Vous trouverez ci-après une interview que je viens de donner au journal de quartier "Le petit Ney", ou je reviens sur la création du groupe de travail parlementaire, annoncé ici sur cette page.
Source : profil facebook de Daniel Vaillant
"Dans le n°100 (déc. 2003), nous publiions un entretien avec Daniel Vaillant – Cannabis :« sortir du
statu quo »-, suite à la publication d’un article du Maire du 18e dans le quotidien Libération à la rubrique Rebonds.A cette époque, Jean-Pierre Raffarin (Premier ministre) et Nicolas Sarkozy (ministre
de l’Intérieur) préconisaient de « contraventionnaliser » l’usage du cannabis en donnant des amendes aux consommateurs.Daniel Vaillant avait alors souhaité s’exprimer car « la consommation « bourgeoise » s’opérerait tranquillement tandis que la consommation de jeunes des quartiers populaires qui s’opère dans l’espace public,serait la seule taxée ». Le Maire proposait alors 4 dispositions :
1) encadrer et contrôler la production ou l’importation,
2) autoriser la consommation pour tenir compte de la banalisation, à l’exception des mineurs de moins de 16 ans,
3) contraventionnaliser la conduite à risques comme l’alcool,
4) durcir la pénalisation et les sanctions pour les trafiquants,du simple deal au gros trafic, de façon
proportionnée et graduelle.
Dans cet entretien, Daniel Vaillant expliquait son évolution en la matière, de l’interdiction de la consommation à la dépénalisation.
En octobre 2009, Daniel Vaillant a de nouveau proposé de légaliser la consommation de cannabis pour mieux lutter contre les trafics. Cela a de nouveau crispé nombre de politiques. Pourtant, il se dit que petit à petit,l’idée chemine… mais quel politique, briguant le pouvoir suprême, veut prendre le risque d’une telle proposition ?
Daniel Vaillant a obtenu l’accord du président du groupe socialiste à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, pour créer un groupe de travail parlementaire afin de réfléchir à la « légalisation contrôlée » du cannabis.
- Pourquoi êtes-vous intervenu à nouveau en octobre dernier sur ce sujet ?
De manière fortuite,j’étais invité par un journaliste de France Inter, Philippe Vandel, pour parler de la
fête des vendanges. Et il m’a interrogé : « Et vous comme ancien ministre de l’Intérieur, avez-vous, une fois, exprimé une idée décoiffante ? ». Je lui ai répondu, oui et j’ai reparlé de légalisation contrôlée
du cannabis,pour mieux lutter contre les trafics et l’économie parallèle. Le Parisien m’a demandé un
interview et les choses se sont enchaînées,télé,articles de journaux… C’est entré dans le débat public.
Cela a coïncidé avec une campagne publicitaire du ministère de la Santé à la télé sur les drogues.
Je l’ai trouvée mauvaise, car elle faisait l’amalgame entre drogues dures et douces.Elle finissait avec la
préconisation de ne pas fermer les yeux.J’ai trouvé que comme dispositif de lutte,c’était un peu juste.
J’ai eu envie de dire : « Ouvrons les yeux tout grand et voyons ce que l’on peut faire ».
- Quelles ont été les réactions ?
Les courriers électroniques ont été nombreux : beaucoup de soutien pour ouvrir le débat.En gros,
ces messages disaient : vous avez le courage de dire halte à l’hypocrisie.Parmi eux,il y avait un certain
nombre de fumeurs occasionnels qui disaient : « J’en ai marre d’avoir affaire à un dealer qui pique
mon argent,et qui par ailleurs vend d’autres produits ».
Ces personnes n’étaient pas passées à d’autres produits malgré les offres des mêmes dealers. Il y
a eu aussi la thématique du cannabis thérapeutique.
Souvent revenait le problème du cannabis frelaté. Certains m’ont demandé de ne pas casser
leur « business ».Autre thématique, l’harmonisation à l’échelon européen de la législation pour éviter
les effets d’aubaines dans des pays comme la Hollande et l’Espagne qui doivent répondre bien
au-delà de leur propre problématique. Je précise que je ne parle pas de dépénalisation ce qui serait
un faux-pas en avant, mais je préfère la légalisation contrôlée pour aborder les problèmes de production et de vente aux consommateurs, comme pour l’alcool. Je ne mets pas le tabac au même niveau, car même si c’est dangereux pour la santé, il n’altère pas le comportement. On peut conduire
en ayant fumé deux, trois cigarettes.
- Et au niveau de la classe politique ?
