L’efficacité. Dans la bouche du nouveau monde, le mot revient souvent comme un mantra justifiant tout ou presque. C’est au nom de la recherche de l’efficacité, nous dit-on, que depuis le début du quinquennat le droit du travail a été largement modifié, que les aides sociales risquent d’être fortement rabotées ou que la fiscalité des plus riches a été significativement allégée. Chacun jugera. Ces derniers jours, sur le dossier du «cannabis ultra-light» (chargé en CBD mais à moins de 0,2% en THC, le principe psychoactif du cannabis), l’exécutif, au mépris de toute efficacité, s’est montré aussi banalement conservateur que ses prédécesseurs.
Alors que le marché suisse du cannabis CBD a commencé à irriguer la France, les magasins ouvrant à la pelle ces dernières semaines jusque dans la capitale, les pouvoirs publics ont mis le holà lundi via une communication de la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) interdisant en particulier la vente de fleurs à fumer et donc le cœur du business naissant. Au nom d’un principe simple mais hautement contestable : le cannabis est du cannabis, qu’il soit chargé en THC à plus de 10% comme sur le marché noir ou à moins de 0,2%, comme c’était le cas dans les échoppes affirmant respecter la législation française - en fait plus compliquée que ça.
Il faut dire que certains acteurs entrés sur ce marché par opportunité commerciale ont parfois dépassé la ligne jaune en flirtant avec l’incitation à la fumette, interdite, ou avec la publicité mensongère sur les vertus médicinales du cannabis CBD, interdit également. De quoi donner le fer pour se faire battre alors qu’un flou bienveillant semblait régner.
«Le CBD est tout sauf une drogue»
Mais en choisissant de rigidifier le cadre, notamment au nom du maintien de l’interdit moral, les pouvoirs publics passent de nouveau à côté du sujet. Le cannabis CBD, contrairement à son cousin chargé en THC, n’est en effet pas un stupéfiant, comme le médecin addictologue William Lowenstein l’a dit sur tous les tons ces derniers jours. Si le cannabis chargé en THC et vendu clandestinement est une drogue, c’est spécifiquement parce qu’il contient du THC et que cette substance modifie l’état de conscience de celui qui en consomme. Rien à voir avec le cannabis CBD, qui contient en premier lieu une molécule naturellement relaxante. «Le CBD est tout sauf une drogue», a dit Lowenstein sur France 2, tout en mettant en garde sur la nécessité de mieux contrôler la composition de ces produits. On ne saurait être plus clair.
Si l’enjeu est celui de la santé publique, l’efficacité devrait conduire les autorités à prendre la chose en main concrètement, plutôt que de se voiler la face en affirmant que la prohibition reste son alpha et son oméga. Quid de la prévention ? Quid de la qualité des produits en circulation ? Si l’enjeu est celui de la sécurité, la recherche de l’efficacité devrait conduire les pouvoirs publics à combattre le trafic, générateur de mortels règlements de comptes et d’incivilités dans les quartiers où nos dirigeants n’habitent pas, en asséchant la demande. Or, qui fume en premier lieu du cannabis CBD ? Si ce ne sont les fumeurs de cannabis chargé en THC qui veulent lever le pied sur le plan de la «défonce» et prendre leurs distances avec le marché noir. Enfin, si l’enjeu est plus basiquement fiscal, le pouvoir se prive d’une manne importante. En l’état, hors blanchiment des profits, seuls les trafiquants font leur miel sur l’or vert ou marron que constitue la vente d’herbe ou de résine de cannabis. Un marché de plusieurs millions de consommateurs.
L’opinion favorable à une légalisation encadrée
Au fond, la légalisation du cannabis traditionnel apparaît comme la seule solution réellement pragmatique. Celle qui, au-delà des considérations morales ou électorales, sert le plus concrètement l’intérêt général. Laisser s’installer un marché du cannabis ultra-light, avec un taux de THC inférieur à ce qui se fait en Espagne ou en Suisse, aurait un été une demi-mesure positive. Lui fermer la porte sans réel débat public, comme on met la poussière sous le tapis, est tout simplement une très mauvaise décision. Espérons que ce débat, passionnant, ne fait que commencer. L’opinion publique française, de plus en plus favorable à une légalisation encadrée, apparaît, elle, bien plus mature que ses représentants élus.
La légalisation du cannabis à l’échelle fédérale, qui doit intervenir à la rentrée prochaine au Canada, comme cela a déjà été le cas dans de nombreux Etats américains, démontrera à quel point la France, sur ce sujet, se complaît dans le vieux monde. Au mépris du réel.
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