Depuis le week-end dernier, le New York Times lance une série de tribunes pour prôner la dépénalisation du cannabis sur tout le territoire américain. La très récente autorisation du cannabis à des fins médicales dans l'Etat de New York, et sa légalisation même à des fins récréatives au Colorado et dans l’Etat de Washington, ramène indirectement la question en France.
« Non, il ne communique plus sur le sujet ! » Qui ? Daniel Vaillant. Quoi ? Le débat sur le cannabis. Auteur d’un rapport en 2011 sur « la législation contrôlée du cannabis », l’élu parisien et ancien ministre de l’Intérieur a depuis, rangé les armes. Son dernier coup d’éclat ? Son soutien à Bertrand Rambaud. Atteint par le VIH et l’hépatite C, il utilisait le cannabis pour alléger ses souffrances. Daniel Vaillant avait écrit une lettre ajoutée au dossier de la défense pour soutenir l'accusé. Contacté par Marianne à cette occasion son équipe est formelle : « il ne souhaite plus s'exprimer ». Curieuse réaction pour un homme qui dénonçait dans son rapport le fait que « dans notre pays, ouvrir le débat sur la politique des drogues reste tabou ». La discipline partisane a t-elle eu raison de la conviction personnelle ? Après le scandale autour de Vincent Peillon, qui en 2012 a réclamé la dépénalisation , c’est « mollo » désormais sur le sujet ?
"Inutile de ressusciter des clivages"
Pour Jean-Christophe Lagarde (UDI) soutien inattendu de Vincent Peillon à l'époque, les choses sont claires : « L’ordre vient de l’Elysée de ne plus lancer de débats sociaux. Je m’étais levé à l’époque parce que l’interdiction n'est en rien une solution, et le débat méritait d'être relancé. Valls a été mis en place en tant que Premier ministre pour éteindre les incendies, enterrer tous les sujets sensibles». En tous les cas, la résurgence du débat dans l’espace public semble être proscrite dans les rangs socialistes. Gérard Bapt, député PS avait signé la pétition consécutive au rapport de Daniel Vaillant pour lui aujourd’hui « il n’est pas nécessaire pour l’instant de ressusciter des clivages, notre mission principale c’est l’emploi ». Il enchaine : « avec l'évolution des mœurs à l’étranger, nul doute qu’en France la question sera abordée à nouveau. L’entrée sur le marché du Savitex est une excellente avancée. » Délivré à des conditions très strictes depuis janvier 2014, c’est la première fois sur l’Hexagone qu’un médicament fabriqué à base de cannabis est autorisé.
Dominique Raimbourg l’un des trois signataires du rapport Vaillant, n’était « pas au courant » de la commercialisation du produit, puisque « très occupé en ce moment, sur la réforme pénale ». Lui aussi, ne voit pas l’intérêt de se mettre « une partie de la population à dos » après le « mariage pour tous ». « La période ne se prête pas à un nouveau débat clivant même si la réforme pénale ou la lutte contre la prostitution en font partie », poursuit-il. La probabilité du retour des cris d’orfraies sur la dépénalisation du cannabis effraie. Si le député se dit favorable à une « contraventionnalisation » Il précise : « Nous n'étions que trois députés à avoir signé le rapport, et entre un rapport et des discussion sérieuses au Parlement, le chemin est long ». Retour à la case départ.
Une dépénalisation pourrait rapporter de 300 à 500 millions d'euros à l'Etat
Pourtant si peu de députés ont signé le rapport, cela ne saurait camoufler les multiples déclarations des socialistes avant l’élection présidentielle. Ainsi Martine Aubry prônait la « dépénalisation » et François Rebsamen « la contraventionnalisation. » François Hollande lui-même avait proposé la création d’une commission d’experts notamment sur la question du soin et par rapport à la dépénalisation. Enfin Najat Vallaud-Belkacem avait en 2009 évoqué « la réglementation de la production, de la vente et de la consommation».
Esther Benbassa espérait relancer le débat en février dernier avec sa proposition de loi pour « autoriser l’usage contrôlé du cannabis. » Sans succès. Alors la situation décrite par Daniel Vaillant dans son rapport de 2011, reste inchangée: « La France s’illustre par une législation des plus répressives mais pourtant chez les 15-24 ans français, la consommation est l’une des plus élevées d’Europe ».
En réalité, la dépénalisation ou légalisation contrôlée du cannabis cache d’autres problèmes bien plus sinueux. « Selon un rapport entre 70 000 et 140 000 personnes vivraient du trafic de cannabis aujourd’hui » assure Dominique Raimbourg : « Peut-on priver ces gens d’un revenu ? » questionne t-il. Est-ce une manière d'acheter la paix sociale ? L’homme s’en défend « les trafics génèrent de la délinquance et des situations intenables dans les cités, il nous faut trouver une solution ». Une crainte de fouiller dans ce commerce souterrain si puissante qu’elle freinerait l’Etat à entreprendre la dépénalisation qui pourrait lui rapporter de 300 à 500 millions par an.
Manuel Valls Premier ministre, c’est un nouveau de style et un changement de cap. Repoussé en 2015, le projet de loi sur la famille, ne comportera pas selon le chef du gouvernement d’articles sur la GPA ou la PMA. Et même si le débat sur le droit de vote des étrangers a été relancé en interne au PS, des lois sur l’euthanasie ou sur la dépénalisation cannabis sont tombés dans l’oubli. Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, assurait en avril dernier que : « Les problèmes de société seront traités mais en temps et en heure. Notre priorité c’est la croissance. » Exclure du champ politique le retour d’une « manif’ pour tous » ou d’un nouveau « jour de colère. » Désormais les ministres n’ont qu’en tête les mots « croissance » et « emploi ». Un refrain entonné en chœur comme pour s’en convaincre… comme pour s’en persuader.
Le New York Times plaide la « fin de la prohibition »
Les éditorialistes du New York Times lancent une initiative pour « la dépénalisation du cannabis sur tout le territoire ». Le quotidien américain a publié une édito fondateur pour annoncer la publication de tribunes futures de spécialistes ou lecteurs pour débattre de la question après l’ouverture des premiers « coffee-shops » au Colorado et dans l’Etat de Washington. Le journal n’hésite pas à mettre en rapport, la prohibition des années 20, période pendant laquelle « les américains respectueux de la loi sont devenus des criminels », avec l’interdiction de la marijuana qui a généré en 2012, 685,000 arrestations. Principalement des jeunes hommes noirs, le New York Times parle d'interpellations « racistes » propices « à la création de nouvelles générations de criminels ». L’éditorial parle d’une substance « bien moins dangereuse et addictive que l’alcool ou le tabac », même si les journalistes préconisent l’interdiction du cannabis pour les moins de 21 ans.
Romain Massa
Source: https://www.marianne.net/Cannabis-Les-Etats-Unis-s-agitent-la-France-s-enlise_a240026.html
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