Nommée à la tête de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) le 12 septembre dernier, Danièle Jourdain Menninger détaille sa feuille de route. L’ancienne inspectrice générale des affaires sociales promet un changement de cap au sein de la mission où la prévention, le soin et la répression seront placés au même niveau
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN – Comment envisagez-vous votre présidence au sein de la MILDT ?
DANIELE JOURDAIN MENNINGER – Ce qui est pour moi un impératif, c’est de conforter l’équipe qui a été sans président depuis quatre mois (suite au départ d’Étienne Apaire, NDLR) et qui a très envie de reconstituer un groupe volontariste travaillant avec un sens, une directive. Je souhaite également recevoir tous les partenaires de la MILDT : les partenaires institutionnels, le secteur associatif, les professionnels – police, gendarmerie, douanes, professionnels de santé – sans oublier les travailleurs sociaux en contact avec des populations qui entrent dans notre champ de compétences. Je veux aller sur le terrain, c’est mon tropisme IGAS. Je pense qu’on ne peut pas parler des sujets liés aux drogues lorsqu’on n’a pas vu concrètement comment fonctionne, par exemple, un service des urgences qui accueille des jeunes en coma éthylique ou une équipe des douanes, de la police ou de la gendarmerie qui lutte contre le trafic tout en étant au contact de la population, des riverains.
Comment vous situerez-vous par rapport à la présidence d’Étienne Apaire ?
Le président sortant a mené sa politique dans un gouvernement à l’orientation politique différente de la majorité actuelle. La MILDT a des textes fondateurs qui lui permettent de conduire une politique conciliant à la fois la prévention, le soin et la lutte contre le trafic. Je ferai en sorte que tout cela fonctionne en complémentarité et de manière ouverte.
Dans un avis de 2011, la commission des Affaires sociales du Sénat a critiqué le caractère essentiellement répressif des mesures du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et toxicomanies (2008-2011). Partagez-vous ce point de vue ?
Dire que l’on a centré l’action uniquement sur la répression ne me semble pas tout à fait approprié. Beaucoup de structures d’accompagnement existent depuis longtemps et font l’objet de financements parmi lesquels les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD), les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ou les dispositifs de consultation pour les adolescents. Il faut regarder comment tout cela fonctionne sur le terrain. Depuis très longtemps, la MILDT a mis en œuvre une vraie politique de prévention et de soins. Peut-être, cela n’a-t-il pas été suffisamment mis en valeur en termes de présentation ou à travers les orientations politiques. J’ai l’intention de tout placer au même niveau, sans privilégier un axe par rapport à un autre. Je pense que la prévention et l’application de la loi sont complémentaires. Il faut voir où l’on met le curseur pour trouver le bon équilibre. À l’avenir, je souhaiterais qu’il y ait davantage de crédits alloués à la prévention et j’essaierai de faire en sorte que la répartition en ce sens puisse devenir plus importante sachant que l’orientation majeure sera de soutenir des projets innovants.
Vous avez signé, au sein de l’IGAS, plusieurs rapports ayant trait à la prévention sanitaire. Quels axes forts souhaitez-vous soutenir durant votre présidence en ce sens dans le champ des drogues ?
Il ne faut pas se focaliser uniquement sur les produits mais sur les comportements addictifs. Je m’attacherai à coordonner des actions de prévention ciblées, notamment en direction des jeunes qui peuvent être confrontés à des problèmes d’addiction. L’autre axe important concerne la précarité car elle rend plus vulnérable en matière de comportements addictifs. Ces populations méritent un accompagnement et un suivi plus forts. J’accorderai également une priorité aux femmes enceintes car je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour lutter contre l’alcoolisation fœtale, le tabagisme ou les conséquences d’usages d’autres drogues. Je considère qu’il est aussi très important de travailler avec l’Outre-mer et j’ai d’ailleurs demandé un rendez-vous au ministre des Outre-Mer, Victorin Lurel.
La ministre de la Santé a déclaré que les conditions seraient bientôt réunies pour l’ouverture de salles de consommation de drogues supervisées. Quelle est la position de la MILDT ?
Les salles de consommation ne sont que l’un des éléments de la palette d’actions à destination des populations d’usagers de drogues les plus problématiques. Ceux qui pourraient fréquenter ces salles de consommation sont essentiellement les personnes SDF en très grand état de précarité. La ministre Marisol Touraine souhaiterait que l’on développe l’expérimentation de ce type de structures. Ces expérimentations, si le gouvernement en décide ainsi, se mettraient en place avec des maires de grandes villes volontaires, de droite comme de gauche. Il faut que les élus prennent bien la mesure de leur faisabilité. Un important travail de médiation sera nécessaire pour choisir les lieux d’expérimentation en faisant très attention à ne pas stigmatiser des quartiers. À ce stade, la MILDT apportera toutes ses capacités d’expertise et d’appui, sachant que les élus ont une parfaite connaissance du terrain et des enjeux. L’essentiel, c’est que tout le monde s’engage à être transparent sur l’évaluation de ce type de dispositif.
Y aura-t-il un prochain plan gouvernemental de lutte contre les drogues et toxicomanies ?
Un nouveau plan est en cours de préparation. J’espère qu’il pourra être rendu public dans le courant du premier trimestre 2013. Pour l’instant, chaque ministère prépare des orientations en lien avec la MILDT qui, de son côté, fait également des propositions. Il s’agit d’un très grand travail de concertation. Ensuite, nous proposerons une ligne directrice au gouvernement. Le prochain plan devra prendre en compte tous les éléments d’une politique de lutte contre les addictions, avec des priorités hiérarchisées dans un cadre budgétaire contraint. Il privilégiera donc ce qui est le plus efficace et le plus efficient. Je tiens à l’évaluation des actions engagées.
Propos recueillis par DAVID BILHAUT
Source: Le quotidien du médecin