Cannabis : l’interdire ou le légaliser ?
L’interdiction de la vente de cannabis en France n’empêche pas l’augmentation du nombre de consommateurs. Fort de ce constat, plusieurs Etats dans le monde ont décidé de légaliser la substance avec l’espoir de mieux en réguler l’usage… et d’engranger de juteux bénéfices. Pour quels effets ? Focus sur un an d’usage dans le Colorado aux Etats-Unis.
Las… En dépit d’une législation très restrictive, les pouvoirs publics sont incapables d’endiguer la progression de la consommation de cannabis en France. En décembre 2014, le think tank Terra Nova réalisait un rapport sur le sujet (étude Cannabis : Réguler le marché pour sortir de l’impasse), pointant que « non seulement la prévalence du cannabis ne diminue pas significativement [en France], mais elle reste l’une des plus élevées d’Europe ».
Les chiffres publiés tout récemment par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), dans son étude sur la consommation de produits psychoactifs à 17 ans, en témoignent : ils indiquent une forte augmentation du nombre de jeunes de 17 ans ayant déjà consommé le stupéfiant (41,5% en 2011 contre 47,8% en 2014). Le taux de fumeurs réguliers (au moins une fois par mois) est passé sur la même période et au sein de la même population de 22,4% à 25,5%. Quant aux consommateurs quotidiens, ils étaient 9,2% en 2014 contre 6,2% en 2011. C’est la première fois depuis 2003 que ces chiffres repartent à la hausse.
Un rapport prône la légalisation du cannabis en France
Ces résultats révèlent des évolutions récentes et plus anciennes en adéquation avec celles observées parmi la population adulte dans l’enquête baromètre santé Inpes 2014 avec « des usages de cannabis en hausse dans les deux populations étudiées qu’il s’agisse des expérimentations ou des usages plus fréquents », pointe l’OFDT. Inefficace donc, la politique de répression est par ailleurs extrêmement coûteuse.
Selon les auteurs du rapport publié par Terra Nova, l’Etat dépenserait chaque année 568 millions d’euros directement consacrés à la lutte contre le cannabis. Terra Nova a imaginé trois scénarios allant de la dépénalisation simple à la légalisation de la vente de cannabis dans un cadre concurrentiel ou bien sous la houlette des pouvoirs publics. Cette dernière option, que Terra Nova suggère de privilégier, aurait un impact budgétaire évalué à près de 2 milliards d’euros d’économies « pour un nombre de consommateurs inchangé ».
La légalisation de l’usage récréatif du cannabis n’est plus une douce utopie dans plusieurs endroits du monde. C’est le cas par exemple dans l’Etat du Colorado depuis le 1er janvier 2014 (l’usage du stupéfiant à des fins médicales était déjà légale depuis plusieurs années). « On nous disait : les ados vont se ruer sur le cannabis, les adultes vont se défoncer et ne plus aller travailler… Rien de tout cela ne s’est concrétisé », commentait en décembre dans les colonnes du quotidien Le Monde Brian Vicente, l’un des rédacteurs de l’amendement autorisant la vente de cannabis aux résidents du Colorado.
Usage autorisé du cannabis : quel impact sur la santé des consommateurs ?
En janvier, trois médecins exerçant dans les services d’urgence d’hôpitaux de l’Etat publiaient dans le Journal of the American Medical Association (Jama) une étude faisant état des conséquences pour la santé des citoyens d’un usage autorisé du cannabis. Ses auteurs relèvent notamment une certaine augmentation de la fréquentation des services d’urgence due à des symptômes d’anxiété ou de dépression associés à des troubles psychiatriques déjà existants.
Plusieurs cas d’intoxications ont également été observés suite à la consommation de produits comestibles contenant du cannabis. Les effets du cannabis sont plus lents à se manifester lorsqu’il est ingéré, ce qui augmente le risque d’intoxication, le consommateur n’étant pas tout de suite conscient qu’il dépasse les doses que son organisme est susceptible de supporter. Tout récemment, le Denver Post rapportait le cas de deux suicides et d’un meurtre dans lesquels l’ingestion de produits contenant du cannabis était pointée du doigt.
Après enquête, la responsabilité du cannabis n’a été confirmée que dans un seul de ces trois cas, les deux autres ayant été attribués à un acte délibéré. Les auteurs de l’étude publiée dans le Jama rapportent par ailleurs plusieurs intoxications accidentelles. Au cours de l’année passée, 14 enfants se sont ainsi retrouvés hospitalisés, dont la moitié en soins intensifs, suite à l’ingestion de produits comestibles contenant du cannabis qu’ils avaient confondu avec des friandises.
Des centaines de millions d’euros engrangés sur une année
Ces accidents ont conduit les autorités à renforcer les règles d’étiquetage visant à rendre les produits moins attractifs pour les enfants et à préciser les quantités de cannabis contenues. Les pouvoirs publics ont également utilisé une partie de l’argent généré par les ventes de cannabis pour financer des campagnes de sensibilisation à travers le Colorado. Si les opposants à la légalisation font leurs choux gras de ces accidents, les pouvoirs publics ne la remettent pas en cause, estimant que les campagnes d’information ont parfaitement joué leur rôle.
Interrogé par Le Monde, Mason Tvert, du groupe prolégalisation Marijuana Policy Project, estime que les opposants à la légalisation « sont du mauvais côté de l’histoire. On se souviendra d’eux comme de ceux qui voulaient maintenir l’interdiction de l’alcool après la fin de la Prohibition ». En 2014, les ventes du stupéfiant ont rapporté 700 millions de dollars (environ 620 millions d’euros) au Colorado. En juillet dernier la légalisation de la vente de cannabis entrait en vigueur dans l’Etat voisin de Washington où, jusqu’à présent, aucun accident n’a été rapporté selon l’autorité qui régule son usage, citée par le Denver Post.
Source: 66millionsdimpatients.org