vous aurez quelque chose à expliquer. Votre gouvernement ou organisation doit présenter vos conclusions des dix dernières années, tout comme vos recommandations pour le futur.
Vous avez essentiellement deux possibilités. Vous pouvez ignorer la réalité, et continuer cette opération coûteuse, inefficace et contre-productive appelée la "Guerre aux Drogues" ; Ou vous pouvez commencer à examiner la manière d'apporter une réflexion et du bon-sens sur ce sujet. Commencer à modifier une législation internationale déphasée et inefficace sur les drogues afin de permettre aux différents pays de commencer des politiques sur les drogues qui seront plus effectives quant à la réduction des dommages produits par l'actuelle politique . Réduire les risques de la consommation de drogues est une opération relativement limitée comparée à la réduction des risques en rapport avec la politique sur les drogues. Comme beaucoup d'autres, ENCOD considère que les dommages en rapport à la prohibition sont souvent plus importants et plus destructeurs que les dommages en rapport aux drogues.
La politique globale sur les drogues montre des éléments contradictoires. D'une part, des centaines de millions de citoyens partout dans le monde sont victimes de cette politique. Des personnes sont assassinées, torturées, emprisonnées, stigmatisées et ruinées à cause du simple fait de cultiver, distribuer ou consommer des substances qui ont accompagné l'humanité pendant des milliers d'années. Jusqu'à ces travailleurs de la santé qui pratiquent la réduction des risques en rapport avec la consommation de drogues qui sont criminalisés dans certains endroits du monde.
D'autre part, la "réduction des risques" a été bien accueillie par beaucoup d'autorités locales et régionales comme une analyse effective aux problèmes les plus urgents de la santé en rapport avec la consommation de drogues. Les mesures de réduction des risques partent du principe que la santé et la sécurité sont plus importantes que les jugements moraux, mais sont bloquées par le cadre bureaucratique qui met en oeuvre et interprète les Conventions de l'ONU.
Dans la majorité des pays européens, la possession de petites quantités de cannabis n'est pas considérée comme un délit. Dans des pays où est dépénalisée la distribution de cannabis pour la consommation personnelle, comme les Pays-Bas, les autorités locales sont chaque fois plus en faveur de l'organisation d' un circuit transparent pour la culture, la distribution et la consommation de cannabis pour des adultes. Ces autorités ont commencé à comprendre que la régulation est la meilleure façon de réduire les problèmes en rapport avec la criminalité et la santé, au lieu de la prohibition aveugle.
Le gouvernement de la Bolivie propose la dépénalisation internationale de la feuille de coca comme une mesure pour reconnaître la grande valeur nutritionnelle, médicinale et culturelle de la coca. En réalité, la Bolivie a le droit de dénoncer la Convention de l'ONU de 1961, puisque l'interdiction de la coca qui est incluse dans cette Convention n'est pas basée sur des essais scientifiques. Permettre l'exportation de thé et d'autres dérivés bénéfiques de la coca pourrait contribuer à réduire la dépendance des producteurs de coca au secteur illégal, en le remplaçant par une économie solidaire basée sur des ressources agricoles renouvelables.
De la même manière, dépénaliser la culture de l'opium et permettre l'utilisation de cette substance pour des fins actuellement légales pourrait être une option importante pour améliorer les niveaux de vie et la situation des droits de l'Homme en Afghanistan, en Birmanie et dans d' autres pays.
Vienne 2008 sera-t-il marqué par le début d'une ère nouvelle dans la politique sur les drogues ? Nous en doutons. Ce dont nous avons besoin c'est de la création d'un espace légal et politique pour que les autorités locales, régionales et nationales puissent appliquer des politiques qui ne soit pas basées sur l'interdiction totale.
Nous regrettons que le système de contrôle des drogues - développé et étendu depuis 1910- soit un obstacle contre-indiqué sur le chemin de l'innovation et de la réduction des risques. Les Conventions de l'ONU ne permettent aucune évolution et imposent au monde un système désuet de prohibition mondiale qui, dans le cas de l'alcool, a été abandonné il y a longtemps. Tout changement dans le régime, si petit soit-il, requiert la collaboration de presque 200 pays ! Ainsi le monde s'est emprisonné lui-même dans ce système, et il a jeté la clé.
Vienne 2008 sera-t-il une occasion pour tous ceux qui souhaitent trouver une solution raisonnable aux problèmes en rapport avec les drogues ?
Vienne 2008 mettra-t-il fin aux dommages massifs produits par les politiques sur les drogues, des dommages qui sont souvent plus grands que celui qui résulte de la même consommation de drogues ? Nous serons ici de nouveau dans un an.
Sincèrement, Au nom d'ENCOD,
Christine Kluge, Alemagne; Marina Impallomeni, Italie; Virginia Montañes, Espagne; Farid Ghehioueche, France; Jan van der Tas, Pays-Bas et Joep Oomen, Belgique (membres du comité executif).
* comme pourcentage de la population de plus de 15 ans
EUROPEAN COALITION FOR JUST AND EFFECTIVE DRUG POLICIES - ENCOD
www.encod.org