Alors que des saisies record de cannabis rythment l’actualité, l’un des plus anciens défenseurs d’une légalisation contrôlée, l’ancien ministre de l’Intérieur socialiste Daniel Vaillant estime que « l’immobilisme » actuel sur cette question conduit à « l’échec ».
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Le député socialiste Bruno Le Roux a déclaré hier discuter régulièrement avec vous au sujet d’une évolution de la position française sur la question du cannabis. Comment la France devrait évoluer selon vous ?
J’ai été ministre de l’Intérieur, je n’étais pas ministre de la Santé, mais j’ai été confronté à la question des trafics et de leur répression et je considérais qu’on était en échec. J’ai réfléchi, travaillé et je suis arrivé à une conclusion qui est la même depuis maintenant 12 ans. Je suis contre le statu quo. L’immobilisme conduit à l’échec et nous y sommes. On a beau saisir des tonnes de cannabis, cela veut dire qu’il y en a de plus en plus qui circulent.
On utilise beaucoup d’argent au traitement social de la question, au traitement judiciaire et policier aussi, mais avec beaucoup d’inefficacité. La loi de 1970 (relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses, ndlr) c'est-à-dire la prohibition est d’une inefficacité crasse. Je pense que le cannabis est totalement comparable à l’alcool. L’alcool est autorisé selon des modalités et le cannabis est rigoureusement interdit donc de plus en plus consommé.
Oui vous êtes célèbre pour votre position en faveur de la légalisation du cannabis. En tant que député PS vous êtes d’ailleurs l’auteur d’un rapport sur le sujet en 2011. Que préconisez-vous ?
Je suis pour une légalisation contrôlée. La dépénalisation est pour moi de l’inachevé. On traite la question de la consommation qu’on dépénalise, qu’on contraventionnalise au mieux et on laisse le trafic se développer. Le produit est frelaté et souvent avec la molécule essentielle, le THC, à des taux de 30%, très nocif pour la santé, et le système nerveux, de ceux qui le consomment et souvent de plus en plus jeunes.
Je suis favorable à une démarche identique à celle de l’alcool, ou du tabac par le passé. C'est-à-dire la mise en place de filières de production de cannabis bio, avec un taux de THC limité, 8%, vendu à des majeurs, dans des établissements qui payent des licences à cet effet. J’ai aussi pensé à un établissement public qui vérifierait les importations et qui lutterait contre les trafics et productions intensives de cannabis fortement dosé en THC et donc fortement dangereux comme il en existe dans nos banlieues. Je voulais aussi, comme pour l’alcool, contraventionnaliser les conduites à risques. C'est-à-dire quand on fume du cannabis, on ne conduit pas.
La légalisation semble un terrain miné politiquement. La gauche s’est d’ailleurs abstenue cette année au Sénat lors du passage de la proposition de loi d’Esther Benbassa dans ce sens.
Le gouvernement n’a toujours pas non plus donné suite à mon rapport. Je vois bien quelques bribes qui visent à contraventionnaliser plutôt qu'à pénaliser, mais cela ne me satisfait pas. La France devra évoluer. Ce sera peut être plus facile lorsqu’on aura une harmonisation européenne dans le traitement de ce type de produits, plutôt que chaque Etat y aille de sa législation. La France a la législation la plus répressive et prohibitionniste et c’est chez nous qu’on consomme le plus. Le débat ne doit pas être un débat droite/gauche mais un débat de santé publique. De même, en France, l’alcool est autorisé, labélisé, maitrisé, taxé. Et nous faisons tout pour lutter contre la consommation excessive. Cela doit être la même approche pour le cannabis. Je n’ai jamais vu de morts par overdose de cannabis, j’ai vu des morts par overdose alcoolique.
En tant qu’ancien ministre de l’Intérieur, vous approuvez la détermination de Manuel Valls dans la lutte contre le crime organisé ?
Oui, je ne suis ni un laxiste, ni, un libertaire au contraire. Qu'on continue à réprimer le trafic, c’est très bien. Mais d'une autre manière, plus efficace serait d’enlever l’os à ronger pour les trafiquants.
Pourtant on est souvent taxé de laxiste, lorsqu’on touche à cette question ?
Le débat est tellement tendu dans la société, dès que vous prononcez des mots comme la fin de l’interdit ou légalisation contrôlée, immédiatement vous avez face à vous le FN, la droite, quand ce ne sont pas les gens de gauche qui ont peur d’appréhender la question et de lever ce tabou. Moi je pense que le cannabis est une saloperie qu’il faut combattre, mais je ne crois pas que la manière dont on le combat aujourd’hui est le plus efficace. Je ne pense pas que soit venu le moment de légiférer sur cette question à l’Assemblée nationale où on va recommencer ces débats éternels sur des sujets de société.
C’est par la santé publique qu’il faut s’attaquer à cette question. Ce sera mieux que par une approche répressive ou une approche qui ouvre de nouveaux droits, ce n’est pas non plus la bonne entrée. Il faut du temps, il faut convaincre. C’est vrai que les périodes pré-électorales ne sont pas les plus faciles pour ça.
Source: publicsenat.fr