Il est urgent que les médecins éclairent l'opinion sur le risque
réel pour la santé.
Cannabis: sortir du statu quo
Par Daniel VAILLANT
lundi 10 novembre 2003
S'il est avéré que la consommation occasionnelle de cannabis n'est pas plus
dangereuse que celle du tabac, il faut avoir le courage de mettre en
oeuvre, au moins à court terme, quatre dispositions qui permettront de
régler le problème que la loi actuelle ne règle pas.
Si la consommation de drogues est ancienne et a toujours accompagné la vie
de l'humanité, force est de constater qu'aujourd'hui le phénomène a pris
des proportions catastrophiques. Maire du XVIIIe arrondissement, je vois et
déplore quotidiennement les conséquences de la consommation de drogues
dures, avilissantes, destructrices, mortifères pour ceux qui en sont
dépendants. Par ailleurs, il n'est pas un jour sans que je doive agir afin
de contribuer au soulagement des populations qui subissent les nuisances et
les drames engendrés par la consommation et les trafics.
Dans cet arrondissement, le phénomène est plus visible qu'ailleurs et
multiforme : polytoxicomanie associant alcool, drogues et médicaments
dangereux, psychotropes pris hors contrôle médical, dépendance
anéantissante au crack (dérivé dangereux de la cocäne), etc.
A ce propos, je constate et regrette l'inefficience des politiques
publiques et les difficultés d'application de l'injonction thérapeutique
pour lutter contre ce drame social qui fait tant de dégâts dans les
populations fragiles.
Il est donc grand temps que la recherche médicale et pharmaceutique, les
autorités de santé publique et les institutions compétentes de l'Etat
s'attaquent énergiquement à ce drame.
De même, la question doit aussi être portée mieux et avec plus de force à
l'échelon européen et international, car les grands réseaux de trafiquants
ignorent les frontières pour commettre leurs crimes. Des trafiquants que je
condamne et envers lesquels je souhaite une répression plus sévère.
A mon sens, le vrai sujet, le vrai drame et la vraie galère viennent donc
essentiellement de la dépendance aux drogues dures.
Pour autant, ce sujet ne doit pas occulter celui qui agite aujourd'hui le
débat public, les médias et même le gouvernement : la consommation de
cannabis.
Celle-ci a augmenté de manière préoccupante. Au même titre que le
tabagisme, l'alcoolisme ou la dépendance à des drogues ou produits toxiques
divers, la croissance du nombre de consommateurs de cannabis peut poser un
grave problème de santé publique.
D'où la question : autorisation de la consommation ou pas ?
Jusque-là, tous les gouvernements l'ont refusée. Moi-même, comme ministre
de l'Intérieur, je n'y étais pas favorable. Cependant, devant l'hypocrisie
ambiante face à ce sujet, je souhaite intervenir dans le débat.
Sans doute pour sortir du statu quo, le Premier ministre a récemment
suggéré une «contraventionnalisation» des consommateurs et une aggravation
des peines pour les trafiquants.
Si, a priori, la proposition paraît juste, elle me semble néanmoins hâtive
dans la mesure où elle ne répond pas à une question préalable et
fondamentale : la consommation régulière de cannabis est-elle anodine ou
dangereuse pour la santé ? Autrement dit, le cannabis est-il facteur de
cancers ou d'autres maladies ? Est-ce une étape automatique vers la
consommation de drogues plus dures ? On n'en sait rien. Jusqu'à ce jour,
aucune étude scientifique fiable ne permet de se faire une idée à ce sujet.
Une seule évidence : il faut faire la différence entre la consommation
«bourgeoise», adulte et occasionnelle, et la consommation de jeunes, de
plus en plus jeunes, dépendants du joint et du deal.
Par ailleurs, personne ne remet en cause la dangerosité des conduites à
risque (par exemple, conduite de véhicules ou d'engins mécaniques,
profession médicale, fonction d'autorité publique, etc.).
Il est donc urgent que les chercheurs et les médecins éclairent l'opinion
et les autorités publiques sur le risque réel pour la santé des
consommateurs.
Cette question n'est pas anodine. En effet, s'il est avéré que la
consommation occasionnelle de cannabis n'est pas plus dangereuse que celle
du tabac ou de l'alcool, il faut avoir le courage de sortir vraiment du
statu quo et de mettre en oeuvre, au moins à court terme, quatre
dispositions qui permettront de régler le problème que la loi actuelle ne
règle pas :
1 - Encadrer et contrôler la production ou l'importation ;
2 - Autoriser la consommation pour tenir compte de la banalisation, à
l'exception des mineurs de moins de 16 ans ;
3 - Contraventionnaliser et pénaliser la conduite à risque comme pour
l'alcool ;
4 - Durcir la pénalisation et les sanctions pour les trafiquants, du simple
deal au gros trafic, de façon proportionnée et graduelle.
Bien sûr, cette clarification n'aurait de sens que si l'éducation des
jeunes, l'information préventive et dissuasive, faisait l'objet de
campagnes puissantes pour être efficace.
Quoi qu'il en soit, l'objectif des politiques publiques étant le recul de
toutes les consommations, il faudra bien, à plus long terme, que la
priorité soit donnée à la lutte contre la production, c'est-à-dire l'offre
au plan international. C'est donc la question des rapports avec les grandes
puissances et leurs lobbies qui est posée, lesquels laissent la production
de cannabis et autres plantes hallucinogènes se développer au détriment de
productions agricoles jugées trop coûteuses.
Un grand débat doit être ouvert sur tous ces sujets, sans démagogie, afin
de susciter des réponses innovantes et courageuses. En tout cas, une chose
est sûre, il ne suffira pas d'une loi d'affichage. Elle donnerait sans
doute bonne conscience aux politiques, mais elle ne suffirait pas pour
résorber le phénomène.
Sur des sujets aussi difficiles, personne ne peut avoir la prétention de
donner des leçons, comme cela arrive trop souvent entre la droite et la
gauche.
Cependant, je considère que ce n'est pas en laissant se développer
l'ultralibéralisme économique et sociétal, voire libertaire, que nous
réglerons le problème.
Si nous voulons y parvenir, il faut retrouver le chemin d'une société de
l'éducation, de la règle et de la solidarité qui soit fondée sur des
valeurs partagées, autrement dit que nous restaurions le pacte républicain.
Daniel VAILLANT, député-maire PS du XVIIIe arrondissement de Paris, ancien
ministre de l'Intérieur.
Sources : CIRC Paris
Il n’y a aucun commentaire à afficher.