En gros l’UMP m’a critiqué,les Verts m’ont soutenu comme l’immense majorité du PS, sauf quelques
élus, plus jeunes, comme Valls et Montebourg, au nom d’un moralisme surprenant. Les communistes
m’ont dit globalement qu’il était nécessaire d’ouvrir le débat sans tabou. Quelques autres dont Ian Brossat du 18e, m’ont dit qu’il fallait en rester à la législation actuelle. Philosophiquement,les drogues
ont toujours été dans la société humaine. Aujourd’hui, c’est devenu un enjeu économique énorme,
autant à haute échelle qu’à petite échelle.
- Qu’en est-il de ce groupe de travail parlementaire ?
Il est composé de 25 députés PS sur la base du volontariat.
Il s’est réuni une première fois, la prochaine réunion est le 24 février. Son objet est de
réfléchir, d’auditionner et de soumettre nos propositions au PS qui pour l’instant n’a pas pris de position
officielle. Beaucoup pensent que j’ai raison, mais ils préfèrent que ce soit moi qui y aille. Je ne
dis pas que j’ai la science infuse, les 4 propositions ne sont pas obligatoirement la panacée.
- Sur quoi cela peut-il déboucher ?
Une proposition assumée par le parti Socialiste dans l’hypothèse d’un contrat de gouvernement
lors d’une élection nationale ou éventuellement une proposition de loi. Je ne suis pas un « fana »
des propositions sans lendemain, ce qui m’intéresse c’est d’avancer,que la consommation baisse,
que ce soit moins dangereux pour les jeunes, et que le trafic régresse et soit pourchassé. C’est
l’addiction qu’il faut combattre.
- Comment verriez-vous la mise en route pratique de ces dispositions ?
Premièrement, il faut revoir la législation de prohibition de 1970 qui ne donne pas de bons résultats
puisque avec la législation la plus répressive,on a la consommation la plus forte. Selon les études
de l’observatoire contre les drogues, ce sont la France et la République tchèque qui sont dans le
peloton de tête de la consommation,surtout chez les jeunes.
Comme pour l’alcool, il faudrait un mode de production géré par un office public, et autoriser l’auto-production pour consommation personnelle. Il conviendrait de confier à un office spécialisé la production propre à la consommation licite et de contrôler avec les douanes l’importation avec des contrôles de qualité indispensables.
En clair,négocier des accords avec les autorités des pays importateurs comme le Maroc. Pour les
lieux de ventes, il faudrait l’officialiser dans des pharmacies ou bureaux de tabac spécialisés.Il pourrait
être créée une licence de vente avec un code déontologique. Évidemment,cela peut choquer ou
surprendre, mais imaginez quels seraient les effets d’une interdiction de l’alcool en France aujourd’hui.
Je pense que ce serait désastreux, nous l’avons bien vu aux USA.Rester dans la prohibition aujourd’hui, c’est laisser les mafias et la criminalité prospérer.Bien sûr,ce plan est un plan de lutte,l’objet est de diminuer la consommation. Il est nécessaire de sortir de l’hypocrisie, car beaucoup de ceux qui mettent en avant la morale ont fumé à un moment ou un autre, mais sans risque de voir une descente de police dans leur appartement.
- Selon vous, la situation en matière de drogues s’est-elle améliorée au cours de la décennie écoulée ?
Très franchement non, et je prends ma part dans ce résultat.On ne peut pas dire qu’on ait fait beaucoup de progrès,que ce soit la droite ou la gauche, sur ce plan. En revanche, il y a des expériences locales qui méritent d’être regardées.Je pense à Coordination Toxicomanies du 18e qui vise d’un côté à prendre en charge les toxicomanes qui sont d’abord des malades et par ailleurs de rassurer des populations riveraines qui subissent des troubles de tranquillité dans leur vie quotidienne.Mais là,on est surtout sur des phénomènes d’addictions lourdes à des drogues dures comme le crack. Là aussi, il s’agit de lutter contre l’usage sauvage.
- Ce qui veut dire quoi ?
Je préférerais que ces personnes soient encadrées pour contrôler leur addiction,pour éviter tous les
risques individuels pour eux,et les risques sociaux et sanitaires pour l’ensemble de la population.Au
niveau international,il y a des sujets qui laissent les chefs d’états étrangement silencieux. Ce n’est pas
facile,mais il faut avoir le courage de proposer des solutions au niveau mondial. En laissant la production mondiale inonder le marché, la drogue arrive dans nos pays. Je me positionne contre la drogue, mais je veux la combattre autrement, car aujourd’hui, on est en posture d’échec,et on laisse la jeunesse se débrouiller toute seule, on arrive après l’accident.