Si la loi française se veut claire en matière de commercialisation de produits issus du cannabis, un flou persiste dans la pratique autour du cannabidiol.
Des fleurs contenant du CBD, mais pas de THC, le 14 juin 2018 à Paris. Photo Geoffroy Van der Hasselt. AFP
Bonjour,
Vous nous avez posé cette question : «Est-ce que le commerce de la fleur de CBD est autorisé en France ? Quelles sont les règles à respecter ?»
Vous faites référence au CBD (cannabidiol), une molécule de chanvre contenue dans la plante de cannabis au même titre que le THC (tétrahydrocannabinol). A la différence du THC, molécule psychoactive du chanvre, le CBD n’a pas d’effet stupéfiant, mais «relaxant», disait l’addictologue Jean Pierre Couteron en août 2018 à Libération.
En clair, les effets psychotropes prêtés au cannabis qui provoquent un «effet défonce» sur le corps et le cerveau sont a priori absents d’un produit dont le THC aurait été retiré et qui contient uniquement du CBD. Avec cette réserve qu’il n’existe pas, à ce jour, de consensus scientifique sur la question.
L’an passé, de nombreux «CBD shops», magasins spécialisés dans la vente de produits contenant du CBD, que ce soit des cookies, des cosmétiques, des huiles ou de l’herbe pour certains, ont ouvert leurs portes. Une question avait alors été posée à CheckNews, afin de savoir si ces magasins de «cannabis light» étaient légaux. Si la législation qui entoure la commercialisation du CBD est claire, son application, encore aujourd’hui, ne l’est pas vraiment.
THC contre CBD
Contrairement au THC, considéré comme un stupéfiant qui tombe sous le coup de l’article 222-37 du code pénal, le CBD en tant que tel n’est pas considéré comme un produit stupéfiant et n’est donc pas interdit par la loi. En revanche, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) précise à CheckNews, en s’appuyant sur une loi du 14 décembre 2018, qu’il «ne peut être commercialisé en France que sous les conditions cumulatives suivantes» : les variétés de chanvre cultivées doivent figurer sur la liste exhaustive inscrite dans l’article 2 de l’arrêté du 22 août 1990 ; la plante de cannabis doit avoir une teneur en THC inférieure à 0,2% (par comparaison, selon l’OFDT, la concentration moyenne du cannabis sous forme d’herbe circulant illégalement sur le marché français était en 2016 de 11%, rapportait Libération en 2018) ; seules ses graines et ses fibres peuvent être utilisées ; le produit fini (huiles, crèmes, biscuits, etc.) ne doit pas contenir de trace de THC, quel que soit le taux.
Une centaine de «CBD shops» ont ouvert leurs portes en France au cours de l’année 2018. Cette vague d’ouvertures a suscité la crainte du ministère de la Justice, entraînant dans la foulée quantité de fermetures. «A l’époque, il y a eu une véritable volonté des parquets de mettre un coup d’arrêt à ces CBD shops», explique à CheckNews Agnès Lowenstein, avocate au barreau de Paris et spécialisée dans ce type de contentieux.
Parmi les motifs invoqués : la présence de THC dans le produit fini ou la mise en avant d’un cannabis «thérapeutique». Or en France, «seuls les pharmaciens ont le droit de vendre des produits présentés comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard de maladies», rappelle la Mildeca.
«Aujourd’hui, les fermetures et les contrôles intempestifs se sont stabilisés. La vague est passée, nous sommes entrés dans une période de tolérance où l’on ne cherche plus la petite bête aux propriétaires, poursuit l’avocate. Le débat autour du cannabis thérapeutique, les lettres ouvertes pour la légalisation ou encore la mise en place d’une amende forfaitaire de 200 euros pour sanctionner l’usage illicite des stupéfiants [jusqu’alors réprimé par une peine de prison et une amende salée, ndlr] attestent d’un assouplissement général.»
Fleurs illégales… mais en vente
Dans les CBD shop, on trouve donc aujourd’hui des cookies importés de Californie, du thé glacé d’Amsterdam ou du chocolat suisse… Des territoires où la législation est plus souple, voire où la commercialisation du cannabis a été légalisée. Si elles ont le goût du cannabis, ces «friandises» contiennent également un taux de CBD oscillant entre 8% et 27%, «qui va jouer sur l’effet détente», assure un propriétaire de CBD Shop interrogé. Mais les vendeurs sont formels, il n’y a aucune trace de THC dans ces produits… Qui flirtent pourtant avec l’illégalité : «Il est difficile de commercialiser des produits dérivés légaux, car la plupart d’entre eux sont fabriqués à partir de fleurs et de feuilles», affirme l’une des membres de la Mildeca.
Des fleurs et des feuilles dont la vente, comme celle de leurs dérivés, est aussi théoriquement illégale, notamment parce que la teneur en THC y est bien plus importante que dans les graines et les tiges. Pourtant, CheckNews a pu le constater, on trouve facilement dans plusieurs boutiques parisiennes des fleurs et des feuilles. Et ce, malgré les risques encourus. Car les vendeurs «pourraient être poursuivis pour trafic de stupéfiants», assure la Mildeca.
Cela ne semble pas effrayer ce propriétaire parisien d’un CBD Shop, qui nous explique, un Tupperware rempli de pochons d’herbe dans chaque main : «Si vous achetez de l’herbe, le sachet est scellé. Concrètement, je l’agrafe et je glisse la facture à l’intérieur avec le taux de THC inférieur à 0,2% inscrit dessus.» Un procédé censé garantir qu’il ne s’agit pas d’un produit acheté à la sauvette. En cas de contrôle, le propriétaire conseille aux consommateurs interpellés de se rendre dans sa boutique en compagnie des policiers pour attester de la bonne foi du client. Quant à la manière de consommer «l’herbe au CBD», les vendeurs affichent en grosses lettres : «Ne pas fumer, mais infuser.»
Un flou persiste dans la pratique
Juridiquement, le consommateur de CBD risque-t-il quelque chose ? Si le produit (biscuits, boissons, cosmétiques…) acheté respecte les trois conditions cumulatives (moins de 0,2% de THC dans la plante et absence de la molécule dans le produit fini, chanvre autorisé par la loi et usage de graines et de fibres uniquement) invoquées par la loi, non.
Pour ce qui est des feuilles et des fleurs, si leur vente comme leur achat sont illégaux, on a vu qu’il était facile de s’en procurer en magasin. Mais alors comment se fait-il qu’un produit, considéré comme illégal et qui tombe sous le coup de la loi pour usage de stupéfiants, soit commercialisé en boutique ? Me Lowenstein tente d’éclaircir cette zone grise : «Certes, conformément à l’interprétation stricte de la loi, c’est illégal. Seulement, son application est à la discrétion du parquet, qui, en ce moment, en termes de politique pénale, n’a aucune intention d’embêter les consommateurs…»
Autre élément qui participe à la confusion : les disparités d’application de la législation sur le territoire. Une des membres de NORML (National Organization for the Reform of Marijuana Laws France) le confirme : «Un CBD Shop nantais expose des fleurs et des feuilles en vitrine, pourtant, il n’a jamais eu de problème. Tout dépend de la région et du procureur en place.»
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